Ou encore : « …la réputation d'éloquence et la prééminence scientifique ne doivent point du tout dépendre des moeurs et …il arrive en général que chez un homme dissolu menant une vie trop libre le talent s’épanouit avec plus d’intensité et de vivacité, la masse des connaissances s’élève plus haut que chez un homme dont l’existence est austère et pieuse , qui penserait à la façon des moines qu’une teinture de lettres ou une culture plus raffinée sont sacrilèges et qui les considérerait comme ennemies de la piété et de la religion. »
« MOI (Diderot) :… Quand un homme de génie serait communément d’un commerce dur, difficile, épineux, quand même  ce serait un méchant, qu’en concluriez-vous ?
LUI (le neveu) : Qu’il est bon à noyer.
MOI : Doucement, cher homme, ça, dites-moi ; je ne prendrai pas votre oncle pour exemple ; c’est un homme dur ; c’est un brutal ; il est sans humanité ; il est avare ; il est un mauvais père, mauvais époux, mauvais oncle ; mais il n’est pas assez décidé que ce soit un homme de génie,  qu’il ait poussé son art fort loin, et qu’il soit question de ses ouvrages dans dix ans. Mais Racine ? Celui-là certes avait du génie, et ne passait pas pour un trop bonhomme. Mais de Voltaire ?
LUI : Ne me pressez pas ; car je suis conséquent.
 
MOI : Lequel des deux préféreriez-vous ? Ou   qu’il eut été un bon homme, identifié avec son comptoir comme Briasson , ou avec son aulne comme Barbier(5)  ; faisant régulièrement tous les ans un enfant légitime à sa femme, bon mari ; bon père, bon oncle, bon voisin, honnête commerçant, mais rien de plus; ou qu’il ait été fourbe, traître, ambitieux, envieux, méchant ; mais auteur d’Andromaque, de Britannicus, d’Iphigénie, de Phèdre, d’Athalie. »
 

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  3 - Rien d’étonnant, peut-être.  D’une part, la mémoire de Dolet et de ses œuvres était  presque perdue à  l’époque de Diderot . D’autre part, comme l’écrit  Jacques Proust : «  Diderot n’a pas compris le rôle positif  joué dans l’histoire des idées par les humanistes de la Renaissance, par les réformateurs, par les libertins» ( Diderot et l’Encyclopédie, Albin Michel 1995 , p. 248, chapitre VII, L’Histoire de la philosophie, de Pierre Bayle à Jacob Brucker)
  4 - Cette œuvre, écrite en latin n’est traduite que très partiellement en français, entre autres par Claude Longeon  et Jacques Chomarat  (Prosateurs latins en France au XVIème siècle – Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1987). Les citations utilisées dans cette page sont empruntées à J. Chomarat. L’édition prochaine  des Œuvres Choisies de Dolet republiera ces utiles traductions.
   5 - Briasson était syndic des imprimeurs libraires, Barbier un marchand d’étoffes.
 
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Dolet : rappelant que les orateurs Démosthène ou Cicéron,  que l’historien Salluste  n’ont pas toujours été des modèles de vertu, il s’écrie, à l’adresse de Thomas More sensé représenter Erasme :
 
« Elle est sans effet ici ton apologie de la probité, sans effet la gloire de la bonne foi : ce qui a force et valeur c'est, même accompagnée du crime ou du dérèglement, la grandeur et les ressources de l'éloquence qui peut s'épanouir chez n'importe quel homme perdu de vices et couvert d'infamie, mais que la probité ne saurait produire ni entretenir ni accroître. »
 




















Ecartons l’idée que ces écrivains voulaient faire cyniquement l’éloge de tous les vices. C’est tout le contraire. Il  s’agit de la liberté d’expression et de ses frontières.
 
Dolet  s’est avancé imprudemment sur des chemins de l’indépendance de la pensée  interdits par la Sorbonne et l’Inquisition : « Dolet  considère la  littérature comme indépendante de l’éthique et la libère du carcan de la religion » … « Dolet mêle volontairement la morale et la foi. En ce sens, ce mélange fait office de provocation et, en élargissant sa portée, il sert à nier tout droit au dogme chrétien de s’immiscer dans les affaires littéraires.(6) ».Cette audace possible en 1535 quand il publie le « Dialogue contre Erasme », le conduira  au bûcher en 1546. 
 
Diderot commence à rédiger «  Le Neveu de Rameau » vers 1761, quand il est une nouvelle fois menacé de prison, après l’interdiction de l’Encyclopédie. Il a toutes les audaces qui touchent à tous les aspects de la vie sociale et politique mais, par prudence, ne communiquera son œuvre à personne. Elle ne sera connue que longtemps après sa mort. 
 
La rencontre des deux écrivains n’a donc rien de miraculeux.
 
A deux siècles de distance, ils  se rencontrent parce que la libre expression de leur génie se heurte aux mêmes barrières sociales, politiques et religieuses. . Les lignes suivantes qui parlent de Diderot s’appliquent parfaitement à Dolet, il suffit de préciser  que l’humaniste de la Renaissance est en conflit essentiellement avec la foi catholique et ses dogmes.
 
Diderot ( ajoutons : ou Dolet )  « admet volontiers que le génie entre presque nécessairement en conflit avec les conventions et les normes historiquement transitoires de la morale ( organisation de la famille, de l’Etat, devoirs des pères, des époux, des citoyens etc.), qu’il a le droit, sinon le devoir, de s’en affranchir, parce qu’au-delà de ces normes, il existe une réalité morale que, dans ses écarts même, le génie seul, permet d’entrevoir et d’affirmer »(7) .  
 
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6 - Chez Droz, édition des Carmina, par Catherine Pèzeret,  2009, p. 242
7 - Dans l’édition du «  Neveu de Rameau » par Jean Fabre, Droz, 1950- p. 133 , note 41
 
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°21 - mai 2013
 


QUAND DIDEROT RENCONTRE DOLET :
 
le génie est indépendant des  règles morales comme de la foi religieuse
 

Joseph Boulmier, l’auteur d’une Vie de Dolet 1857, tenait  l’humaniste pour un Homme des Lumières :  « Aïeul intellectuel des vrais réformateurs, des francs révoltés du XVIIIème siècle, Dolet avait raison deux siècles trop tôt. Contemporain de Diderot, il eût pu travailler à l’Encyclopédie » ( p. 270).
 
Je ne connais pas de page de Diderot s’exprimant sur Dolet (3) . Il n’en est pas moins vrai que le rapprochement entre Dolet et Diderot est pertinent. On en jugera en comparant des extraits du « Dialogue contre Erasme »(4) (1535) du premier et du «  Neveu de Rameau » du second, (écrit clandestin, rédigé entre 1760 et 1780).
 
Les deux écrivains, à deux siècles de distance, affirment que l’homme de génie sera indépendant du respect des bonnes mœurs,  de la bonne foi  ou  de la foi religieuse. Ou ne sera rien..
Dolet : « … je juge pourtant qu'une vie honnête et la probité des moeurs n'apportent rien à l'art de parler ou à la connaissance de quelque discipline que ce soit; et je n'approuve pas cette définition  de l'orateur qui lui prescrit d'être un homme de bien La bonne foi ne rend personne éloquent, ni les bonnes moeurs habile à parler, ni une vie intègre disert ou savant. »
 
Diderot, dans son chef d'oeuvre " le neveu de Rameau "
 

 





 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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8 - Les « Œuvres de Dolet » en « livre de poche » ?
 

Gérard Morisse a eu le grand mérite de mettre à jour la bibliographie de Dolet. Il a localisé des exemplaires  des 126  œuvres de Dolet, parues de son vivant,  dans 1300 bibliothèques (Claude Longeon, il y a trente ans, n’avait pu en repérer que 719). Il a même découvert 12 éditions supplémentaires.
Il en conclut :
 
«  Dolet est surtout connu pour sa fin tragique. Bien d’autres, pourtant,  ont subi le même châtiment ; or aucun d’eux n’a suscité le même engouement des bibliothèques du monde entier pour tout ce qui le concerne. Si nos    générations ne lisent plus Dolet, les études sur lui sont partout présentes. N’est-ce pas la meilleure preuve que le vœu de Dolet est exaucé : la postérité ne l’a nullement  oublié » («  Dolet et son entreprise d’édition » p. 402).
 
« nos générations ne lisent plus Dolet »
 
C’est vrai. Mais n’y aurait-il pas quelque chose à faire ?
 
Certes, on peut toujours dire que, le public n’ a pas plus besoin de nos jours des écrits de Dolet que de « La Princesse de Clèves ».
Disons-le clairement. Si l’on désire que Dolet soit lu, alors qu’il a disparu même des manuels scolaires des classes de lycée, il faudra se donner les moyens de le rendre accessible. Or ses œuvres et les études savantes qui les concernent ne  sont accessibles assez facilement qu’aux universitaires et elles sont très coûteuses dans les éditions disponibles actuellement.
 
Il serait mal venu de faire le procès d’une maison comme la précieuse Librairie DROZ, mais les « Orationes duae » y sont facturées 56,93€, les « Carmina » 113,85€, le «  De Officio legati » 24,29€, les trois éditions de Claude Longeon, la « Correspondance », les « Préfaces Françaises », « Le Second Enfer » 51,65€, 30,36€ et 14,70€. Si vous ajoutez 72,90€ pour les Actes du Colloque, 72,11 € pour l’édition du « Dialogue contre Erasme » et l’indispensable biographie de Richard Copley Christie pour 30€, vous arrivez à 468,75€.
 
Autre difficulté pour l’amateur : Dolet est  le patron  des traducteurs et il a beaucoup traduit lui-même, à commencer par ses propres œuvres latines, puis Cicéron et d’autres auteurs anciens. Il a imprimé, pour servir la science,  la traduction de huit importants livres de médecine dont six éditions 
princeps . Il s’était fait un devoir de participer de la sorte à l’enrichissement de la langue française. Mais ses œuvres latines sont loin d’être toute traduites. 
    
