« Monsieur le Moyne, inquisiteur de la foy, (je ne sais, si plutôt se devrait appeler l’inquiétateur d’yicelle), de déclarer ici les vices du personnage, ce serait chose importune à votre Sacrée Majesté.  Et laisseray faire cela à ceulx de Bourges, d’Orléans, de Poictiers et de Paris , et plusieurs autres particuliers , qui congnoissent la preud’hommie, la doctrine et les beaulx faicts d’ung tel homme. »
[…] Quant à moi je n’en connus jamais un plus ignorant, un plus malin (habité par le mal) et plus appétant (recherchant) la mort et destruction d’un Chrétien ».
(1543 - Préface des Tusculanes)
 
   
 
Evidemment Etienne Dolet vouait à son persécuteur une haine profonde dont témoignent l’épigramme suivante tellement révélatrice (qui n’est peut-être pas de sa main) et la lettre- préface des Tusculanes :
 
Je croy que tu n’es qu’une beste
 
Dolet enquis sur le poinct de la foy,
Dict à Ory qui faisait cette enqueste :
« Ce que tu crois, certes point je ne croy,
Ce que je croy ne fut oncq en ta teste. »
Ory pensant l’avoir pris en fit feste
Luy demanda : » Qu’est-ce que tu crois doncq ? »
« Je croy, dit-il, que tu n’es qu’une beste
Et si croy bien que tu ne le creus oncq . »
---------------------------------------------------------------------------------------
La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°22 - nov 2013
 


UN DOMINICAIN
 


Le personnage ci-contre n’est pas Ory, mais il en a l’habit. Si l’on avait à faire un portrait de ce moine, on pourrait s’inspirer d’une description que fait Roger Vercel de son capitaine Conan.
   
«  C’est un petit breton, un  Malouin râblé, à épaules larges, avec de gros bras durs et une tête ronde, un visage qui semble avoir été repoussé du dedans par une boule,  des joues rouges et luisantes… »
     
Rabelais  le tenait  pour un imbécile. Dans son « Pantagruel » de 1532 – en tant qu’inquisiteur Ory avait déjà eu l’occasion de prendre la défense de Loyola à la Sorbonne où il était docteur en théologie – Rabelais ttribue à « nostre maistre D’Oribus » un sermon portant sur les vertus des pissats de chiens en teinturerie  (Ch. 22).
 
«  Là où l’on brûle des livres,
on finit aussi par brûler des hommes. »
(1821 - H. Heine).
 
La police de la pensée  celle de Goebbels comme celle d’Ory, exige tout à la fois la destruction des livres coupables et celle de leurs auteurs. Le rapprochement qu’a réalisé Peter Meazey  s’impose. En l’année 1544 où il obtient de la Sorbonne l’imprimatur pour son Alexipharmaaon,  l’Inquisiteur Mathieu Ory préside lui aussi à un autodafé de  livres, ordonné, à sa demande, par le Parlement de Paris, le 14 février 1544, ceux de Dolet, devant Notre Dame de Paris.
 
Deux ans plus tard, Dolet périra sur le bûcher
     Certains défendent Vercel, professeur de lettres, qui aurait été un grand humaniste.
 
Vaine défense. N’avait-il pas entendu, cet  humaniste,  les hurlements de  Joseph Goebbels appelant le 10 mai 1933, place de l’Opéra à Berlin,  la jeunesse allemande à brûler les livres des Juifs :
 
      « Le siècle de l'intellectualisme juif poussé à l'extrême est révolu et la révolution allemande a rouvert la voie à l'être allemand. »   
 
C’était quoi pour Roger Vercel   «  l’élimination du Juif » en  octobre 1940, en zone occupée,  quand il écrit ses éditoriaux, à l’heure exacte où Pétain s’engage dans sa mortelle politique antisémite ?
Un écrivain du lieu, Peter Meazey, en découvrant, dans le journal local Le Petit bleu des Côtes d’Armor, la double  information d’un festival Ory et de Vercel antisémite, s’exclame, indigné :
 
«  Je crois rêver… »
 
« Je crois rêver,  on parle de débaptiser le collège Roger Vercel… et de lancer un festival au nom de Mathieu Ory le Grand Inquisiteur. D’un côté, on s’interroge, avec raison, sur quelques textes lamentables. De l’autre, c’est toute l’horreur de l’intégrisme religieux du Moyen-Âge qui va servir d’accroche pour une fête populaire. Avec bûcher ? ».  
 
« L’élimination du Juif »
 
     La Fédération Nationale des déportés, internés, résistants et patriotes a demandé, il y a un an,  aux présidents des Conseils généraux des Côtes d’Armor et de la Sarthe, que les deux collèges de Dinan(22)  et du Mans (72) qui portent le nom de l’écrivain soient débaptisés.
     Roger Vercel a, en effet,  rédigé des éditoriaux, à partir de 1940 à 1944, dans un journal de la collaboration, contrôlé par les forces d’occupation, « L’Ouest-Eclair ». On lui reproche en particulier  des articles antisémites qui lui avaient  valu d’ailleurs d’être mis à la retraite d’office le 19 septembre 1945 par le ministre de l’Education nationale. Une commission d’historiens doit remettre un rapport en  cet automne 2013 avant qu’une décision soit prise. Vercel écrivait, par exemple :
 
       «  […] il est une chose - importante et que l’on peut affirmer, c’est que l’élimination, entre autres,  du Juif, en tant que penseur et écrivain, réagira d’extraordinaire façon sur la littérature de demain.  Lorsqu’il ne sera plus là, on s’apercevra de la place qu’il avait usurpée et l’on en sera stupéfait… ».
    
