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La Doloire Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°17 - jan 2012
1529 – La grande Rebeine deLyon
La grosse colère du bourgeois Symphorien Champier
Champier et Dolet
Le numéro précédent de La Doloire a consacré un article au sujet suivant : « Quel genre de bourgeois a pu être l’imprimeur à la Doloire d’Or » ? Voici la suite qui, à partir de l’histoire de la grande Rebeine, donne un autre portrait de bourgeois avec le notable Symphorien Champier.
On appelait « rebeine » au XVIème s., à Lyon, une rébellion populaire. Celle du 29 avril 1529 est restée célèbre, au point, on le verra en conclusion, qu’un groupuscule d’extrême droite prétend de nos jours s’en réclamer, récupération mensongère et stupide de l’événement.
Le 18 avril 1529, l’affiche du « pôvre », affamé et révolté, fut placardée dans toute la ville et jusque sur les portes de Saint-Bonaventure, l’église du couvent des Cordeliers :
L’affiche des émeutiers
"L'on fait assavoir à toutes gens de la commune de la ville de Lyon, Premièrement à tous ceux qui ont désir de soustenir le bien public, pour répugner la malice et fureurs des faux usuriers, plaise vous à avoir regard comme le détriment du blé nous tombe sus sans l'avoir mérité, à cause de leurs greniers pleins de blé, lesquels ils veulent vendre à leur dernier mot, ce que n'est de raison ;
Et si Dieu n'y met la main, il faudra en jeter en l'eau tant y en a, et ainsi, vu la grâce Dieu et la bonne disposition du temps et qu'il ne se fait nuls amas de blé pour la guerre, et en outre que justice favorise avec gens gouverneurs et conseillers, usuriers et larrons, y mettre ordre ;
Feignant user dignité, ils nous rongent de jour en jour, comme par vérité le voyez devant vos yeux advenir la cherté dudit blé et autres denrées, qui est chose vile et infâme ; par quoi à l'exemple des autres bonnes villes, que toute la commune soit délibérée y mettre bon ordre, telle que l'en fait au blé avant qu'on l'ôte de la paille, c'est qu'on le bat et escoux. Il nous faut faire ainsi à ces maudits usuriers et à ceux qui ont greniers et enchérissent le blé. Sachez que nous sommes de quatre à cinq cents hommes, que nous sommes alliés ;
Faisons savoir à tous les dessus-dits qu'ils aient à se trouver dimanche, après-midi, aux Cordeliers, pour donner conseil avec nous d'y mettre ordre et police, et ce sans faute, pour l'utilité et profit de pauvre commune de cette ville de Lyon et de moi. Le Pôvre"
La demeure du riche bourgeois Symphorien Champier, la plus proche du lieu de rassemblement, est envahie la première, en sa présence, et pillée. Cette maison, détruite lors des travaux de percement de la rue Impériale, sous Napoléon III, s’élevait à peu près en face de l’église, à l’emplacement où se trouve à présent l’immeuble de la Chambre de Commerce».
Champier sera désormais obsédé par la Rebeine et un des plus enragés à faire arrêter et pendre meneurs et révoltés.
Qui était Symphorien Champier (1472 environ -1539) ? Un lyonnais de grande notoriété en son temps, premier médecin du Duc de Lorraine, allié à la famille du chevalier Bayard, membre du Consulat de la Ville, humaniste savant et ennemi juré de la Réforme, écrivain polygraphe et compilateur infatigable, un des fondateurs du Collège de la Trinité (devenu notre Lycée Ampère). « Sa gloire restée intacte jusqu’à son dernier jour ne lui a pas survécu », écrit son biographe Paul Allut, en 1856.
Une rue, à l’ouest de l’église Saint-Bonaventure, porte encore son nom mais il n’est plus guère connu que pour sa diatribe contre les émeutiers de la faim de la Grande Rebeine.
Diatribe de Symphorien Champier
Il vient d’expliquer que d’autres famines ont eu lieu dans la passé à Lyon sans aboutir à des révoltes. Sous l’appellation de « Vaudois », ce sont bien les partisans de la Réforme (venus de « septembrion », c’est-à-dire du nord, autrement dit les luthériens) qu’il accuse d’être responsables des troubles.
Et les serviteurs veulent aussi bien être traités que les maîtres : et au lieu que de notre temps les serviteurs étaient humbles aux maîtres et étaient sobres et mettaient beaucoup d’eau dans leur vin, & les vignerons se contentaient du breuvage qui, aux vendanges, est fait avec de l’eau mise dans le marc après que le vin est tiré de dessus ledit marc : mais de présent, ils veulent boire du meilleur vin comme les maîtres sans eau ni miction aucune, qui est chose contre toute raison : car Dieu veut qu’il y ait différence entre le maître et le serviteur, et Saint Pierre l’apôtre le commande en son épitre être obéissant à son maître et croire son commandement , autrement le monde serait sans ordre, & les biens de terre demeureraient sans cultiver & labourer comme sont en Hongrie, là où la terre est très bonne entre les autres terres terres d’Europe. » (extrait de l’Antiquité origine et noblesse de la ville de Lyon, publié en latin puis « translaté » en français, en 1537, huit ans plus tard) .
La répression
Dans sa biographie de Champier, en 1856, Paul Allut, qualifie les rebelles de 1529 de « gens sans aveu et de mauvaise vie et traînant à leur suite des femmes perdues ». Il est vrai que cet auteur parle en mêmes termes des canuts insurgés de 1831 et 1834. Ce furent en réalité des « hommes de art mécanique» selon le mot de Champier lui-même, artisans, compagnons et autres pauvres lyonnais affamés.