Il s’agit, essentiellement, du « Dialogue contre Erasme »,  œuvre capitale, remarquablement analysée et annotée par Emile V. Telle, mais jamais traduite, sauf de rares extraits. Il s’agit des nombreuses  « Digressions » et réflexions surprenantes des « Commentaires sur la Langue Latine »,  d’une partie  de sa correspondance. Certes des fragments des traductions qui nous manquent ont paru mais il faut les rechercher, ce qui n’est jamais simple,  dans les biographies et les revues et collections savantes.
 
Une bonne traduction peut pourtant nous en dire long sur le personnage. David Amherdt qui juge indispensable que chacun dispose des textes latins de Dolet, en traduction, écrit  dans sa contribution au colloque (« Etienne Dolet et Jean de Langeac, amour et haine d’un lettré pour son mécène ») : « Nous accorderons une large place au texte des lettres ( de Dolet) et à leur traduction, en nous intéressant en outre à cette, rhétorique toute cicéronienne dont Dolet se sert de manière magistrale pour  souffler le chaud et le froid sur un mécène à  la fois aimé et haï ». Amherdt ajoute en note : «  Nous donnons pour chaque lettre notre propre traduction : il nous a paru utile de rendre plus accessibles ces documents essentiels à la connaissance de Dolet ».
    
     Les « Œuvres de Dolet »  en Poche ? Pourquoi pas ! L’idée est lancée. Qui s’intéressera au projet ?
 


Mais les protecteurs de haut rang ?
 
Richard Cooper (professeur à Oxford) met les choses au point sur ce sujet dans sa contribution au Colloque (« Dolet et les du Bellay »).
On ne sait pas  tout de Dolet  mais comme il est un  personnage historique et politique, sa mémoire ni sa légende ne sont pas enfermées dans les bibliothèques. Un roman moderne, à son tour, après beaucoup d’autres , remet Dolet en scène. Michel Jourde (ENS-Lyon) place en tête de sa contribution au Colloque Dolet -2009  (« Etienne Dolet et Jean de Tournes »), quelques lignes extraites de cette œuvre, roman italien traduit et publié en Français en 2008 :  «  Le Libraire d’Amsterdam »  . Le roman n’est en rien une biographie de l’imprimeur de la rue Mercière mais il fait de Dolet, à travers de nombreuses références, un des trois personnages emblématiques, du combat pour la séparation de la théologie et de la science qui se confond dans des conditions historiques différentes des nôtres avec le combat de la liberté de penser : Dolet brulé en 1546, Giordano Bruno brûlé en 1600 et Galilée persécuté et emprisonné en 1636.
3 – Dolet ressuscité dans un nouveau roman
 





















Je cite le passage choisi par Michel Jourde avec ses commentaires.
 
« Un matin pluvieux de 1535 à Lyon dans l’atelier de Sébastien Gryphius :
 
« Dans l’entrebâillement de la porte apparut la silhouette dégingandée de Dolet qui s’approcha d’eux. Son visage ridé affichait un sourire méchant, et ses yeux brillaient d’un éclat fébrile.
- Ils vont allumer les bûchers à nouveau. Quand ils ont tué son ami Berquin, le roi n’était pas à Paris. Maintenant il y est et il est terrifié.
- Agacé, rectifia Mathieu.
- Terrifié, c’est moi qui te le dis.
- Tais-toi, Etienne ! le réprimanda de Tournes, en affichant une certaine prudence ».
 
C’est seulement dans les romans historiques que l’on peut entendre ainsi dialoguer Etienne Dolet et Jean de Tournes. Dans celui, richement informé, d’Amineh Pakravan, on découvre un Jean de Tournes à la fois attaché à Dolet et soucieux de ne pas le suivre dans ses orientations les plus périlleuses. De telles nuances sont sans doute la traduction romanesque des hypothèses contradictoires que les historiens ont été conduits à élaborer, quant aux relations de ces deux éminents acteurs du livre lyonnais du XVIème siècle, à partir des sources dont ils disposaient […] ».
 

Qu’ajouter ? Dolet, de grande taille et en mauvaise condition physique, en 1535, pouvait avoir une «silhouette dégingandée ». Son «sourire méchant » fait référence à son mauvais caractère redouté.  « L’éclat fébrile » de ses  yeux, c’est la passion qu’il met dans sa vie mais aussi l’effet de la  maladie (il était arrivé à Lyon le 1er août 1534, souffrant d’une grave crise de paludisme (maladie chronique .) Michel Jourde a raison de suggérer en parlant des « orientations périlleuses » de l’humaniste qu’il était imprudent dans ses initiatives qui  le mettaient en danger devant l’Inquisition et le rendaient infréquentable. Un ami véritable, comme Jean de Tournes, lui était cependant  « attaché », tout « en affichant une certaine prudence ».
 
     On peut d’ailleurs souscrire à l’analyse de la situation vers 1540,  énoncée par Mathieu, un des protagonistes du roman, avec cette précision que lui aussi, parce qu’il est un partisan affiché de l’ordre catholique et qu’il est jaloux,  haït Dolet qu’il a bien connu à Lyon. Dolet personnifie le mal à ses yeux et il obligera son fils Simon à assister au supplice place Maubert :
 
« Les imprimeurs étaient prudents, surtout en matière de religion. On ne plaisantait pas avec ce sujet ; ils savaient de quel bois était fait ce dominicain Mathieu Orry. Il n’accordait aucune chance à ceux qui outrepassaient ses limites, même Gryphe était obligé de jouer de temps en temps  au funambule. Dolet, lui, ne s’en souciait absolument pas. Les livres qui sortaient de ses presses étaient une succession de défis. Il se croyait peut-être intouchable […] C’était plus fort que lui, il devait prouver qu’il n’avait pas peur. Et en plus il les agaçait avec ses palabres de bon chrétien. Mais il finit par recevoir la note et la paya, et il la paya vraiment.
[…] Il savait bien que ça se terminerait ainsi, l’imbécile. Il l’avait dit lui-même. La mort, c’est comme s’il la cherchait : ne disait-il pas qu’il ne la craignait pas et même qu’il la désirait ? Personne ne put l’aider. […] L’ennui, c’est que pour une fois, on ne voulait pas seulement brûler un hérétique – et il était pire qu’un hérétique, c’était un mécréant, un padouan qui ne croyait pas même à l’immortalité de l’âme. Cette fois-ci on voulait brûler un libraire. Etienne Dolet et sa réputation faisaient parfaitement l’affaire. »   ( p. 60-61)
     L’enfant qui a les meilleurs souvenirs de Dolet qui jouait avec lui,  voudrait fermer les yeux pour ne rien voir du supplice.
Il se souvient :
 
«  les mots joyeux et sauvages que Dolet jetait au vent résonnaient à ses oreilles […] Il traînait  Simon en riant vers les eaux scintillantes de la rivière,  il s’y jetait en hurlant avec lui, et quand le gamin s’étouffait, le poète maudit le rejoignait en quelques brasses, le saisissait et le ramenait sur la rive, le couchant sur l’herbe avec l’attention d’un père. Il s’asseyait à côté de lui et  reprenait son étrange leçon de latin, en récitant des passages entiers de Cicéron, sans un mot d’explication […] Simon ne comprenait pas ses propos, mais il jouissait ces après-midi-là d’un bonheur envoûtant et sans ombre ».
 
 

   
4- Dolet a-t-il été abandonné aux bourreaux
par ses amis et protecteurs ?
 
     
Au cours des débats enflammés et  répétitifs  qui ont accompagné les décisions municipales de donner le nom de Dolet à une  rue ou de lui ériger un monument (Paris, Orléans, Lyon), entre 1879 et 1940, les membres de l’opposition, appartenant à la droite catholique, ont toujours prétendu que si Dolet n’a pas été tiré des mains des bourreaux, en 1546, c’est parce qu’il avait réussi à se faire haïr de tout le monde et qu’il avait bien mérité son supplice.
 
Il n’était  question, généralement, quand ce sujet était  abordé, que de certains de ses « amis » du groupe des poètes néo-latins comme Visagier, Bourbon, Duchet etc. qui avaient effectivement rompu avec lui dans les années 1538 -1540 ou de certains imprimeurs dont on va reparler. Ces hommes, toutefois, en 1544-46, n’auraient pu lui être d’aucun secours, ils ne disposaient pas d’une  position sociale leur permettant d’intervenir efficacement. Dolet avait beaucoup d’autres amis proches qui ne l’ont jamais trahi. Michel Jourde suggère dans sa conclusion que Jean de Tournes a dû rester fidèle à Dolet, même après son supplice. Voici la  conclusion de son étude  ( Actes p.307) :
 
« De Tournes, semble-t-il a imprimé le nom de Dolet sur une page de titre une seule fois au cours de sa carrière d’imprimeur libraire : c’était en 1549, à l’occasion de la republication de la traduction par Dolet des « Epîtres familières » de Cicéron […] un des plus durables succès de librairie d’une production de Dolet. Cependant, la réédition de Tournes […] se signale par un travail rigoureux, dès le titre, de révision de l’orthographe. Cela ne suffit certes pas à nous informer des sentiments qui pouvaient animer de Tournes à l’égard de Dolet trois ans après la mort de ce dernier. Mais Alfred Cartier, qui avait vu beaucoup de livres de J. de Tournes et qui savait juger, considérait que celui-là était une des plus belles réussites typographiques de toute sa carrière, ce qui, dans l’optique qui fut de bout en bout  celle de de Tournes, ne devait pas être tout à fait sans valeur. »
 
   
 












    
 

«  Les amis haut-placés n’ont rien pu pour le sauver ? »
 
« Un mot sur le procès Dolet. Comment se fait-il que les amis haut-placés de l’Orléanais n’ont rien pu pour le sauver ? Je pense naturellement à Pierre Duchâtel  que Dolet connaissait depuis  1531environ […]. Je pense à François Olivier, chancelier de France […). Je pense surtout à Jean du Bellay . On aurait cru à une intervention de l’évêque de Paris dans la provision pour Dolet d’abjurer par devant l’official de Paris… ; mais l’official était l’un des avocats du for ecclésiastique nommée par le Parlement ; cet official s’était déjà rangé du côté de l’Inquisiteur Ory et ils avaient publié ensemble en juillet 1542 un monitoire excitant les fidèles à la délation.
Avec l’édit de Fontainebleau du premier juin 1540, puis ceux de Lyon (30 août 1542) et de Paris (23 juillet 1543), le climat politique, et l’équilibre des pouvoirs a basculé dans l’intolérance, ainsi qu’en témoigne une lettre de Jean du Bellay à Jean Sturm du 3 novembre 1540 : «  flamma persecutionis universam Galliam pervadet » (les flammes  de la persécution se sont répandues dans  toute la France) .
    