Vercel ne fait pas la moindre allusion aux féroces  persécutions  conduites par l’Inquisiteur mais il tient à le féliciter d’avoir participé à la promotion de la Compagnie de Jésus.
Et  voilà que l’année-même du festival Ory  à Caulnes éclate le scandale de l’affaire Roger Vercel, accusé d’avoir écrit des articles antisémites sous l’occupation nazie.
---------------------------------------------------------------------------------------
La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°22 - nov 2013
 


L'AFFAIRE ROGER VERCEL
 


Roger VERCEL (1894-1957), l’auteur de «  Capitaine Conan »,  a écrit sur Caulnes, et Ory, dans un article de  « La Bretagne touristique » consacré à  la Rance:
 
- «  Après avoir divagué dans des vallons friables, traversé des landes de bruyère, des villages de terre jaune, la Rance arrose sa première ville, Caulnes, filleule de Conan. En 1487 y naquit Mathieu Ory qui fut frère-prêcheur et Pénitencier apostolique. Ce fut à lui que l’on déféra le livre d’un certain Inigo, Espagnol de Biscaye, livre qui fleurait l’hérésie et débordait de nouveautés suspectes. L’auteur avait failli être fouetté en cérémonie au Collège Sainte-Barbe. Mais Mathieu Ory approuva sa doctrine et défendit Ignace de Loyola devant le pape . Nous devons à un fils de Caulnes la Compagnie de Jésus ». note 1
 
------------
note 1 - Loyola avait été persécuté et même emprisonné par l’Inquisition espagnole. En France, Ory le tira d’affaire en 1529  et  porta témoignage  en faveur du fondateur de la Compagnie de Jésus   en novembre 1538, à Rome,  devant le pape Paul III.
 
Il est d’autant moins capable de porter un jugement objectif sur la situation qu’il  fait partie des privilégiés. Il vit dans les honneurs et en sécurité puisqu’il dispose de la force armée,  qu’il est bien rémunéré  comme officier de la justice royale - note 4. Il participe à son niveau  à la corruption, si l’on en croit, une chronique de l’époque : «  Ory n’était méchant que pour ceux qui ne finançaient pas en sa bourse. Il devenait doux et facile à l’égard de ceux qui le payaient ; dans la ville de Sancerre, par exemple, il traita  avec modération les protestants qui lui donnèrent de bon vin ; et pour une somme ronde on obtient de lui d’excellents certificats de catholicité » note 5.
 
------------
note 4 - le cardinal du Bellay écrit qu’il recevait de François 1er « une  grosse pension » de 300 livres qui fut doublée par Henri II en 1555.
 
note 5 - Lamothe-Langon vol.III , livre 16 .- Cité par Christie p 395
 






2- Sauver la société en péril
 

Par contre, Ory avait  parfaitement  conscience du  danger de subversion totale du pouvoir clérical et féodal   que représentaient les hérésies quand elles s’emparent des masses.
« Si on ne les attaque pas […] il arrivera que les hommes de cette farine enlèveront au Prince de l’Eglise les clés du Royaume céleste …s’ils le peuvent. Ils  n’accordent aux rois, aux chefs, aux puissants, ni leur pouvoir suprême, ni leur règne, ni leur autorité, ni leur puissance. Ils détruisent tout le droit qui régit la société humaine. »
 

3- Les responsables des hérésies, à détruire, ce sont les humanistes
 

Les savants  humanistes - note 6 - des XIVème, XVème et XVIème siècles, ouvrant la voie aussi bien aux réformes religieuses qu’ à la recherche scientifique ou la liberté de pensée, ont permis de retrouver et publier les écrivains de l’antiquité gréco-latine, de corriger les erreurs de la Vulgate  et  ont voulu en  donner des traductions en langues vulgaires - note 7.
 
Les théologiens accusèrent bien vite de telles études de contenir et de faire naître des hérésies et voudront les interdire, tout comme l’imprimerie. Guillaume Budé, le plus grand de nos humanistes, ne dut qu’au respect et à l’amitié de François Ier  de pouvoir fonder, en 1529,  le « Collège des Lecteurs Royaux », (futur Collège de France) destiné à ces enseignements des « humanités ». Ce fut à la grande fureur des Sorbonnards.
 
Ory, docteur en théologie lui-même,  partage l’opinion des adversaires des humanistes qui, avec leurs imprimeurs et leurs libraires, sont des coupables et des boucs émissaires tout désignés pour lutter contre le poison des hérésies.
 
Il explique dans son livre que ces savants s’imaginent détenir la vérité et  profitent de la crédulité des « ignorants » et même «  des gens de bien »  pour répandre leur peste : « Ce sont ces études auxquelles se fiaient beaucoup les hérétiques qui, comme tous les autres gens étaient ignorants (à ce qu’ils croyaient), tenaient pour certain qu’ils les connaissaient parfaitement et souvent en avaient même persuadé les gens de bien »...
En fait, pour l’Inquisiteur, beaucoup de ces hérétiques, épicuriens ou athées, sont poussés du diable, «  par la recherche d’avantages matériels ou de  la gloire et du pouvoir ». 
 
Heureusement, dit Ory, l’ignorance dont ils avaient  pu profiter n’était  pas aussi générale qu’ils le croyaient, puisque les théologiens de la  Sorbonne ont réagi : « les langues furent rappelées et ouvertes à tous » «  pour que soit bouché pour les hérétiques ce terrier d’où ils nous attaquaient le plus fréquemment».  
 
C’est ainsi qu’Ory a pu établir que les humanistes  « orgueilleux et présomptueux »  tombent dans  l’hérésie parce qu’ils s’en tiennent "dans leur lecture  à la lettre et non à l’esprit des Sacrées Ecritures, cherchant dans les Ecritures des conceptions   qui ne sont  pas chrétiennes". 
 
Son commentateur jésuite félicite l’Inquisiteur de ce commode  outil d’exégèse permettant de confondre tout hérétique et qui va devenir si utile à mesure quel le contenu de   la Bible entrera en contradiction avec les découvertes scientifiques.
 

------------
note 6 - D’après son commentateur, Ory serait un des tout premiers à avoir utilisé le terme d’ « humanistes  » pour désigner les savants qui, en plus du latin  s’étaient adonnés à l ’étude du grec et de l’hébreu.
note 7 - Ory va exiger «  que la foule des gens qui ne savent raisonner ne détienne pas , ça et là les livres trop difficiles des Ecritures ».
 