Mais indigné, outragé, le même Champier portera plainte et rassemblera des témoignages des bourgeois victimes des visites domiciliaires ou selon les termes de la « Procédure », des « séditions, pilleries, larcins, monopoles et assemblées illicites faites à son de cloche et tocsin ». Les dénonciations portent, en tout premier, contre Jehan Muzy, un maître d’armes, que les émeutiers appelaient « chief et capitaine ». Onze potences furent dressées en urgence de Pierre-Scize au pont du Rhône. Enquêtes, poursuites et jugements sommaires se poursuivirent pendant deux ans avec des arrêts de justice sans pitié : pendaisons, galères, fustigations des femmes comme des hommes à travers la ville, bannissements.
Dolet et Champier
Les deux hommes se sont connus. Dolet avait cité Champier, dans ses Commentaires de 1536 en le louant comme réformateur de la médecine et bon latiniste. Ce dernier publiera en 1537 une manière de palmarès dans lequel « le seul écrivain résidant à Lyon à trouver place…est Dolet, dont Champier exalte les diligentia, eloquentia et urbanitas » ( d’après Richard Cooper, professeur à Oxford).
Il ne fait guère de doute que le jeune écrivain qui songeait alors à s’établir comme imprimeur a cherché dans les années 1536-1538 à se mettre en grâce avec des notables, comme Champier, membre du Consulat et ami du Cardinal de Tournon. Mais ces relations ont dû être éphémères. Et pourtant Dolet était très proche des médecins lyonnais, ayant été l’ami de trois d’entre eux, François Rabelais, Jean Canappe et Pierre Tolet. Il publiera dix ouvrages de médecine de janvier 1540 à janvier 1542 de ces deux derniers mais rien de Champier.
Dolet arrivé à Lyon en août 1534, cinq ans après la grande Rebeine, n’a pas eu à se prononcer sur l’événement mais il a vécu d’autres troubles, ceux du « tric », la grève des compagnons-imprimeurs des années 1538-1541. On sait que par nécessité économique ou par choix politique il avait choisi de prendre le parti des grévistes et de satisfaire leurs revendications, ce qui lui avait valu beaucoup d’ennemis (cf. La Doloire n° 16, p. 9 et 10). On peut imaginer que Champier n’a pas apprécié cette position de Dolet, s’il l’a connue (il est mort en 1539), d’autant que les compagnons-imprimeurs grévistes n’hésitaient pas à jouer du bâton ou de l’épée et étaient soupçonnés d’être favorables aux luthériens. Il ne pouvait pas y avoir grand-chose de commun entre le riche bourgeois catholique gardien de l’ordre et l’imprimeur ambitieux mais pauvre et indocile.
En annexe à cette étude :
La Rebeine et les « Identitaires » lyonnais, révisionnistes
La Rebeine (orthographiée « rebeyne ») vient de revenir à l’actualité lyonnaise, brandie non par des affamés ou des chômeurs – ce qui serait à la rigueur dans le fil de l’Histoire – mais, à l’occasion de la Fête des Lumières du 8 décembre 2011, par les membres d’un groupuscule extrémiste de fondamentalistes chrétiens qui s’intitulent « Bloc Identitaire – La Rebeyne ». Il s’agit d’individus racistes, xénophobes et d’inspiration fasciste. Leur participation en cortège religieux à la fête dont ils abominent les aspects profanes serait justifiée par ce qu’ils appellent la défense de « notre identité lyonnaise », la ville de Lyon étant, à leurs yeux, la ville de la Vierge, réservée à la race blanche et chrétienne. Ils sont très logiquement animés d’une haine radicale envers les idéaux de la liberté et de la démocratie républicaine. C’est pourquoi ils dénoncent les révolutionnaires, ceux qui, je cite, « comme en 1793, en 1831 ou en 1834 ou encore en 1871, veulent détruite cette ville ». Leur prétention d’utiliser le mot « rebeine » n’est qu’une manipulation historique, révisionniste, la transformation d’un mouvement révolutionnaire en mouvement réactionnaire. Ils n’ont rien à voir, ni de près ni de loin, avec les révoltés de 1529, dont les héritiers sont évidemment à chercher du côté des révolutionnaires de 1793 ou des révoltés de 1831, 1834.
Dolet et les « Identitaires » : le passé rattrape le présent.
Les « Identitaires » français sont liés au mouvement néo-fasciste italien, dénommé « La Ligue du Nord ».
L’écrivain italien Antonio Tabucchi écrit à propos de cette formation politique : « Elle a une base « culturelle » néopaienne : on y porte la croix celtique, on y croit au dieu Odin, on y adore la divinité du fleuve Pô, où l’on pratique chaque année des rituels purificateurs ». (Le Monde des Livres décembre 2011).
Cela ne vous rappelle-t-il rien ?
Il y a déjà cinq siècles, Dolet ridiculisait les mêmes superstitions, pratiquées à cette époque par l’Eglise catholique àToulouse. Dans son 1er Discours toulousain il s’était exclamé que « la ville de Toulouse vit dans l’ignorance de toute pratique chrétienne et se voue aux ridicules superstitions des Turcs. Certes, de quoi d’autre s’agit-il lorsque […] au jour désigné on baigne une croix dans la Garonne, comme si l’on caressait le front d’un Eridan, d’un Danube ou d’un Nil ou même du Père Océan lui-même pour obtenir que les eaux coulent de façon douce et régulière et ne sortent pas de leur lit » ( Eridan est un ancien nom du Pô).
Où l’on vérifie que Dolet demeure d’actualité.