Il  fait part à Sturm de la nomination de Mathieu Ory comme « generalis haereticorum magno Regis stipendio » (Inquisiteur général des hérétiques, avec une grosse rétribution royale),  avec six suppôts,
«  qui ultro citroque commeant, et nimina innocentium deferent, et nimium multos in custodia duci curant. Vetera dilecta et suspiciones et aliquando condonatae paena repetentur, etiam verba aliquando de religione prolata vocantur in calumnias ».  ( qui vont et viennent de tous côtés,  défèrent à la justice beaucoup d’innocents et se chargent de les conduire en prison. Des délits et des soupçons anciens, des peines remises sont rappelés, de même que des propos traitant de la religion sont invoqués dans leurs calomnies).
Richard Cooper commente : «  Etonnante prophétie du sort de Dolet ».
 
Le cardinal de Tournon, effrayé par la Réforme révolutionnaire,  s’était  déjà rallié à l’Inquisiteur général Ory. Le cardinal Jean du Bellay pour sa part avoue sa crainte : 
 
«  Dans ce climat presque paranoïaque, « Nemo etiam apud regem intercedere audit, quo ne se suspectum reddat » (Personne n’ose intercéder auprès du roi sans se rendre  lui-même suspect) et le cardinal craint pour sa propre position.»
 

Le cardinal de Tournon, effrayé par la Réforme révolutionnaire,  s’était  déjà rallié à l’Inquisiteur général Ory. Le cardinal Jean du Bellay pour sa part avoue sa crainte : 
 
«  Dans ce climat presque paranoïaque, « Nemo etiam apud regem intercedere audit, quo ne se suspectum reddat » (Personne n’ose intercéder auprès du roi sans se rendre  lui-même suspect) et le cardinal craint pour sa propre position.»
 
La hiérarchie ecclésiastique lyonnaise fait partie du complot qui veut la mort de Dolet et faire un exemple.
 
« Ce n’est pas que le Parlement de Paris, en la personne de Lizet, et l’Inquisition en la personne d’Ory, qui s’acharnent sur Dolet : c’est l’entourage du cardinal-archevêque de Lyon, Ippolito d’Este, en la personne de son official et vicaire-général, Estienne Faye, aidé par un juge ecclésiastique de l’archidiocèse, Mathieu Bellièvre, chanoine de Saint-Paul. […] Langey est mort mais ni Du Bellay, ni Duchâtel, ni Olivier ne peuvent rien contre Tournon, Ory et, je pense, contre d’Este… ».
   
Dolet n’a pu échapper à ses bourreaux en raison de la terreur répandue par l’inquisition et non parce qu’il était l’objet d’une haine générale.
5 – Les relations de Dolet avec les libraires et imprimeurs
 
«  La troisième section (des Actes), écrit Michèle Clément, aborde les pratiques – si souvent décriées – de Dolet éditeur et imprimeur et ses relations dans le monde socio-professionnel du livre », avec six contributions savantes , sans compter la bibliographie Dolet mise à jour des ouvrages parus à Lyon de son vivant.
 
Dolet avait qualifié – c’était en 1536 -  certains imprimeurs lyonnais d’être des ivrognes  paresseux et cupides- ce qui ne lui avait pas fait  que des amis - et il les accusera, plus tard, en 1542,  devant le roi, de l’avoir dénoncé à l’Inquisition par jalousie de la réussite de son entreprise. Mais il y avait alors à Lyon,  63 imprimeurs. Il semble n’avoir eu affaire qu’à une douzaine d’entre eux, à commencer par Sébastien Gryphe et François Juste. Qu’en a-t-il été de ses relations avec eux ?
 
Le premier l’a accueilli avec une grande bienveillance, quand il est arrivé à Lyon le 1er août 1534, l’a embauché comme correcteur et il imprimera ses ouvrages latins ( Discours toulousains - 1534, Dialogue contre Erasme- 1535, Commentaires sur la Langue latine – 1536 et 1538) , Carmina- 1538).
 
Sa collaboration avec François Juste, à partir de 1536, est d’une nature différente. « Dolet qui entreprend de promouvoir les bonnes lettres françaises et en particulier vernaculaires, voit dans sa collaboration avec l’imprimeur la meilleure façon de soutenir ses ambitions ».  Il jouerait le rôle d’ «  un conseiller éditorial averti qui repère et lance les jeunes talents dans une officine qui réunit tout un groupe de poètes et traducteurs »  (Elise Rajchenbach-Teller), comme en témoigne le « Recueil de vers latins et vulgaires sur le trespas de Feu Monsieur le Dauphin », publié en 1536 chez Juste. Dolet est l’initiateur et il a mobilisé les talents et  les signatures de tous ses amis, Maurice Scève en tête.
Puis les choses se gâtent.
 

« Malhonnêteté » ?
 
       « Malhonnêteté » et même « escroquerie » sont les termes qu’utilise Guillaume Berthon pour parler de  la publication, en 1538  - chez François Juste, sous la responsabilité de Dolet qui inaugure son Privilège, d’une version française du «  Courtisan » dans une traduction, révisée par Dolet et  attribuée au poète de cour  Mellin de Saint-Gelais. Or tout est faux, la traduction n’est pas celle de Mellin de Saint-Gelais et , en guise de révision, l’ édition compte « trois cent quatre-vingt treize coquilles ou fautes de traduction » (d’après Marie-Luce Demonet).
     François Juste n’a pas dû apprécier que la respectabilité de sa maison soit entachée.
    A cette édition « bâclée », va s’ajouter  le   « fiasco » de l’édition Marot.
 
«  Fiasco »
 
    Guillaume Berthon fait l’histoire minutieuse du « fiasco » de cette édition bourrée de fautes de toutes sortes qui a déchaîné la colère de Marot «très sensible à la qualité d’impression de ses textes » et déjà fâché avec d’autres imprimeurs à Paris et à Poitiers, pour les mêmes raisons.
   
     Il obtiendra de Sébastien Gryphe une réédition corrigée et débarrassée de toute allusion à Dolet sauf pour le traiter de « benêt », une injure pour le savant et vaniteux humaniste.
     Il y avait de quoi refroidir les relations de Dolet et de ses deux amis !
    
      «C’est bien à la désorganisation de la correction dans l’atelier de François Juste qu’il faut attribuer le mauvais état global de l’édition de 1538. Et Dolet en porte probablement la responsabilité par négligence plus que par incompétence… ». Les responsabilités sont partagées.  Il est vrai, ajoutera Guillaume Berthon, que Marot est un «  poète qui ne conçoit pas de se noircir les mains à la relecture des épreuves ».
 
6 – Piratage , plagiat ?
 

Quatre ans plus tard, en 1542, l’affaire de la publication par Dolet, du Pantagruel et du Gargantua de Rabelais, peut-elle être qualifiée de piratage ? Rabelais donnait, au même moment,  une édition revue et partiellement expurgée de ces oeuvres chez le successeur  et gendre de François Juste, Pierre de Tours. Son initiative vaudra à Dolet de nouvelles attaques avec  une lettre  de lourdes injures : « plagiaire, homme enclin à tout mal » et l’accusation d’avoir volé le manuscrit. En fait Dolet avait utilisé une édition de 1537 et il s’estimait en droit de lancer sa publication puisqu’elle  entrait dans le cadre des extraordinaires autorisations accordées par son Privilège.    Mireille Huchon avance que la colère de Rabelais est essentiellement celle d’un « grammairien bafoué » qui ne pouvait supporter  que Dolet ait rejeté totalement l’orthographe et la ponctuation de sa « censure antique, patiemment mise au point » pour lui substituer son propre système en train de conquérir «  une grande influence dans les ateliers ». 
 
     Dolet plagiaire ? Il n’est pas douteux que Dolet, quoique gros travailleur,  n’a pas rédigé ses énormes Commentaires sur la Langue Latine ou même les Comptes amoureux qui lui sont attribués  sans des emprunts  à  des travaux antérieurs. La contribution de Sophie Astier («  Les Gestes de François Ier  roi de France ») appelle à relativiser nos jugement sur ces pratiques. Il  avait postulé, vainement, à la fonction d’historiographe du roi, ce qui avait  dû l’inciter à ses publications en latin ( les « Fata ») en 1539  puis en français (les « Gestes ») en 1540, pour rendre compte des hauts faits du règne.
 
« On sait depuis longtemps que, pour sa compilation historique… Etienne Dolet a très largement puisé dans la chronique médiévale de la Mer des histoires[…], en de nombreux passages on peut constater que Dolet reprend textuellement le texte dont il s’inspire... ».
Or la Mer des histoires copie tout aussi littéralement ses sources qui peuvent être des « publications officielles » ou les «  multiples feuilles d’information qui circulent à cette époque, relatant les événements récents ». Dans la réédition de 1543, Dolet prend de l’assurance et son texte « est un moment de propagande très marquée. Le ton n’est plus du tout celui du récit, mais bien du pamphlet » (contre Charles Quint). L’imprimeur a des accents patriotiques et est parfois plus royaliste que le roi.
 