4 - La répression sera à la hauteur des périls encourus
 

Notre jésuite rapporte sans sourciller l’impitoyable issue de la «  chasse aux hérétiques ».  « Mais que faire, dit-il, si les arguments persuasifs ne suffisent point ! Alors on recourra aux moyens violents. » Ory le dit clairement :
 
«  La mort est  le châtiment de l’hérésie ».
 
Justifiera qui pourra l’injusticiable ! On sait à quoi sert, de tout temps, en tout lieu, la police de la pensée. La récente  affaire Roger Vercel qui en étonnera certains en est une autre illustration.Lamothe-Langon vol.III , livre 16 .- Cité par Christie p 395
 

Il connaissait pourtant  les « abus si nombreux des gens d’Eglise » mais, dans son esprit,  ils ne justifiaient  nullement les hérésies, car ils étaient le fait de la faiblesse des hommes, de « l’oubli de Dieu »,  et ne condamnaient pas l’Institution. « Tous les hérétiques se trompent et surtout ceux qui ne savent distinguer entre l’usage et l’abus, et ce à notre époque. A cause de cela ils glissent dans l’erreur. Car observant les abus, si nombreux, des gens d’Eglise, mais non de l’Eglise, ils se sont emportés contre l’Eglise ».
Il en va de même pour les institutions politiques.
 
Cette illustration est empruntée au Site de la commune de Caulnes
---------------------------------------------------------------------------------------
La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°22 - nov 2013
 


MATHIEU ORY - GRAND INQUISITEUR
 


Mathieu Ory est né à Caulnes, une petite bourgade de 2303 habitants de nos jours, située en bordure de la Rance,  dans le département des Côtes d’Armor (22)  à une quarantaine de kilomètres de Saint-Malo.
 


















Le souvenir du moine dominicain y  est  conservé. Une rue porte son  nom. Le site  internet officiel de la commune rappelle qu’ Ory "institué Grand Inquisiteur de France eut  un rôle prédominant dans la condamnation et le supplice d’Etienne DOLET  […]. Mais il prit la défense d’Ignace de LOYOLA, fondateur de la compagnie de Jésus, groupe qui se mit au service du Pape et devint un ordre : les Jésuites".
 
Logiquement, ce sera donc un  disciple de Loyola, le jésuite Henri Bernard-Maître (1889-1975),  qui  tirera de l’oubli, en 1956, pour en faire un commentaire chaleureux,  une publication latine du moine dominicain, publiée à Paris en 1544, 
   
l’« alexipharmacon »
(ce mot signifie « contrepoison »)
 

Une association locale de Caulnes, dénommée Kaonia, a utilisé la brochure du jésuite  pour organiser le 21 juillet dernier, dans l’église du bourg.
 


un festival Ory
 
ou lecture performance de l’Alexipharmacon.
 

     « Il ne s’agit ni de réhabiliter  cet inquisiteur, ni de le diaboliser, juste d’évoquer sa vie dans son contexte etc » - (note 1)   est-il précisé. J’ignore ce qu’a été exactement cette performance.
 
      Il est vrai qu’il est devenu difficile de « réhabiliter » la Sainte Inquisition. Les ordres religieux  qui s’en étaient chargés depuis le XIIIème siècle  avaient  fini par en être si bien déconsidérés que les  frères-mendiants franciscains ou  les frères-prêcheurs dominicains, s’étaient faits discrets pour céder la place à de nouvelles congrégations, comme celle des Jésuites, précisément. En somme, Ory avait eu une prémonition brillante en se portant garant en tant qu’Inquisiteur de l’orthodoxie de Loyola et ses disciples devant la Sorbonne en 1529 et devant le pape Paul III en 1538.
 
     Quant à sa « diabolisation », - pour conserver ce terme -  Mathieu Ory s’en est chargé très bien tout seul, même si l’on n’est pas capable, les archives ayant été détruites, de dire combien de crimes a commis ce Big Brother de la Renaissance.
 
------------
note 1 - Le président de l’association organisatrice contacté a bien voulu porter à ma connaissance la brochure du jésuite sur l’Alexipharmacon, et les pages de Roger Vercel dont il sera question dans l’article suivant..
 


     
MATHIEU ORY ET SON ALEXIPHARMACON
CONTRE LES HERETIQUES (1544)
par Henri BERNARD-MAÎTRE (1589-1975) – S.J.  - étude de 1956
 

     La brochure de 18 pages débute et se conclut par un  éloge :  d’abord « Parmi les défenseurs les plus efficaces de l’unité religieuse en France sous les rois François Ier et Henri II ( 1515- 1559) on doit assurément compter l’Inquisiteur dominicain Mathieu Ory » ; ensuite : « Ory meurt …laissant le souvenir d’un champion intrépide de l’orthodoxie ».
 



Un  chien de garde très fier de sa fonction
 

    L’auteur n’ignore pas pour autant la « mauvaise réputation » du moine chez ses « nombreux adversaires au XVIème siècle » et  « chez les historiens d’aujourd’hui »,  mais c’est pour la déplorer et l’écarter. Et il a recours pour sa défense à l’auteur  qui a écrit, en 1930,  la seule biographie malveillante - (note 2) -  qu’on connaisse de Dolet (note 3) -, Marc Chassaigne qualifié, sans rire,  d’ « auteur modéré ».  .
     Il est vrai que Chassaigne parle en  termes flatteurs d’Ory : « Ory remplissait avec le zèle requis  les fonctions qu’il tenait du choix de ses supérieurs et de la confiance du Roi. Les haines effroyables qu’il s’est attirées sont en somme la plus certaine preuve de sa perspicacité. Puisque dans cette France travaillée tout entière par les doctrines nouvelles, on l’avait constitué en chien de garde de l’orthodoxie, les outrages de ses adversaires rendent à  sa vigilance un involontaire hommage » ( p. 280-281).
 
