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La Doloire Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°19 - sept 2002
Documents : 1534-1542 - Une orientation permanente chez Dolet :
défense de la tolérance, de la liberté de pensée et d'expression
1er janvier 1534
2ème discours toulousain : plaidoyer pour la tolérance religieuse
en juin 1532, le professeur Jean de Caturce et vingt et une autres toulousains accusés d’hérésie avaient été brûlés vifs.»
« un peu plus d’indépendance et de liberté »
« Mais pour quelle raison (ô malheur !) l’inhumanité fait-elle les délices de Toulouse ? Pourquoi cette ville a-t-elle de telles coutumes qu’elle se réjouit uniquement de s’adonner à tout ce qu’il y a d’éloigné de la nature humaine, à tout ce qu’il y a d’incompatible avec l’esprit de justice ? Il a peut-être pu dire hardiment beaucoup de choses, il s’est peut-être entouré de tous les crimes, il a peut-être reconnu tout ce qui mérite la punition accordée aux hérétiques, celui que vous avez vu brûler vif dans cette ville (je tais le nom du mort, certes consumé par le feu, mais cependant encore aujourd’hui consumé par les flammes d’une brûlante malveillance). Et malgré tout cela, le chemin de la santé et du salut, fallait-il le fermer au pénitent ? Ne savons-nous pas que c’est le propre de tout homme de tomber dans l’erreur et de glisser mais que c’est uniquement celui qui se détourne de la sagesse qui demeure dans l’erreur ? Une fois dissipé le nuage dans lequel il se trouvait, fallait-il néanmoins renoncer à l’espoir qu’il saurait bientôt découvrir la lumière ?
Puisqu’il était en train de se tirer du tourbillon et du gouffre de l’erreur en cherchant à atteindre le havre du bien, pourquoi n’ont-ils pu se mettre d’accord pour lui offrir la possibilité de ramener son vaisseau en arrière ? C’était là son dernier mot, son appel de la sentence de l’archevêque et de la peine capitale prononcée par le Parlement ; qui saurait nier que, selon toutes les normes de la loi, pareil appel aurait dû être considéré comme recevable, et alors soutenu. Mais il ne lui a été d’aucune utilité d’avoir voulu se remettre sur la bonne voie après s’être égaré. »
( Dolet poursuit en dénonçant «les superstitions extravagantes et la religion corrompue » de Toulouse qui expliquent les atrocités des persécutions.)
« Et pourtant elle ose – cette ville, si mal et si faussement instruite dans la foi du Christ – elle ose prescrire pour tous les lois de la pratique chrétienne, et tout ramener sous son autorité et son commandement. Elle ose imprimer comme une meurtrissure le nom d’hérétique sur celui qui s’attache aux commandements du Christ avec un peu plus d’indépendance ou de liberté, tout comme s’il avait renoncé à l’intégrité et à la pureté de la foi. D’autre part, ceux qui sont entourés de brouillard et de ténèbres, qu’elle voit vivre de façon superstitieuse chez elle, Toulouse les considère et respecte comme des prêtres sacrés, ou bien les vénère comme Dieu même.»
( Extraits p. 171-173 de la traduction des Discours par Kenneth Llyod-Jones et Marc Van der Poel – Droz 1992)
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1536
Extrait des « Commentaires de la Langue Latine » - tome I- colonne 266
Défense de la liberté de l’imprimerie contre le « complot abominable et méchant
des sophistes et des ivrognes de la Sorbonne ».
« Je ne peux passer sous silence la méchanceté de ces misérables qui, méditant la destruction de la littérature et des hommes de lettres, ont voulu dans notre temps supprimer et anéantir l’exercice de l’art typographique. […]. Ils ont pris pour prétexte que la littérature servait à propager l’hérésie luthérienne, et que la typographie soutenait ainsi cette cause. Race insensée d’imbéciles ! Comme si les armes étaient mauvaises ou destructives par elles-mêmes et comme si, parce qu’elles blessent et tuent, il fallait en défendre l’usage aux hommes bons qui se défendent eux-mêmes et défendent leur pays ; seuls les méchants se servent des armes pour leurs mauvais desseins.[…] Ce complot abominable et méchant des sophistes et des ivrognes de la Sorbonne a été réduit à néant grâce à la sagesse et à la prudence de Guillaume Budé, la lumière de son siècle, et grâce à Jean du Bellay, évêque de Paris , homme aussi remarquable par son haut rang que par sa valeur personnelle ».