C’est alors que Dolet est emprisonné et dans l’incapacité d’envisager des rééditions augmentées ou de défendre son bien et parce que ces chroniques  avaient une excellente vente, qu’il sera pillé et piraté. Quatre éditions se suivent à Paris chez Alain Lotrian en 1543 et 1544. Bien d’autres éditions de Dolet seront piratées. Ses « Formulae latinarum locutionum illustriorum » par exemple ; Mme Valérie Worth signale que ses éditions médicales n’échappèrent pas non plus au piratage : « D’autres imprimeurs moins scrupuleux comme Denys Janot à Paris ne tardèrent d’ailleurs  pas  à tirer profit de son industrie ».
    
On le voit, les pratiques professionnelles de l’imprimeur n’ont pas toujours été innocentes, mais ne peut-on lui trouver quelques excuses ?  La fâcheuse édition du «  Courtisan », le fiasco de l’édition Marot pourraient traduire l’avidité d’un homme, humilié par l’exil de Toulouse, par sa pauvreté, pressé, trop pressé, de connaître la gloire comme de monnayer son privilège du 8 mars 1538. Guillaume Berthon  précise : « sans doute la mésaventure (de l’édition Marot) servira-t-elle de leçon au jeune libraire dont les deux prochaines éditions marotiques seront techniquement irréprochables ». On peut en dire autant de l’ensemble de ses publications ultérieures, en particulier de la belle et soigneuse édition de Rabelais.
 
Par ailleurs, nombre de ses collègues faisaient bien pire. Tenons compte que les mœurs commerciales n’étaient pas codifiées  au XVIème s. comme elles le sont de nos jours.
 
Dolet pouvait-il  se justifier de ses emprunts, au moins à ses propres yeux,  en.se rappelant que Cicéron ne se cachait pas des siens dans la rédaction des traités de philosophie de ses dernières années ?
Mais  allait-il payer ses fautes de la solitude et de l’abandon par le monde de l’ l’imprimerie,  quand l’Inquisition allait le frapper ? 
 
Gérard Morisse n’aboutit pas à cette conclusion quand il étudie ce qui s’est passé dans l’atelier de Dolet à compter de la fin juillet 1542, au moment où il est arrêté.
 
« Il ne lui restera plus, au total, que deux mois et demi à travailler dans son officine jusqu’à la fin de sa vie ».
 
Probablement grâce au financier, commanditaire de Dolet, Héluyn Dulin, «  La Doloire » va fonctionner à  plein rendement :         «  il chargera Antoine Constantin, un autre de ses protégés, de faire le nécessaire avec l’aide de Sulpice Sabon […]. Dolet fut actif sept mois en 1542 et deux mois et demi en 1543. Malgré cela sa production paraît plus importante que jamais, c’est dire à la fois son acharnement au travail, même depuis la prison, et l’efficacité de l’équipe réunie par Dulin pour le seconder ».
Enfin Gérard Morissse, comme Michel Jourde, arrive à la conclusion que Jean de Tournes lui est resté fidèle. Il  a pu lui aussi être commandité par Dulin, si bien que dans les années 1540-1542, ses rééditions d’ouvrages déjà imprimés par « La Doloire » ne relèveraient pas de la concurrence mais  d’un projet concerté.
S’il avait pu échapper à la mort, Dolet  aurait pu retrouver son atelier intact. Il n’avait certes pas que des ennemis dans le milieu professionnel.
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7- L’affaire du « Cymbalum Mundi »
 

Rappel : Jean-François Vallée défend, depuis au moins 2005,  une  « hypothèse » dont il  s’était  dit  très « fier » : puisque le roi François Ier a donné  le 5 mars 1538  l’ordre de poursuivre l’imprimeur du  « Cymbalum Mundi », ouvrage jugé pernicieux et puisque Etienne Dolet, qui se trouvait alors à la  cour, a reçu le lendemain 6 mars, un privilège d’imprimer exorbitant de dix ans, il faut en conclure que l’humaniste lyonnais était récompensé par ce cadeau  d’avoir dénoncé le « Cymbalum ». Il faisait même d’une pierre deux coups, puisqu’en plus de l’obtention du Privilège, il obtenait de faire disparaître un ouvrage qui le présentait, auprès des connaisseurs , comme un mauvais chrétien. Jean-François Vallée, considérant Dolet comme le « suspect numéro un » (sic), son  «hypothèse » devient une accusation.
 
     Je me suis déjà prononcé pour rejeter cette hypothèse aventureuse et, M. Vallée n’avançant pas  l’ombre d’un argument nouveau, je n’ai aucune raison d’y revenir . Elle ne repose sur aucune autre « preuve » qu’une coïncidence de dates et des spéculations infinies sur les ruptures et querelles subies ou causées par Dolet à cette époque en oubliant que leur cause profonde, en plus du caractère difficile de l’imprimeur, tenait probablement  à mille  différends, tenant à des conflits de caractère et d’intérêt, ou à des querelles  religieuses, l’humaniste surveillé par l’Inquisition étant devenu de plus en plus infréquentable. La contribution de Laurent Calvié, (« Etienne Dolet et Bonaventure Des Périers ») au cours du Colloque Dolet de Lyon de novembre 2009, aurait pu mettre fin au débat. Mais il n’en a rien été,  M. Vallée a répliqué dans une contribution (« Theatrum Mundi ») dans les Actes. Qu’en dire ?
 
M. Vallée ne semble plus du tout persuadé de la validité de son hypothèse, à en juger par  la multiplication de formules qui expriment son embarras. Florilège : il reconnaît  que son « hypothèse » avait été avancée « trop hardiment peut-être ? », qu’elle était soutenue par « divers éléments de preuve plus circonstanciels ou plus difficiles à démontrer ». Il qualifie à deux reprises  ses développements de « spéculations d’un rêveur philosophe ». Il écrit encore : « tout le reste n’est et ne peut être que spéculation », ou « je n’ai pu m’empêcher par moments de déraper et de faire des suppositions qui reposent sur des fondations moins solides ». Enfin il  juge très sévèrement : « (ses) hypothèses manifestement trop spéculatives sur le processus nébuleux qui a mené à la censure du Cymbalum ».  « Enfin, dit-il encore, il faut bien l’admettre, j’ai été motivé par l’orgueil et la vanité des chercheurs ».
 
     Après cette auto-critique en règle, le lecteur s’attend à ce que leur auteur renonce à son hypothèse accusatrice mais le  tour de passe-passe d’une proposition qui va étonner bien des savants, lui permet de la maintenir : « Certes, une telle hypothèse demeurera toujours incertaine et impossible à démontrer avec certitude…comme toutes les autres ».
  
      Nul  ne prétend  interdire à des chercheurs d’avancer des hypothèses de travail. On se réjouira cependant, que  M. Vallée finisse par affirmer qu’il se retire de l’arène :
 
- « Voilà aussi pourquoi j’ai décidé, dorénavant, de ne plus dire un seul mot au sujet des clés, des allégories et des énigmes inextricables qui entourent le Cymbalum et son funeste destin éditorial » . (Actes du colloque – Theatrum Mundi – p.134.Souligné par moi)
 
«  Errare humanum est,
perseverare diabolicum »
« Si Etienne Dolet a été brûlé place Maubert, c’est parce qu’il était accusé d’athéisme. On lui a reproché de nier les notions de providence divine et d’immortalité de l’âme, essentielles au christianisme. Dans les Fata Francisci Valesii Gallorum Rex…, non content d’utiliser et d’afficher dès le titre la notion de « fatum », ou « destin », considérée par les théologiens comme contraire à l’idée de la toute-puissance de Dieu, il explique l’emploi de ce terme en le liant aux « Dieux », qui ont pu être perçus comme ceux du paganisme antique, d’où l’accusation d’athéisme. L’immortalité de l’âme semble remise en cause dans cette traduction de l’Axiochus jointe auSecond Enfer, où Etienne Dolet écrit « tu ne seras plus rien du tout » au lieu de « tu ne seras point » : « Parquoi elle [la mort] ne peut rien sur toi, car tu n’es pas encore prêt à décéder : & quand tu seras décédé, elle n’y pourra rien aussi : attendu que tu ne seras plus rien du tout. »
(L’Encre et le feu, 2009)
« Contre le jeu de mots propagé par Dolet lui-même d’un « Doletus dolens » ( Carmina I,51) , si l’on essaie de faire – un peu –  abstraction de sa destinée pathétique, de sa mort sur le bûcher en 1546 et du motif étroit allégué pour la condamnation, parce qu’ils orientent durement notre regard sur son parcours intellectuel et tendent à figer l’image de l’homme en « martyr de la Renaissance » ou en héros d’une pensée affranchie dont le sens est bien difficile à évaluer pour nous, et si l’on évite de projeter une lecture idéologique a priori pour rester au plus près de son intense activité qui se concentre sur dix ans, presque entièrement lyonnais entre 1534-1544,  c’est l’énergie d’entreprendre qui saute aux yeux, la multiplication des projets intellectuels, ainsi que l’importance du réseau d’amis et de protecteurs qu’il bâtissait ou dynamitait avec un tel sens du non à-propos ».(p. 10)
518 pages, l’introduction de l’éditrice et 22 contributions. Tel est le pavé de l’édition par Mme Michèle CLEMENT (Université Lyon2) des Actes du  Colloque 2009 de Lyon, sous le titre « Etienne  DOLET- 1509-2009 ». (Droz, Genève,  volume 98 des «  Cahiers d’Humanisme et Renaissance »).
    