----------
note 2 - Marc Chassaigne en bon avocat de la droite cléricale s’est également chargé de démolir la mémoire du malheureux Chevalier de la Barre !
 
note 3 - Le père jésuite n’a pas entendu parler de l’œuvre si complète et devenue classique de Richard  Copley Christie publiée en 1886 « Etienne Dolet, le martyr de la Renaissance ».
 



Mathieu Ory nous fait part dans sa lettre-préface au Cardinal de Tournon, dont il est l’éminence grise et qui est son protecteur et mécène, de son orgueil d’avoir été choisi pour faire la « chasse aux hérétiques »  et d’avoir rempli sa fonction avec« zèle ». Il n’a écrit son Alexipharmacon que pour faire profiter le monde catholique de sa riche expérience de Grand Inquisiteur.
 
« Mais il ne me semblait pas avoir fait assez si je ne mettais rien par écrit là-dessus, alors que, en étudiant à fond ce sujet, j’estimais avoir compris d’où venaient les hérésies contagieuses qui avaient envahi l’Eglise et par quels moyens on pouvait y remédier pour la commune utilité de tous. »
 
En fait, inutile d’entrer dans le détail de ses explications religieuses, Ory se refuse à comprendre  son siècle, il n’est qu’un bras qui frappe pour protéger la société féodale cléricale en péril, mais il a besoin de se trouver des justifications.
 


1- Ory est aveugle aux réalités
 
Les historiens ont compris de longue date que les hérésies, de tout temps, en particulier à partir de Luther, dénonçant, en 1517, le trafic des indulgences, n’ont pu naître et surtout se développer en se répandant dans le peuple que parce qu’elles reflétaient  de façon plus ou moins déformée, l’aspiration à un monde meilleur, les conflits sociaux  nés de  la corruption des princes de l’Eglise de Rome et de son  clergé ou des violences et turpitudes des autres puissances, .abus devenus insupportables dans un monde en mutation. Le féodalisme clérical était devenu une entrave au développement - Cf. « La guerre des paysans » Frédéric Engels -1850
 
      Ory est aveugle à ces réalités.
 
---------------------------------------------------
 

L'Association Laïque Lyonnaise
des Amis d'Etienne Dolet
 
a été créée le 29 mai 2000, à Lyon, sous l'égide de la Fédération Nationale de la Libre Pensée, en présence de son secrétaire général, Christian Eyschen.
 
L'Association déclarée en Préfecture le 16 juin 2000 a ses propres statuts dont l'article III définit les buts :
 
"- de poursuivre et de mener à leur terme les travaux du 'Comité exécutif du monument Etienne Dolet' dont Edouard Herriot, était président d’honneur en 1908. Ce comité s’était chargé de réaliser le projet de monument que le Maire de lyon avait voulu ériger sur une place de la ville 'à Etienne DOLET, le grand humaniste, l’homme de pensée et de courage, le martyr de la place Maubert'.
 
- de redonner à Etienne DOLET la place d’honneur qu’il doit occuper dans la mémoire lyonnaise, française et internationale.
 
- de perpétuer et défendre les valeurs humanistes que l’imprimeur à la 'Doloire' de la rue Mercière avait fait siennes et pour lesquelles il fut supplicié le 3 août 1546 à Paris, jugé 'coupable de blasphème, de sédition et d’exposition de livres prohibés et damnés' : le respect de la liberté de conscience, de la liberté de pensée et de jugement, de la liberté d’expression, l’amour de la science et de la vérité, la croyance dans le progrès des peuples tirés de l’obscurantisme."
 
-------------------------------------------------------------------------------------------------
 


Formulaire d'adhésion
à l'Association Laïque Lyonnaise 
des Amis d’Etienne Dolet
 

Nom            ..............................................................................
 

Prénom        .............................................................................
 
Adresse        .............................................................................
 
                   .............................................................................
 
Téléphone :  ..............................................................................
 

adresse courriel : .......................................................................
 

Adhésion annuelle :                   10 euros 
 
Virement à l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d’Etienne Dolet
chez M. PICQUIER MARCEL 7 AVENUE BERTHELOT 69007  LYON
 
La Banque postale
Centre financier de Lyon
CCP n° 1304140S038
IBAN FR48 2004 1010 0713 0414 0S03 807
BIC PSSTFRPPLYO
 
ou règlement par chèque à l’ordre de :
Association Laïque Lyonnaise des Amis d’Etienne Dolet
 
TUER l'HUMANISTE POUR FAIRE UN EXEMPLE
 

Les libertés que prennent les imprimeurs ne sont plus tolérables : Dolet dans le « Second Enfer » ne cache pas que les autres imprimeurs lyonnais mettent sur le marché les mêmes livres condamnés que lui. « Citons le cas de Jean de Tournes, écrit Claude Longeon, qui, dans le même temps que Dolet, imprime les mêmes ouvrages que lui (Le Chevalier Chrestien, La Préparation à la Mort, l'Internelle Consolation, Les prières et Oraisons de la Bible etc...), sans être nullement inquiété ».
 
Un coup d'arrêt est nécessaire.
 
Dolet, mauvaise tête, révolté depuis Toulouse, ou considéré comme tel, est devenu un symbole, entre autres de la liberté de la presse et de l’indépendance de la pensée. Il est bien connu qu'il n'a jamais présenté ses éditions à la censure, comme son « privilège » l'exigeait pourtant et comme il en avait pris le ferme engagement à chacun de ses démêlés judiciaires antérieurs. Il brave la censure de la Sorbonne et ridiculise les censeurs comme dans la préface à son édition du « Manuel du Soldat Chrétien », d’Erasme, dont il faut relire sa préface. L’humaniste s’étonne malicieusement que des « vicieux » - il s’agit des théologiens de la Sorbonne aient pu trouver quoi que ce soit d’ « illicite » ou « scandaleux » dans cette oeuvre d’Erasme où ne se lit rien « qui ne soit louable et de grand fruict ». Le reste de la préface a le contenu proprement politique de ce que j’appelle l’illusion de Dolet : l’Orateur qu’il est, sinon par le discours devant le Sénat, du moins par son combat d’éditeur-imprimeur-libraire, se targue d’avoir pour mission de faire triompher le droit, la vertu qui est la force civique. Il ajoute donc, dans sa préface, qu’il publie le livre d’Erasme, dont il sait qu’il est interdit, parce qu’il veut mettre à nu « les abus, superstitions et arrogances » des censeurs théologiens. Et de s’écrier : « Mais si pour cela aulcuns le trouvent de maulvais goust, je vouldrois sçavoir d'eulx s'ilz me pourroyent prouver par quelles loix et statuts (soit des infidèles ou des Chrestiens) la reprehension des vices n‟est permise ». Il ne nourrit cependant pas grande illusion sur le succès de sa contreverse, comme on le vérifiera plus loin.
 