(Extraits p. 222-223 tirés de la biographie d’Etienne Dolet de Richard Copley Christie, édition française de 1886, traduite par Casimir Stryienski. – Slatkine reprints Genève 1969)
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1538
Extrait des « Commentaires de la Langue Latine » – tome II - colonne 1158
Eloge des Lettres : « Ce qui nous manque, la liberté de penser… »
« Nihil desit praeter antiquam ingeniorum libertatem… »
“Les études littéraires sont cultivées partout avec tant d’ardeur que, pour arriver à la gloire des anciens, il ne nous manque rien, si ce n’est l’antique liberté de penser et la perspective de se voir distingué quand on se consacre aux arts libéraux. Ce qui fait défaut aux savants, c’est l’affection, la libéralité, la courtoisie des puissants ; le patronage d’un Mécène est un stimulant nécessaire pour faire éclore le talent et pour encourager le travail. Il nous manque encore ce qui favorise l’éloquence : un sénat romain, une république, dans laquelle les honneurs et les éloges qui sont dus à l’art oratoire, lui fussent accordés ; de cette manière, les natures les plus paresseuses seraient réveillées, et ceux qui possèdent naturellement les qualités de l’orateur seraient enflammés au plus haut degré. Au lieu de ces encouragements à l’étude des arts libéraux, on remarque, chez un grand nombre de personnes, un certain mépris pour la culture littéraire. On couvre de ridicule ceux qui sont voués aux choses de l’esprit ; il faut travailler sans espoir de récompense ; les gens studieux ne connaissent pas les honneurs ; il leur faut supporter le mépris de la multitude, la tyrannie et l’insolence des puissants ; et les études littéraires mettent souvent en danger la vie de ceux qui s’en occupent ».
( Extrait p.245-246 de la biographie de Richard Copley Christie . cf ci-dessus)
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1er janvier 1542
Extrait de la lettre-préface, dédiée à Lyon Jamet, de l’édition de « L’Enfer » de Clément Marot, récit de ses emprisonnements.
« La liberté que doibt avoir l’esprit d’un Autheur. » (En marge )
[…] « Que pleust à Dieu que la description de cest horrible Monstre, Procès, laquelle est en ce petit livret, fust bien entendue et repceue. Il est certain que l’on ne voyrroit tant d’innymitiés et rancunes (chose totallement contrevenante à la loy de Dieu) entre les Chrestiens, ny tant de destructions et ruynes de plusieurs bonnes maisons et familles.
Voyla le profict, que l’on peult prendre, en ceste Poësie Marotine ; en laquelle je ne trouve rien scandaleux, ou reprehensible, sinon que quelcques gens chatouilleux des oreilles, ou (possible) pleins de trop grande arrogance, se voulussent attribuer aulcuns passages de cest Œuvre, comme se sentant pinsés sans rire. Mais de tout cela il n’en est rien ; ains tout le discours se faict par la commodité de l’argument, representant les choses qui peuvent advenir, ou escheoir en tel cas. Tel effort d’esprit doibt estre libre, sans aulcun esgard, si gens mal pensants veulent calumnier ou reprimer ce qui ne leur appartient en rien. Car si un autheur a ce tintoin en la teste que tel ou tel poinct de son ouvrage sera interpreté ainsi ou ainsi par les calumniateurs de ce Monde, jamais il ne composera rien qui vaille. Mais (comme j’ay dict cy dessus), moyennant que la religion ne soyt blessée ; ny l’honneur du Prince attainct, et que aulcun ne soyt gratté ( encores qu’il soyt roigneux) apertement (comme par nom ou par surnom), le demeurant est tolérable, et ne fault pas apres que lascher la bride à la plume, ou aultrement ne se mesler d’escrire. Car si tu composes à l’opinion d’aultruy, tu te trouveras froid comme glace ;et myeux vauldroit te reposer.» […].
(Extrait de l’édition des « Préfaces Françaises » établie par Claude Longeon - Droz, 1979.)
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Avant octobre 1542
Préface de l’édition de Dolet du « Chevalier Chrestien », d’Erasme
( L’édition latine datant de 1503 avait été condamnée par la Sorbonne le 31 janvier 1540)
« Je n’ay crains mettre en lumiere ce présent œuvre »
«Je ne sçay qui peult avoir aultresfoys esmeu quelcque personnaiges (Lecteur) d’entrer en opinion que ce présent œuvre d’Erasme fust scandaleux ou illicite. Je sçay et tiens le contraire (et ne le dys sans l’avoir leu diligemment et avec grande attention) que si les vicieux ne s’y trouvent offensés, aultre chose n’y a qui ne soit louable et de grand fruict. Je dys notamment les vicieux, desquels on peult veoir à l’œil les abus, superstitions et arrogances en ce petit Livret. Mais si pour cela aulcuns le trouvent de maulvais goust, je vouldrois sçavoir d’eulx s’ilz me pourroyent prouver par quelles loix et statuts (soit des infideles ou des Chrestiens) la reprehension des vices n’est permise. De contester cause avec eulx plus avant, ce serait peine perdue : car encores qu’ilz congnoissent leur tort, la coustume est de le maintenir jusque au dernier poinct ; et s’ilz ont puissance, ilz ne faillent d’exercer toute rigueur contre ceulx qui ne leur adherent. Je les laisserai doncqs pour telz qu’ilz sont, et demeurreray en ceste opinion que touts livres, non contrevenantz à l’honneur et gloire de Dieu doibvent plus tost estre repceus que rejectes. Pour cette cause je n’ay crains de mettre en lumiere ce present œuvre ».
( D’après l’édition des « Préfaces Françaises », établie par Claude Longeon, p. 141 -Droz- 1979.)