Le rédacteur de ce bulletin ne prétend aucunement rédiger un compte-rendu complet. Il a  puisé librement  dans les réflexions, informations et perspectives nouvelles qu’apportent les «  Actes » et a cru pouvoir en retenir, une fois reprécisé notre point de vue,  ce qui intéresse le plus directement   l’association  dans sa  défense de la   mémoire de Dolet.
« Et nonobstant cette famine le peuple de Lyon était paisible sans murmuration aucune : mais depuis la venue de cette fausse secte nouvellement non trouvée, mais renouvelée, des ces maudits vaudois et chaignarts venant de septentrion, Unde omne malum & iniquitas (d’où provient tout mal et injustice) le peuple a pris une élévation et malice en lui qui ne veut être corrigé ni d’un maître ni d’un seigneur ni d’un prince si ce n’est par la force.
Il y a là de graves imputations. « Le pôvre », pour qui le pain est devenu inaccessible, se dit victime d’usuriers, larrons et spéculateurs sur le blé, protégés par le consulat, le gouverneur  et les gens de justice.
 
Le dimanche 25 avril, deux mille personnes se rassemblent, place des Cordeliers. Les rebelles forcent les portes du couvent des Cordeliers, sonnent le tocsin,  donnent  l’assaut des riches demeure  à la recherche du grain. Les édiles prennent la fuite et vont s’enfermer derrière les murs du cloître de la cathédrale Saint-Jean puis organisent la répression.
 
Pour aujourd’hui nous permettra-t-on, avec un peu de malice, de rapporter une réflexion amusante d’un professeur d’Oxford, Richard COOPER, au cours du colloque Dolet ?  Il a commencé son intervention en disant : « On a eu beaucoup de colloques en 2009 pour fêter  des gens  nés en 1509. On a eu le plaisir d’entendre une communication sur l’humour de Calvin… elle a été courte ( rires) ».
L’année 2009 a été celle du 500ème anniversaire de la naissance de Calvin comme de Dolet. La Poste a émis un timbre pour chacun des humanistes.
 
Les Archives municipales de Lyon ont consacré  une exposition importante à « Lyon protestant » - (1562), avec l’édition d’un livre qui accompagnait l’exposition et des conférences.
-Suite  - 2ème partie -  au prochain numéro dans laquelle sera établie une comparaison entre les comportements et la pensée politique et philosophique de Maître Etienne Dolet, libraire-imprimeur humaniste  et du grand bourgeois et notable, membre du Consulat, médecin reconnu, humaniste catholique intraitable et infatigable polygraphe, Symphorien Champier.
Champier ( ci-contre)  est surtout connu dans nos livres d’Histoire par sa diatribe contre les émeutiers de la faim de la Grande Rebeine qui pillèrent sa belle demeure, sise place des Cordeliers, le 25 avril 1529.
On sait depuis toujours qu’à part les subventions reçues de  ses protecteurs ou amis – l’évêque Jean des Pins, le professeur Boyssoné à Toulouse et même après son arrivée à Lyon en 1534 l’ont généreusement aidé – il  ne disposait plus, en 1538, quatre ans plus tard,  l’année du « privilège » royal, d’aucune source de revenu régulier. Les bienfaiteurs (dont on ne sait rien) qui lui avaient permis d’étudier à Paris puis à Padoue ne l’entretenaient  plus. Laïc, il ne touchait pas de bénéfice ecclésiastique et n’aurait pu y prétendre, il n’était pas valet de chambre du Roi ou de Marguerite de Navarre, comme Marot ou Des Périers.
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°16 - fév 2010
 


Dolet et Calvin …et l’humour
 












Nous y reviendrons, ce sera  l’occasion de  suivre  ce qu’a été l’évolution des esprits, surtout à compter des années 1530, dans le monde de l’imprimerie.
 














 
Dolet avait-il de l’humour ?
Ses détracteurs le lui refusent. Mme PEZERET, également présente au Colloque, conclut sa thèse sur les « Carmina » en disant : «  Pourtant, l’humour, Dolet n’en manquait pas, car il avait sans doute compris que cette qualité constituait un moyen de réflexion, une arme destructrice si on savait l’utiliser […] Dolet prend souvent très au sérieux sa mission de poète-humaniste civique mais le sérieux de sa réflexion passe aussi parfois par le rire ». (Droz, p.246)
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°16 - fév 2010
 

Quel genre de bourgeois a pu être
l’imprimeur à la Doloire d’Or?
 


1ère partie : Un chef d’entreprise rapace ?
 

En plus d’être un « corbeau », l’imprimeur de la rue Mercière aurait-il été un rapace ?
 
Dolet faisait preuve de « cupidité », ou d’  « avidité » quand il « monnayait » avec d’autres éditeurs ou imprimeurs  le prêt de son «  privilège d’imprimer », a-t-on entendu, au cours du colloque.  C’est l’occasion de tenter de s’expliquer sur les rapports de Dolet et  l’argent.
 
















Laïc, il ne touchait pas de bénéfice ecclésiastique et n’aurait pu y prétendre, il n’était pas valet de chambre du Roi ou de Marguerite de Navarre, comme Marot ou Des Périers. Il avait fait l’expérience à Venise, pendant un an, d’être  le secrétaire d’un prince de l’Eglise, le riche évêque-ambassadeur à Venise, Jean de Langeac qui a été son protecteur quand il l’a envoyé étudier le droit à Toulouse. Mais par un  souci d’indépendance affirmé, Dolet renonça à ce type de carrière auprès des grands, tout en continuant, à travers ses dédicaces à les solliciter, le mécénat, en faveur des hommes de lettres, étant à ses yeux  légitime  et nécessaire.
 
Il n’était pas riche pour autant. La lettre d’Odone, en 1536, fait une  description de la misère dans laquelle il vivait à Lyon : il porte une vieille petite veste à l’espagnole dont ses amis-ennemis  se moqueront longtemps, il n’a certes pas l’élégance  de Nicolas Bourbon  qu’il accueillera à Lyon et dont nous possédons le portrait réalisé par Holbein, en 1535, à Londres (ci-contre) ; il en est réduit, pour quelque maigre subside,  à  apprendre les lettres dans son logis à de turbulents  écoliers. Il travaille également comme correcteur chez Gryphe, mais il ne retire de cette tâche que des sommes dérisoires.
 
Là-dessus, grâce à son travail,  ses publications, grâce à la notoriété qu’il a acquise en quelques années, il obtient son «  privilège » en 1538. Pourquoi n’en profiterait-il pas ? Il a l’ambition de devenir patron imprimeur et libraire, un bourgeois.
 
A une époque, à Lyon, où s’accumulent de gros capitaux, notamment au cours des quatre grandes foires annuelles, où les banquiers florentins font des fortunes, construisent des demeures princières (comme Gadagne dont l’hôtel, devenu le musée historique de Lyon,  vient d’être restauré), élèvent de riches chapelles dans les couvents des Jacobins ou des Cordeliers,  où les séjours nombreux de la Cour donnent lieu à des fêtes et des dépenses fastueuses, pourquoi ne tenterait-il pas de réussir à son tour ? Il vient de se marier, il aura un fils en 1539.  S’adressant à cet enfant dans  « L’Avant-Naissance… », il lui assurera que «  de tout temps l’usance / Est et sera que l’homme sans avoir / N’est rien prisé … » fût-il aussi savant que «  le tant éloquent  / Marc Cicéron. Brief, on se va mocquant / De tout lettré si en biens il n’abonde… ». 
 

Ou un jeune entrepreneur en train de réussir mais très endetté ?
 

Il prend alors  le risque de s’endetter lourdement en empruntant au total près de 2900 livres tournois entre 1539 et 1542 auprès d’un  financier Hellouin Dulin pour acheter et installer trois presses.
 
Lors du colloque une autre contribution a fourni une intéressante évaluation permettant de se rendre compte de ce que représentait une telle somme. La journée d’un compagnon imprimeur était payée 6 sols 6 deniers. Les 2900 livres tournois, c’était  24 années de travail d’ un compagnon ! Vingt-quatre années ! Il faut préciser qu’en tant que spécialistes et travailleurs organisés et revendicatifs, comme le prouve leur grève (le « tric ») des années 1539 -1541, les compagnons imprimeurs n’étaient certainement pas les ouvriers les plus mal payés de la ville. Et de plus, ils étaient nourris par leurs patrons. Dans les pages qu’il  a consacrées à la Rebeine, Symphorien Champier, qui avait été membre du Consulat, précise le montant du budget de la ville :  « …la ville n’a pas trois mille livres tournois ou environ tous les ans ». La dette contractée par Dolet est réellement considérable.
 
Alors, il est bien possible que Dolet ait été dur en affaires. Il n’aimait pas certains de ses collègues qu’il avait traités d’ivrognes, paresseux, incompétents et avares dans ses « Commentaires sur la langue latine ».  De plus, il était sujet à la colère, il en convient lui-même, en ajoutant qu’ « il ignore ce que sont l’envie, l’avarice et la crainte » (Carmina I, 29) .  Nombre de maîtres-imprimeurs le détestaient. Il les accusera de l’avoir dénoncé à l’Inquisition en 1542,  si l’on en croit les Lettres de rémission du Roi de juin 1543 : 
 
« …les autres maîtres imprimeurs et libraires de notre ville de Lyon auraient pris une grande jalousie et une secrète envie voyant qu’il commençait à honnêtement profiter et que par succession de temps il pouvait grandement s’augmenter et tant à cette occasion que pour avoir par lui soutenu les compagnons imprimeurs au procès mû entre les dits maîtres et eux, ces maîtres auraient conçu haine mortelle et inimitié capitale entre lui et se seraient ensemble bandés pour conspirer sa ruine avec tous les moyens qu’ils ont pu penser et aviser ; et entre autres auraient suscité l’inquisiteur de la foi  avec son promoteur et les vicaires officiaux de l’archevêché de Lyon et pareillement notre procureur au dit Lyon, pour informer et procéder à l’encontre de lui, le chargeant d’être hérétique et schismatique ensemble et plusieurs autres cas et crimes, en sorte qu’il aurait été pris au corps et constitué prisonnier en nos prisons de Lyon… ».
 