76 Préfaces
 
Claude Longeon s’étonne : « Nous nous expliquons mal comment Dolet a pu prendre le risque de publier une nouvelle fois la traduction française de l'Enchiridion. Nul doute qu'il était parfaitement conscient du danger qu'il courait : la préface qu'il met à son édition en apporte la preuve. Observons qu'il s'y montre particulièrement agressif, stigmatisant à mots à peine couverts l'aveuglement des gens de la Sorbonne qui, le 31 janvier 1540, ont condamné le livre pour propositions hérétiques et scandaleuses ».
N’est-il pas évident que Dolet va être réduit au silence parce qu’il a l’audace et le courage, en sachant très bien ce qu’il risque, d’afficher la revendication de la liberté d’écrire et d’imprimer librement ?
Il fallait faire taire un tel homme. Et profiter de ce qu’il était relativement isolé en raison de querelles avec les hommes de Lettres, de ses démêlés avec la justice et l'Inquisition ou de ses rapports orageux avec ses collègues imprimeurs lyonnais. L’heure était à la répression.
 
A-T-IL ETE ABANDONNE PAR SES AMIS ET PROTECTEURS ?
 
Au cours des débats enflammés et  répétitifs  qui ont accompagné les décisions municipales de donner le nom de Dolet à une  rue ou de lui ériger un monument (Paris, Orléans, Lyon), entre 1879 et 1940, les membres de l’opposition, appartenant à la droite catholique, ont toujours prétendu que si Dolet n’a pas été tiré des mains des bourreaux, en 1546, c’est parce qu’il avait réussi à se faire haïr de tout le monde et qu’il avait bien mérité son supplice.
      Il n’était  question, généralement, quand ce sujet était  abordé, que de certains de ses « amis » du groupe des poètes néo-latins comme Visagier, Bourbon, Duchet etc. qui avaient effectivement rompu avec lui dans les années 1538 -1540 ou de certains imprimeurs dont on va reparler. Ces hommes, toutefois, en 1544-46, n’auraient pu lui être d’aucun secours, ils ne disposaient pas d’une  position sociale leur permettant d’intervenir efficacement. Dolet avait beaucoup d’autres amis proches qui ne l’ont jamais trahi. Michel Jourde suggère dans sa conclusion que Jean de Tournes a dû rester fidèle à Dolet, même après son supplice.
 
Mais les protecteurs de haut rang ? Richard Cooper (professeur à Oxford) met les choses au point sur ce sujet dans sa contribution au Colloque (« Dolet et les du Bellay »).
 
«  Les amis haut-placés n’ont rien pu pour le sauver ? »
 
     « Un mot sur le procès Dolet. Comment se fait-il que les amis haut-placés de l’Orléanais n’ont rien pu pour le sauver ? Je pense naturellement à Pierre Duchâtel que Dolet connaissait depuis  1531environ […]. Je pense à François Olivier, chancelier de France […). Je pense surtout à Jean du Bellay. On aurait cru à une intervention de l’évêque de Paris dans la provision pour Dolet d’abjurer par devant l’official de Paris… ; mais l’official était l’un des avocats du for ecclésiastique nommée par le Parlement ; cet official s’était déjà rangé du côté de l’Inquisiteur Ory et ils avaient publié ensemble en juillet 1542 un monitoire excitant les fidèles à la délation.
     Avec l’édit de Fontainebleau du premier juin 1540, puis ceux de Lyon (30 août 1542) et de Paris (23 juillet 1543), le climat politique, et l’équilibre des pouvoirs a basculé dans l’intolérance, ainsi qu’en témoigne une lettre de Jean du Bellay à Jean Sturm du 3 novembre 1540 : «  flamma persecutionis universam Galliam pervadet » (les flammes  de la persécution se sont répandues dans  toute la France)
Il  fait part à Sturm de la nomination de Mathieu Ory comme « generalis haereticorum magno Regis stipendio » (Inquisiteur général des hérétiques, avec une grosse rétribution royale),  avec six suppôts,
     « qui ultro citroque commeant, et nimina innocentium deferent, et nimium multos in custodia duci curant. Vetera dilecta et suspiciones et aliquando condonatae paena repetentur, etiam verba aliquando de religione prolata vocantur in calumnias ».  (qui vont et viennent de tous côtés,  défèrent à la justice beaucoup d’innocents et se chargent de les conduire en prison. Des délits et des soupçons anciens, des peines remises sont rappelés, de même que des propos traitant de la religion sont invoqués dans leurs calomnies).
     Richard Cooper commente : «  Etonnante prophétie du sort de Dolet ».    Le cardinal de Tournon, effrayé par la Réforme révolutionnaire,  s’était  déjà rallié à l’Inquisiteur général Ory. Le cardinal Jean du Bellay pour sa part avoue sa crainte : «  Dans ce climat presque paranoïaque, « Nemo etiam apud regem intercedere audit, quo ne se suspectum reddat » (Personne n’ose intercéder auprès du roi sans se rendre  lui-même suspect) et le cardinal craint pour sa propre position.»
 
    La hiérarchie ecclésiastique lyonnaise fait partie du complot qui veut la mort de Dolet et faire un exemple. « Ce n’est pas que le Parlement de Paris, en la personne de Lizet, et l’Inquisition en la personne d’Ory, qui s’acharnent sur Dolet : c’est l’entourage du cardinal-archevêque de Lyon, Ippolito d’Este, en la personne de son official et vicaire-général, Estienne Faye, aidé par un juge ecclésiastique de l’archidiocèse, Mathieu Bellièvre, chanoine de Saint-Paul. […] Langey est mort mais ni Du Bellay, ni Duchâtel, ni Olivier ne peuvent rien contre Tournon, Ory et, je pense, contre d’Este… ».
      Dolet n’a pu échapper à ses bourreaux en raison de la terreur répandue par l’inquisition et non parce qu’il était l’objet d’une haine générale.
 

------------------------------------------------------------------------------------------------
 
LE VIRAGE EDITORIAL de 1540
 


Une révolution se prépare dans l’existence de Dolet : de façon très surprenante pour un latiniste et cicéronien acharné comme lui, l’imprimeur va abandonner à partir de 1541, pour des ouvrages de médecine, ce qui est une nouveauté, mais surtout, à partir de 1542, à trois ou quatre exceptions près, les éditions en latin au profit de plusieurs dizaines d’ouvrages en Français.
En juin 1540, sort de ses presses « La manière de bien traduire d’une langue en aultre, d'advantage, de la ponctuation de la langue Francoyse, plus des accents d'ycelle, le tout faict par Estienne Dolet natif d'Orléans ».
Dolet annonce en même temps que la « Manière de bien traduire », n’est que le premier chapitre d’une oeuvre ambitieuse de grammairien française qui aura pour titre général « L’Orateur Francoys » et qui aurait compris plusieurs traités : « la grammaire, l'orthographe, les accents, la ponctuation, la prononciation, l'origine d'aulcunes ictions, la manière de bien traduire d'une langue en l'aultre, l'art oratoire, l'art poétique ». Les persécutions et la mort empêcheront Dolet de réaliser son ambition.
Dans s sa dédicace au Seigneur de Langey, un de ses protecteurs, Dolet s’explique, il veut se consacrer à l’illustration de la France et de sa langue à l’exemple de ce qu’ont fait les Grecs ou les Romains pour leur propre patrie en leur temps.
« Je n'ignore pas (Seigneur par gloire immortel) que plusieurs ne s'ébaissent grandement de veoir sortir de moy ce présent OEuvre : attendu que par le passé, j'ay faict et fais encores maintenant profession totalle de la langue Latine. Mais à cecy je donne deux raisons. L'une, que mon affection est telle envers l'honneur de mon pais, que je veulx trouver tout moyen de l'illustrer. Et ne le puis mieulx faire, que de celebrer sa langue, comme ont faict Grecs et Romains, la leur. L'aultre raison est, que non sans exemple de plusieurs, je m'addonne à cette exercitation. Quant aux Antiques, tant Grecs, que Latins, ilz n'ont prins aultre instrument de leur éloquence, que la langue maternelle ».
 


-----------------------------------------------------------------------------------------------------
 
-------------------------------------------------------------------------
 
L’ENTHOUSIASME DE DOLET POUR LA RENAISSANCE
 


La civilisation, le progrès l'emportent sur la barbarie
 
« Qu’on me permette d'exprimer les délices que je ressens à voir la belle place occupée par la littérature qui, à notre époque, fleurit de si remarquable façon.
Les études littéraires sont cultivées partout avec tant d'ardeur que, pour arriver à la gloire des anciens, il ne nous manque rien, si ce n'est l'antique liberté de penser et la perspective de se voir distingué quand on se consacre aux arts libéraux. Ce qui fait défaut aux savants, c'est l'affection, la libéralité, la courtoisie des puissants, le patronage d'un Mécène est un stimulant nécessaire pour faire éclore le talent et encourager le travail. Il nous manque encore ce qui favorise l'éloquence : un sénat romain, une république, dans laquelle les honneurs et les éloges qui sont dus à l'art oratoire, lui fussent accordés ; de cette manière les natures les plus paresseuses seraient réveillées, et ceux qui possèdent naturellement les qualités de l'orateur seraient enflammés au plus haut degré. Au lieu de ces encouragements à l'étude des arts libéraux, on remarque, chez un grand nombre de personnes, un certain mépris pour la culture littéraire. On couvre de mépris ceux qui sont voués aux choses de l'esprit ; il faut travailler sans espoir de récompense ; les gens studieux ne connaissent pas les honneurs ; il leur faut supporter le mépris de la multitude, la tyrannie et l'insolence des puissants et les études littéraires mettent souvent en danger la vie de ceux qui s'en occupent. Toutefois les vices de notre époque n'ont pas chassé l'excellence intellectuelle au-delà des limites de l'époque au point que nous ne trouvions pas partout des gens qui brûlent d'un amour extrême pour la littérature. Malgré les combats incessants et acharnés qu'il faut livrer depuis un siècle à la barbarie et à l'ignorance, la victoire longtemps douteuse à cause de la trop grande force et du trop grand pouvoir des barbares, est restée à la fin à ceux qui préconisent le progrès ».
 