Evidemment, ces lignes nous donnent la version des événements de Dolet lui-même. Claude Longeon juge qu’il n’est pas « psychologiquement soutenable »  que ses confrères aient livré Dolet à l’Inquisition, ne serait-ce que parce qu’eux-mêmes imprimaient secrètement des livres interdits et servaient de relais aux ouvrages hérétiques de Genève. «  En revanche on peut admettre qu’ils eurent la prudence de répondre favorablement au tribunal qui sollicitait leurs  témoignages afin d’endormir sa curiosité ; un marché : charger Dolet pour écarter les soupçons qui pouvaient peser sur eux-mêmes ».
 
Retenons que   Dolet ne fait pas mystère de son  ambition de réussite  bourgeoise : «  il commençait à honnêtement profiter », «  par succession de temps, il pouvait grandement s’augmenter ». Qui peut lui en faire un crime ?  «  Il offrit, écrit encore Longeon,  à ceux qu’il embaucha entre 1538 et 1540 des salaires supérieurs à ceux de ses concurrents afin de venir à bout  dans les meilleurs délais de l’immense tâche de publications qu’il s’était fixée » Ce choix eut un prix. Ses affaires ne furent pas améliorées par l’Inquisition qui interdit à l’exposition, ainsi qu’à la vente des éditions (Les  Carmina, entre autres ) dès 1538 et  va saisir, par la suite,  et détruire par le feu des éditions entières.
 
Ne faisons pas d’angélisme. Croit-on qu’au temps de Dolet, les entrepreneurs Turquet Etienne et Bartholomé Naris,  pour prendre un exemple bien connu,   ne firent  preuve ni de  « cupidité » ni  d’« avidité - » dans l’exploitation de « la main d'oeuvre de femmes et d’enfants pauvres de l’Aumônerie Générale » utilisée dans leurs ateliers de soierie dont François Ier venait de leur donner le monopole  (Dictionnaire historique de Lyon p.1333)
 





















Turquet deviendra même administrateur de l’Aumônerie Générale, organisme de  charité, certes, mais tout autant de police  et d’exploitation d’une main d’œuvre sans défense.
 
Nul doute que ces premiers canuts ne recevaient que la plus maigre pitance, ce qui sera le sort de tous leurs successeurs et sera à l’origine de révoltes régulières.
 
Alors ? Maître Dolet qui avait accepté de satisfaire les revendications des compagnons-imprimeurs (même s’il y trouvait son intérêt) et qui avait pour ami un des délégués des compagnons-imprimeurs, Pillet (à qui il a dédié ainsi qu’à  de Jean de Tournes, une chanson à boire), était-il vraiment un chef d’entreprise « avide » et « cupide » ?
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°17 - jan 2012
 

1529 – La grande Rebeine deLyon
La grosse colère du bourgeois Symphorien Champier
Champier et Dolet
 
Le numéro précédent de La Doloire a consacré un article au sujet suivant : «  Quel genre de bourgeois a pu être l’imprimeur à la Doloire d’Or » ? Voici la suite qui, à partir de l’histoire de la grande Rebeine, donne un autre portrait de bourgeois avec le notable Symphorien Champier.
 
On appelait « rebeine » au XVIème s., à Lyon, une rébellion populaire. Celle du 29 avril 1529 est restée célèbre, au point, on le verra en conclusion, qu’un groupuscule d’extrême droite prétend de nos jours  s’en réclamer, récupération mensongère et stupide de l’événement.
 
Le 18 avril 1529, l’affiche du « pôvre »,  affamé et révolté, fut placardée dans toute la ville et jusque  sur les portes de Saint-Bonaventure, l’église du couvent des Cordeliers :
 
L’affiche des émeutiers
 
"L'on fait assavoir à toutes gens de la commune de la ville de Lyon, Premièrement à tous ceux qui ont désir de soustenir le bien public, pour répugner la malice et fureurs des faux usuriers, plaise vous à avoir regard comme le détriment du blé nous tombe sus sans l'avoir mérité, à cause de leurs greniers pleins de blé, lesquels ils veulent vendre à leur dernier mot, ce que n'est de raison ;
Et si Dieu n'y met la main, il faudra en jeter en l'eau tant y en a, et ainsi, vu la grâce Dieu et la bonne disposition du temps et qu'il ne se fait nuls amas de blé pour la guerre, et en outre que justice favorise avec gens gouverneurs et conseillers, usuriers et larrons, y mettre ordre ;
Feignant user dignité, ils nous rongent de jour en jour, comme par vérité le voyez devant vos yeux advenir la cherté dudit blé et autres denrées, qui est chose vile et infâme ; par quoi à l'exemple des autres bonnes villes, que toute la commune soit délibérée y mettre bon ordre, telle que l'en fait au blé avant qu'on l'ôte de la paille, c'est qu'on le bat et escoux. Il nous faut faire ainsi à ces maudits usuriers et à ceux qui ont greniers et enchérissent le blé. Sachez que nous sommes de quatre à cinq cents hommes, que nous sommes alliés ;
Faisons savoir à tous les dessus-dits qu'ils aient à se trouver dimanche, après-midi, aux Cordeliers, pour donner conseil avec nous d'y mettre ordre et police, et ce sans faute, pour l'utilité et profit de pauvre commune de cette ville de Lyon et de moi. Le Pôvre"
 














La demeure du riche bourgeois Symphorien Champier, la plus proche du lieu de rassemblement, est envahie la première,  en sa présence, et pillée. Cette maison, détruite lors des travaux de percement de la rue Impériale, sous Napoléon III, s’élevait à peu près en face de l’église, à l’emplacement où se trouve à présent l’immeuble de la Chambre de Commerce».
Champier sera désormais obsédé par la Rebeine et un  des plus enragés à faire arrêter et pendre meneurs et révoltés.
 
Qui était Symphorien Champier (1472 environ -1539) ? Un lyonnais de grande notoriété en son temps, premier médecin du Duc de Lorraine, allié à la famille du chevalier Bayard, membre du Consulat de la Ville, humaniste savant et ennemi juré de la Réforme,  écrivain polygraphe et compilateur  infatigable, un des fondateurs du Collège de la Trinité  (devenu notre Lycée Ampère). « Sa gloire restée intacte jusqu’à son dernier jour ne lui a pas survécu », écrit son biographe Paul Allut, en 1856.
Une rue, à l’ouest de l’église Saint-Bonaventure, porte encore son nom mais il n’est plus guère  connu que pour sa diatribe contre les émeutiers de la faim de la Grande Rebeine.
 
Diatribe de Symphorien Champier
 
Il vient d’expliquer que d’autres famines ont eu lieu dans la passé à Lyon sans aboutir à des révoltes. Sous l’appellation de « Vaudois », ce sont bien les partisans de la Réforme (venus de « septembrion », c’est-à-dire du nord, autrement dit les luthériens)  qu’il accuse d’être responsables des troubles.
 















Et les serviteurs veulent aussi bien être traités que les maîtres : et au lieu que de notre temps les serviteurs étaient humbles aux maîtres et étaient sobres et mettaient beaucoup d’eau dans leur vin, & les vignerons se contentaient du breuvage qui, aux vendanges, est fait avec de l’eau mise dans le marc  après que le vin est tiré de dessus ledit marc : mais de présent, ils veulent boire du meilleur vin comme les maîtres sans eau ni miction aucune, qui est chose contre toute raison : car Dieu veut qu’il y ait différence entre le maître et le serviteur, et Saint Pierre l’apôtre le commande en son épitre être obéissant à son maître et croire son commandement , autrement le monde serait sans ordre, & les biens de terre demeureraient sans cultiver & labourer comme sont en Hongrie, là où la terre est très bonne entre les autres terres terres d’Europe. » (extrait de l’Antiquité origine et noblesse  de la ville de Lyon, publié en latin puis « translaté » en français, en 1537, huit ans plus tard) .
 
La répression
 
Dans sa biographie de Champier, en 1856,  Paul Allut, qualifie les rebelles de 1529  de «  gens sans aveu et de mauvaise vie et traînant à leur suite des femmes perdues ». Il est vrai que cet auteur parle en mêmes termes des canuts insurgés de 1831 et 1834. Ce furent en réalité des  « hommes de art mécanique» selon le mot de Champier lui-même, artisans, compagnons et autres pauvres lyonnais affamés.
Mais indigné, outragé, le même Champier portera plainte et rassemblera des témoignages  des bourgeois victimes des visites domiciliaires ou selon les termes de la « Procédure »,  des « séditions, pilleries, larcins, monopoles et assemblées illicites faites à son de cloche et tocsin ». Les dénonciations portent, en tout premier, contre  Jehan Muzy, un maître d’armes,  que les émeutiers appelaient «  chief et capitaine ». Onze potences furent dressées en urgence de Pierre-Scize au pont du Rhône. Enquêtes, poursuites et jugements sommaires  se poursuivirent pendant deux ans avec des arrêts de justice sans pitié : pendaisons, galères, fustigations des femmes comme des hommes à travers la ville, bannissements.
 
Dolet et Champier 
 
Les deux hommes se sont connus. Dolet avait cité Champier, dans ses Commentaires  de 1536 en le louant comme réformateur de la médecine et bon latiniste. Ce dernier publiera en 1537 une manière de palmarès dans lequel «  le seul écrivain résidant à Lyon à trouver place…est Dolet, dont Champier exalte les diligentia, eloquentia et urbanitas » ( d’après Richard Cooper, professeur à Oxford).
Il ne fait guère de doute que le jeune écrivain qui songeait alors à s’établir comme imprimeur a cherché dans les années 1536-1538 à se mettre en grâce avec des notables, comme Champier, membre du Consulat et ami du Cardinal de Tournon. Mais ces relations ont dû être éphémères. Et pourtant Dolet était très proche des médecins lyonnais, ayant été l’ami de trois d’entre eux, François Rabelais, Jean Canappe et Pierre Tolet. Il publiera dix ouvrages de médecine de janvier 1540 à janvier 1542 de ces deux derniers mais rien de Champier.
Dolet  arrivé à Lyon en août 1534, cinq ans après la grande Rebeine, n’a pas eu à se prononcer sur l’événement mais il a vécu d’autres troubles, ceux  du « tric », la grève des compagnons-imprimeurs des années 1538-1541. On sait que par nécessité économique ou par choix politique il avait choisi de prendre le parti des grévistes et de satisfaire leurs  revendications, ce qui lui avait valu beaucoup d’ennemis (cf. La Doloire n° 16, p. 9 et 10). On peut imaginer que Champier n’a pas apprécié cette position de Dolet, s’il l’a connue (il est mort en 1539), d’autant que les compagnons-imprimeurs grévistes n’hésitaient pas à jouer du bâton ou de l’épée et étaient soupçonnés d’être favorables aux luthériens. Il ne pouvait pas y avoir grand-chose de commun entre le riche bourgeois catholique gardien de l’ordre et l’imprimeur  ambitieux mais  pauvre et indocile.
 
En annexe à cette étude :
 
La Rebeine et les « Identitaires » lyonnais, révisionnistes
 
La Rebeine (orthographiée «  rebeyne ») vient de revenir à l’actualité lyonnaise, brandie non par des affamés ou des chômeurs – ce qui serait à la rigueur dans le fil de l’Histoire – mais, à l’occasion de la Fête des Lumières du 8 décembre 2011, par les membres d’un groupuscule extrémiste de fondamentalistes chrétiens  qui s’intitulent « Bloc  Identitaire – La Rebeyne ».  Il s’agit d’individus racistes, xénophobes et d’inspiration fasciste. Leur participation en cortège religieux à la fête dont ils abominent les aspects profanes serait justifiée par ce qu’ils appellent la défense de  « notre identité lyonnaise », la ville de Lyon étant, à leurs yeux, la ville de la Vierge, réservée à la race blanche et chrétienne. Ils sont très logiquement animés d’une haine radicale envers les idéaux de la liberté et de la démocratie républicaine. C’est pourquoi ils dénoncent les révolutionnaires, ceux qui,  je cite, « comme en 1793, en 1831 ou en 1834 ou encore en 1871, veulent détruite cette ville ». Leur prétention d’utiliser le mot «  rebeine » n’est qu’une  manipulation historique, révisionniste, la transformation d’un mouvement révolutionnaire en mouvement réactionnaire. Ils n’ont rien à voir, ni de près  ni de loin, avec les révoltés de 1529, dont les héritiers sont évidemment à chercher du côté des révolutionnaires de 1793 ou des révoltés de 1831, 1834.
 
Dolet et les « Identitaires » : le passé rattrape le présent.
 
Les « Identitaires » français  sont liés au mouvement néo-fasciste italien, dénommé « La Ligue du Nord ».
L’écrivain italien Antonio Tabucchi écrit à propos de cette formation politique : «  Elle a une base « culturelle » néopaienne : on y porte la croix celtique, on y croit au dieu Odin, on y adore la divinité du fleuve Pô, où l’on pratique chaque année des rituels purificateurs ». (Le Monde des Livres décembre 2011).
Cela ne vous rappelle-t-il rien ?
Il y a déjà cinq siècles, Dolet ridiculisait les mêmes superstitions, pratiquées à cette époque par l’Eglise catholique àToulouse. Dans son 1er Discours toulousain il s’était  exclamé que « la ville de Toulouse vit dans l’ignorance de toute pratique chrétienne et se voue aux ridicules superstitions des Turcs. Certes, de quoi d’autre s’agit-il lorsque […] au jour désigné on baigne une croix dans la Garonne, comme si l’on caressait le front d’un Eridan, d’un Danube ou d’un Nil  ou même du Père Océan lui-même pour obtenir que les eaux coulent de façon douce et régulière et ne sortent pas de leur lit » ( Eridan  est un ancien nom du Pô).
Où l’on vérifie que Dolet demeure d’actualité.
 
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°18 - mai 2012
 

  Un songe, me devrais-je inquiéter d’un songe ? »
(Jean Racine, Athalie II, 5)
 

    
On s’interroge depuis près de cinq cents ans sur la pensée philosophique et religieuse de Dolet.
On est en droit de penser qu’il a surtout été un cicéronien obstiné, habité d’une passion qui ne pouvait faire de lui un chrétien orthodoxe, catholique ou réformé. Je ne reviens pas là-dessus. (cf mon livre p.150, 155).
 
Cicéronien ou chrétien ? Le débat est plus ancien que Dolet ! Il est amusant de relire à ce sujet le célèbre «  Songe de Saint Jérôme », rapporté dans «  La Légende dorée »  du moine dominicain Jacques de Voragine (1228-1298). La légende dJérôme, traducteur des textes sacrés en latin (La Vulgate),  fustigé par les anges, est illustrée ici par un tableau « La vision de Saint Jérôme » de Bernardino Mei, peintre italien, natif de Sienne (1612-1676).
 

















« Jérôme fut le fils d'un homme noble nommé Eusèbe, et originaire de la ville de Stridonie, sur les confins de la Dalmatie et de la Pannonie. Jeune encore, il alla à Rome où il étudia à fond les lettres grecques, latines et hébraïques. Son maître de grammaire fut Donat, et celui de rhétorique, l’orateur Victorin. Il s'adonnait nuit et jour à l’étude des saintes Ecritures. Il y puisa avec avidité ces connaissances qu'il répandit dans la suite avec abondance. A une époque, il le dit dans une lettre à Eustachius, comme il passait le jour à lire Cicéron et la nuit à lire Platon, parce que le style négligé des livres des Prophètes ne lui plaisait pas, vers le milieu du carême, il fut saisi d'une fièvre tellement subite et violente, que son corps se refroidit, et la, chaleur vitale s'était retirée dans sa poitrine. Déjà, on préparait ses funérailles, quand tout à coup, il est traîné au tribunal du souverain juge qui lui demanda quelle était sa qualité, il répondit ouvertement qu'il était chrétien.
 
«  Tu es cicéronien, tu n'es pas chrétien »
 
     « Tu mens, lui dit le juge, tu es cicéronien, tu n'es pas chrétien car où est ton trésor, là est ton cœur ». Jérôme se tut (133) alors et aussitôt le juge le fit fouetter fort rudement Jérôme se mit à crier : « Ayez pitié de moi, Seigneur, ayez pitié de moi. » Ceux qui étaient présents se mirent en même temps à prier le juge de pardonner à ce jeune homme. Celui-ci proféra ce serment : « Seigneur, si jamais je possède des livres profanes, si j'en lis, c'est que je vous renierai. » Sur ce serment, il fut renvoyé et soudain il revint à la vie. Alors il se trouva tout baigné de larmes, et il remarqua que ses épaules étaient affreusement livides des coups reçus devant le tribunal de Dieu. Depuis, il lut les livres divins avec le même zèle qu'il avait lu auparavant les livres païens. 
 
    Erasme, amateur et éditeur lui-même de Cicéron,  a écrit sur cette légende. Le professeur E.V.Telle, grand connaisseur de Dolet  et d’Erasme, nous en donne la raison : « C’est une occasion pour l’humaniste, dans l’édition des « Opera Hieronymi » de 1516, de livrer bataille aux moines ignares et superstitieux qui, selon les érasmiens, regardaient les belles lettres et  Cicéron d’un œil soupçonneux […]. Cette scolie disparaîtra dans la deuxième édition - août 1528 »  (L’Erasmianus d’Etienne Dolet p. 422-423, édition de E.V. Telle, Droz 1974).
    
     Erasme,  entre ces deux dates 1516 et 1528, avait changé d’avis, au point de se censurer lui-même. L’Eglise de Rome, déjà mise en danger par Luther, l’est aussi, à ses yeux,  par la résurgence du paganisme. 1528,  c’est deux ans après la publication de son dialogue contre les Cicéroniens de Padoue, les maîtres de Dolet et en tout premier, contre Christophe de Longueil, un Maître, dont Dolet va prendre vigoureusement la défense. E.V. Telle écrit :   Erasme « chargeait Longueil, mort depuis quatre ans, d’être le fauteur d’une secte aussi redoutable, par la virulence et le nombre de ses adeptes, que celle des Luthériens […]. Erasme avait osé formuler à l’endroit des Cicéroniens une accusation d’une gravité exceptionnelle et, en l’an 1528, capitale. Il les chargeait d’être des imposteurs du christianisme et de vouloir ressusciter le paganisme ».
    
   « Accusation capitale ? » Odone, jeune Erasmien, qui vient de rencontrer Dolet à Lyon, ne va-t-il pas en 1535 se demander si « l’université et le Parlement de Paris  n’ont pas l’intention de faire subir la peine capitale » à ce « singe de Cicéron » «  à la conduite impie ».
   
     Onze ans plus tard, ce sont bien ces institutions évoquées par Odone, qui satisferont son souhait !
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°19 - sept 2012
 

Du bon usage
des Actes du COLLOQUE DOLET de 2009
 




















      
1 – Dolet, la «  légende » et  l’histoire
 
























Où est la vérité de Dolet ?
Mme Michèle Clément écrit dans son introduction :
 
« Contre le jeu de mots propagé par Dolet lui-même d’un « Doletus dolens » ( Carmina I,51) , si l’on essaie de faire – un peu –  abstraction de sa destinée pathétique, de sa mort sur le bûcher en 1546 et du motif étroit allégué pour la condamnation, parce qu’ils orientent durement notre regard sur son parcours intellectuel et tendent à figer l’image de l’homme en « martyr de la Renaissance » ou en héros d’une pensée affranchie dont le sens est bien difficile à évaluer pour nous, et si l’on évite de projeter une lecture idéologique a priori pour rester au plus près de son intense activité qui se concentre sur dix ans, presque entièrement lyonnais entre 1534-1544,  c’est l’énergie d’entreprendre qui saute aux yeux, la multiplication des projets intellectuels, ainsi que l’importance du réseau d’amis et de protecteurs qu’il bâtissait ou dynamitait avec un tel sens du non à-propos ».(p. 10)
Cet appel conduit à cette conclusion :
 
« Nous souhaiterions que ce volume contribue à faire oublier la légende Dolet pour mieux exprimer la richesse de ses entreprises humanistes ».
                                                                                                                       
Nul doute que les chercheurs nous ont appris et  ont encore beaucoup à nous apprendre sur Dolet.  En  tant qu’association laïque des Amis d’Etienne Dolet, nous partons d’un point de vue plus politique qu’eux. 
 