Dolet se lance dans un récit épique, pour raconter la guerre contre « l'armée barbare » par « les foudres des lettres », en Italie, en Allemagne, en Angleterre et en France, avec la liste de tous les humanistes de l’époque :
 
« Cette armée d'érudits avait fait un tel carnage dans le camp de la barbarie qu'il n‟est plus resté de champ d'action à cette dernière. Elle s'est enfuie d'Italie, elle a abandonné l'Allemagne, elle a quitté l'Angleterre, elle a fui l'Espagne, elle a été chassée et traquée hors de France, pas une ville d'Europe qui ne soit débarrassée de monstre horrible. Plus que jamais on cultive les lettres, toutes les études libérales fleurissent et, grâce à la culture littéraire, les hommes acquièrent la connaissance longtemps négligée du vrai et du juste. Les hommes ont enfin appris à se connaître eux-mêmes ; leurs yeux, voilés autrefois par un aveuglement malheureux, s'ouvrent enfin à la lumière du monde. Ils ne ressemblent plus à des brutes : leur esprit est capable de culture et leur langage (ce qui nous distingue surtout des animaux) est devenu parfait, étant l'objet d'études exactes et précises. »
 
L'éducation humaniste va changer le monde
 
« N'ai-je donc pas raison de féliciter les lettres de leur triomphe, puisqu'elles ont retrouvé leur ancienne gloire et que, par un privilège qui leur est propre, elles procurent aux hommes tant de jouissances. Tout ce que je demande, c'est que l'on voie s'éteindre la haine de la littérature et des lettres qui subsiste encore chez ceux qui ont été élevés en barbares ; il faut qu'on se débarrasse de ces pestes humaines, et alors que manquera-t-il pour que le bonheur de notre époque soit complet ? L'autorité de ces misérables est sur son déclin, et les jeunes gens de notre siècle recevront une éducation vraie et libérale, et, se rendant compte de la dignité des lettres, ils précipiteront les ennemis de la culture intellectuelle dans l'abîme ; ils prendront leurs places, on leur confiera les emplois publics, ils auront une voix dans les conseils des rois, ils dirigeront sagement les affaires de l'Etat. De plus ils désireront répandre partout la culture littéraire, à laquelle ils devront tout.»
 
La monarchie éclairée par la culture, le rêve de Platon réalisé
 
« C'est cette culture qui nous apprend à fuir le vice, qui engendre l'amour de la vertu, qui ordonne aux rois de rechercher ceux qui aiment et protègent la vertu, la justice et l'équité, pour les appeler auprès d'eux et les garder comme conseillers ; c'est encore cette culture qui apprend aux monarques à éloigner, comme un poison, ces hommes vicieux, ces flatteurs, ces parasites, ces ministres de leurs plaisirs dont leurs palais sont encombrés. Quand toutes ces choses seront accomplies, qu'est-ce que Platon devrait exiger de plus pour le bonheur de la République ? Il ne voulait que des princes sages et savants, ou du moins des princes amis des sages et des savants et prêts à écouter les conseils de ces derniers. Personne n'aura donc à déplorer que les princes manquent de sagesse, quand on verra qu'ils n'estiment personne tant que les sages et les savants. On réalisera cet idéal par la culture littéraire, par l'étude des lettres et par cette discipline, qui, approuvée généralement aujourd'hui, s'est emparée des esprits de tous. »
 
Une pensée moderne sans référence religieuse
 
On aura remarqué que Dolet, dans ces pages, ne fait pas la moindre référence à la religion, contrairement à son ami Rabelais, par exemple, dont la lettre de Gargantua se terminait par une leçon évangélique: « Mais parce que, selon le sage Salomon, sapience n'entre poinct en âme malivole et science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te convient servir, aymer et craindre Dieu, et en luy mettre toutes tes pensées et tout ton espoir etc... »
 
Cette remarque ne signifie pas que Dolet aurait pu trouver à redire à la référence religieuse de Rabelais mais elle nous invite à faire un rapprochement avec Voltaire ou Diderot, dans leurs relations avec Frédéric de Prusse ou la Grande Catherine, deux siècles tard. Ses enthousiasmes d’humaniste sur les vertus libératrices de l'instruction, sur la capacité des philosophes à convertir les rois à la sagesse afin qu'ils assurent le bonheur de leurs sujets annoncent les utopies politiques du « despotisme éclairé » du siècle des lumières. Hélas pour Dolet, il nourrissait des illusions mortelles parce qu’elles ont pu lui laisser croire que la victoire du progrès qu’il croyait assurée allait aussi lui permettre d’échapper aux persécutions.
 
 
Extraits des « Commentaires sur la langue latine »,
dans  « Etienne Dolet, le Martyr de la Renaissance » de Richard Copley-Christie,
traduit en Français par Casimir Stryienski, (1886) p 245 et  suivantes
 

-----------------------------------------------------------------------------------------------
 
DOLET : SA MARQUE ET SES DEVISES
 

LA MARQUE ET LA DEVISE DE L’IMPRIMEUR
 

La marque de Dolet représente une hache (doloire de charpentier) tenue par une main sortant de nuages. Elle va frapper un tronc d'arbre déjà à demi fendu. Le mot « doloire » vient du latin « dolare » : dégrossir à la hache, façonner, équarrir.
 
La devise qui entoure la marque :
 
« Scabra et impolita admussim dolo atque perpolio » signifie :
 
« Je dégrossis et polis à la perfection tout ce qui est rugueux et grossier ». « Dolo » - comme « Doloire » fait un jeu de mots avec le nom « Dolet ».
 
Dolet, imprimeur humaniste, croit fermement, on le sait, aux vertus civilisatrices de la culture. Le dictionnaire latin Gaffiot fournit une citation de Cicéron que Dolet devait connaître et dont on peut imaginer qu'elle l'a inspiré dans son choix :
 
« Non perpolivit illud opus, sed dolavit », à savoir :
 
« Il n'a pas donné à son ouvrage le poli de la perfection mais il l'a dégrossi ».
On voit dans quel sens le disciple, vaniteux et fier d’imiter son modèle, a embelli la formule : il ne se contente pas de dégrossir, il polit à la perfection.
 

Il existe deux autres devises de Dolet.
Celle qu'il imprima sur la dernière page de ses éditions, vers la fin de sa vie :
 
« Préserve-moi, O Seigneur, des calomnies des hommes »
 
dont la portée ne peut échapper.
 
Une deuxième devise latine, souvent reprise, provient, d'après C. Longeon, d'une lettre adressée par Brutus, un des meurtriers de César, à Cicéron, découragé et hésitant
 
« où le premier invitait le second à une conduite ferme et conforme aux actions qui par le passé avaient construit sa renommée et défini sa vertu » :
 
« Durior est spectatae virtutis quant incognitae conditio »
 
Donner le spectacle de la vertu est plus difficile que de vivre dans l’obscurité. Emile V. Telle en donne la traduction suivante : « Il ne peut être de vraie vertu que celle qui a été éprouvée ».
 