                                                               
2- La légende de Dolet est fille de l’histoire, elle est politique
 
On en prendra pour nouvelle illustration la publication, par Mme Marie-Luce Demonet (Université de Tours) en exergue à sa contribution, ayant  pour titre « Que faire avec les Commentaires sur la langue latine ? », d’une nécrologie de Dolet, natif d’Orléans, rédigée par un Orléanais cinq ans après son exécution : 
 
«  Exécution d’un « nommé Etienne Dolet, natif d’Orléans, libraire & imprimeur de Lyon tant pour heresie, que pour avoir imprimé, vendu & distribué aucuns livres censurez, & mal sentans de la foy :  lequel fut en son vivant grand blasphemateur, & sanguinaire ,  neantmoins de grand scavoir en lettres humaines, comme ses livres en peuvent testifier » ( Tiers Livre de la fleur et mer des hystoires, Oudin petit, 1551, par Jean Le Gendre, mathématicien orléanais à l’année  1546) » .
 
Du Verdier, en 1573, près de trente ans plus tard, dira la même chose, saut pour ce qui regarde l’homicide de Compaing : « Mais enfin, avec son savoir, étant poussé du diable, (il) fut convaincu d’athéisme et brûlé à Paris publiquement ».
 
Dolet n’a pas été mis à mort pour le punir  du meurtre de Compaing. Mais on trouve  ici l’origine de la face noire de la  « légende » : Dolet était un être malfaisant, exécré de tous, une incarnation diabolique.
 
On pourrait ne plus  tenir compte d’une telle appréciation mais elle est toujours vivante, même sous des formes atténuées. L’actualité le rappelle.
 

      
    Musée virtuel du diocèse de Lyon
 
Ce musée conclut une  biographie consacrée à Dolet par les lignes ci-dessous empruntées à la présentation de l’exposition «  L’encre et le feu » réalisée par la Bibliothèque Municipale de Lyon, à l’occasion du Colloque  DOLET de novembre 2009 :
 




























Ce texte de l’exposition ne fait pas problème. A nos yeux, tout au moins. Il n’en va pas de même du commentaire qui le suit immédiatement, succinct mais fort édifiant :
 
« Etienne Dolet joue la provocation. Il le paye de sa vie en 1546. »
(GILMONT, 2006)
 
Ainsi, aux yeux de M. Gilmont,  le fait pour Dolet d’avoir voulu rester fidèle à lui-même, à sa liberté intellectuelle, aurait été et est toujours considéré comme  une   « provocation » qui devait le conduire au supplice.
 
Rhétorique de Tartuffe : ce n’est plus l’Inquisition avec son Inquisiteur général, Frère Mathieu Ory, ce n’est plus l’Official  et l’archevêque de Lyon, ce n’est plus l’ennemi de l’imprimerie, Pierre Lizet, le président du Parlement de Paris  qui l’ont fait étrangler et brûler avec ses livres. Il  est mort victime de lui-même. 
 
On lira dans le chapitre 4 de ce bulletin les informations qu’a apportées lors du colloque le professeur Richard Cooper d’Oxford sur la mise à mort de Dolet.
 
 
 













Nous ne songeons aucunement  à faire dans le pathétique, mais comment pourrions-nous renoncer, sans renier l’histoire, à qualifier  Dolet de martyr de la libre pensée ou de la pensée libre ou de la liberté de penser, comme on voudra.    
Les protestants français vers la fin du XIXème s., sans oser faire de Dolet un huguenot converti car  il n’avait pas, ajoutaient-ils la « vocation du martyre » - le qualifiaient de « libre croyant ». Herriot, à Lyon, en 1913, défendra l’honneur  du « martyr de l’indépendance de la pensée » devant son Conseil municipal contre son opposition de la droite catholique.
 


      «  Martyr de la langue »
 
Mme Marie-Luce Demonet ajoute un chapitre intéressant au débat.
Retenant une interprétation (de Francis Higman)  qui accorde  à Dolet
«  une pensée indépendante » et même une sorte de « théologie naturelle, Dieu étant compris comme grand architecte », elle ajoute :
 
« Cette interprétation n’exclut pas […] la présence d’un véritable sentiment religieux, teinté d’une liberté aussi suspecte aux calvinistes qu’aux inquisiteurs » (p. 186).
 
Ce jugement fait partie du débat ancien et légitime sur la pensée philosophique et religieuse  de Dolet. Par contre ce qui suit est plus nouveau :
 
« Loin d’être un martyr de la libre-pensée, et encore moins de l’Evangile, Dolet serait un martyr de la langue. Il a cru que la force de son verbe pourrait convaincre son inquisiteur qu’il n’était ni calviniste ni mécréant ». ( p.191)
 
«  Martyr de la langue » ? Il  est certain que le disciple de Cicéron croyait en la puissance du verbe, trop, sans doute,  mais s’il est certain qu’il n’a pas hésité à tenir tête à Ory, le traitant d’âne  - Mme Demonet le rappelle -  et à dénoncer la censure des théologiens « vicieux »  de la Sorbonne,  a-t-il cru qu’il pourrait convaincre  ces fanatiques ? 
 
Qu’en a –t-il dit ?
« De contester cause avec eulx plus avant, ce serait peine perdue : car encores qu’ilz congnoissent leur tort, la coustume est de le maintenir jusque au dernier poinct ; et s’ilz ont puissance, ilz ne faillent d’exercer toute rigueur contre  ceulx qui ne leur adherent. Je les laisserai doncqs pour telz qu’ilz sont[…]. »
 
Il s’en est tenu à dire et imprimer ce qu’il croyait juste. En ce sens il est bien martyr de la langue, comme défenseur de la liberté  d’expression.
     On nous invite à ne pas « figer »  l’image de Dolet «  en héros d’une pensée affranchie dont le sens est bien difficile à évaluer pour nous ». Soit. Mais les parts d’ombre de sa pensée et de son activité ne sauraient faire disparaître l’obstination existentielle de l’homme bien formulée par Claude Longeon :
 
«  Il revendique la liberté de l’oiseau »
 











    
Photo AM Callamard – tag sur un trottoir, Lyon, 2012
     
La citation de Claude Longeon ci-dessus, en plus de sa portée métaphorique, fait allusion au récit fait par Dolet de son évasion des mains de ses geôliers en janvier 1544, rue Mercière :
« Les animaulx et les oyseaulx des champs,
Quand ilz sont prins, ne sont rien recherchants,
Que liberté. Suys-je aultre qu’une beste,
Ou ung oyseau, qui se rompt corps et teste
Pour se trouver hors de captivité ? »
( Second Enfer , Epître au Roi. vers 209-213)
 
Cette obstination à défendre la liberté de l’esprit  ne se retrouve-t-elle pas à toutes les étapes  de sa vie ?  Dolet n’a-t-il pas  condamné, dans  ses discours toulousains,- publiés en 1534-  non seulement les superstitions religieuses mais l’intolérance meurtrière qui avait fait brûler le professeur Caturce ? N’a-t-il pas réclamé «  la liberté de penser » dans ses Commentaires sur la Langue latine – publié en 1536 ? Ne s’est-il pas  indigné du décret  d’interdiction de l’imprimerie ?  N’a-t-il pas méprisé toute censure traitant les Sorbonnards de monstres au nom de la liberté d’écrire et d’imprimer librement  en 1542 ? ).
 
C’est à ce titre qu’il est un authentique ancêtre de la liberté de penser.
 



 


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Bulletin n°20 - nov 2012
 

Bulletin n°21 - mai 2013
 


Bulletin n°22 - nov 2013
 

AUTRES ARTICLES PARUS DANS LA DOLOIRE
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°20 - nov 2012
 
Message adressé à la Fédération de Haute-Savoie de la Libre Pensée
à l'occasion de l'Hommage rendu le 27 octobre 2012
à ANNEMASSE à  MICHEL SERVET
 
L’Assemblée Générale de l’Association Laïque des Amis d’Etienne DOLET  réunie le 25 octobre à Lyon s’associe à l’hommage qui sera rendu à Michel Servet le 27 octobre à Annemasse.
 
Etienne Dolet a été brûlé le 3 août 1546, place Maubert, à Paris, condamné à mort à la fois par l’Inquisition catholique et la justice royale. Michel Servet a été livré au bûcher le 27 octobre 1553, à Genève, sur l’ordre du Grand Conseil, livré à la mort par Calvin aidé, en l’occasion par  Mathieu Ory, Inquisiteur général du royaume de France.
 
Dolet et Servet sont deux victimes emblématiques du fanatisme religieux  et c’est un devoir de maintenir leur mémoire vivante, pour la défense de la liberté de pensée, la liberté d’expression, surtout à un heure où partout dans le monde, et même en France, en dépit de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat,  les Eglises tentent de ressusciter l’horrible délit de blasphème.
 
Nos amis de la Haute-Savoie nous ont remerciés. Ils ont fait état de notre message au cours de la cérémonie organisée  par la fédération de la Libre Pensée et le maire de la ville : Christian Dupessey.
 
Le monument Servet d’Annemasse, érigé
en 1908, fut détruit sous Vichy le 13 septembre
1941 et rétabli le 4 septembre 1960.
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