« On comprend, commente Longeon, que Dolet ait trouvé dans cette missive la réponse à la question qu'avaient fait naître les incidents de Toulouse : devait-il persévérer dans ses efforts vers la connaissance et la vérité, fût-ce au péril de sa vie ? Cette devise qui constate avec une orgueilleuse amertume l'inconfort de la vertu devint la devise favorite de Dolet puisqu'elle apparaît à la fin de 44 ouvrages sur les 70, portant une devise finale. »
 
DOLET FAIT LE PROCES de TOULOUSE
 


LA BARBARIE DE TOULOUSE
 
Extraits du « Second Discours contre Toulouse » 1533-34
 
présentation
 
Dolet a prononcé ce discours à la fin de l’année 1533 et l’a fait imprimer chez Gryphe à Lyon en octobre 1534, non sans l’avoir revu avec soin. Il nous livre donc le fond d’une pensée réfléchie quant aux religions. Il n’en variera pas. Il se déclare fermement opposé à la réforme luthérienne. Non pas d’un point de vue dogmatique – Dolet est indifférent aux dogmes, il est laïque avant la lettre sur ce terrain  et reprochera même à Erasme d’étouffer la pensée sous la  théologie -  mais parce qu’elle est un  facteur de troubles. Il prend parti pour « la loi et la coutume de nos aïeux, consacrée selon les rites sacrés », ce qui est une profession de foi politique, « cicéronienne » et non chrétienne.
 
Ainsi peut-il  se croire sincèrement  bon chrétien.
 
Mais il ne l’est pas. Ses ennemis l’ont toujours traité d’athée.  Sa volonté d’orthodoxie est impossible à assumer parce qu’il ne supporte ni l’intolérance religieuse, ni les bûchers d’hérétiques qu’il a dénoncés, ni les superstitions. Et il sait que les persécutions conduites contre les luthériens sont aussi  dirigées contre les savants humanistes ; il en est personnellement menacé. Il devrait se taire. Au contraire, il fustige, pour la défense de la civilisation et la sienne propre, les « furies toulousaines », entendez, les violences  de l’Inquisition catholique toute puissante dans cette ville. Et il réclame même le droit de pratiquer la religion « avec un peu plus d’indépendance ou de liberté », autant dire le droit à des conduites hérétiques.
 
En somme, il n’a jamais été converti  à la Réforme mais  il a constamment  refusé toute censure  contre lui-même  et contre les autres. Il est du côté des libertés. Il ne faut pas chercher ailleurs son audace et son imprudence, en 1542, à publier des ouvrages d’édification pas toujours très catholiques.
 
«  J’en viens donc aux faits. Il n’échappe à aucun d’entre vous que ces changements jusque là inconnus, que Luther apporta récemment à la stabilité de la République chrétienne, s’inspirent de tous côtés d’une grande malveillance, et que les choses en sont maintenant au point où on ne les considère approuvés que par des esprits troublés dotés d’une curiosité criminelle. Vous savez aussi sans l’ombre d’un doute que, dans la mesure où l’on est considéré comme plus intelligent et pourvu d’une éducation supérieure, on est d’emblée soupçonné d’autant plus sévèrement de l’hérésie luthérienne par ceux qui ont l’esprit faussé, et que l’on se trouve ainsi exposé au blâme et à la censure de cette aberration si commune. Utilisant ce prétexte pour alors laisser libre cours à leur haine infinie des savants et des associations d’étudiants, les furies toulousaines ne se sont-elles pas entièrement consacrées à la destruction de ceux qui sont illustres pour l’excellence de leur savoir et de leur caractère ? Qui les a jamais vues accorder leur suffrage au bien être de qui que ce soit de docte ?
 
En parlant de la sorte, il me semble voir les diffamateurs toulousains grincer des dents et déjà songer aux moyens d’ourdir ma ruine ; il me semble entendre leurs menaces les plus atroces ; il me semble les regarder intenter une accusation contre moi afin d’obtenir mon exil. Il me semble les voir compter mon nom parmi les luthériens, et notre diffamateur se promet d’appuyer et de seconder leurs calomnies. De peur donc que même pour un instant il ne jouisse de ce plaisir […] je vous demande, je vous implore avec véhémence de m’entendre maintenant : persuadez-vous que je ne n’adhère en rien moins qu’à l’entêtement inique et impie des hérétiques , qu’il n’y a rien que je déteste plus âprement et plus sincèrement que ce zèle et cette avidité pour les nouvelles doctrines que l’on trouve chez certains, et que rien, absolument rien, n’est plus condamnable à mes yeux.
 
Le fait est que je suis de ceux pour qui la doctrine déjà introduite il y a de nombreux siècles , et qui nous a été pour ainsi dire transmise de main en main par les plus saints et les plus pieux héros de notre croyance, qui a été pratiquée jusqu’à aujourd’hui selon la loi et la coutume de nos aïeux , et consacrée selon les rites sacrés – je suis de ceux, dis-je, qui cultivent et observent cette seule doctrine à l’exclusion de toute autre, et qui n’approuvent pas de façon irréfléchie une doctrine nouvelle et aucunement nécessaire. Tout ce qu’il y de plus élevé et de nettement chrétien, voilà ce qui me plaît de façon étonnante.
 
Il me faut ici votre témoignage le plus sérieux et le plus sincère, et vous ne  me l’accorderez pas à contre-cœur si vous concentrez votre attention sur le fait que Toulouse, jusqu’ici, vit quasiment dans l’ignorance de toute pratique chrétienne, et se voue aux ridicules superstitions des Turcs. Certes, de quoi d’autre s’agit-il lorsque, à la fête de saint Georges , on introduit chaque année des chevaux dans l’église, et qu’on fait le tour du bâtiment neuf fois, pendant que l’on prononce des prières solennelles pour leur santé ? De quoi d’autre s’agit-il lorsqu’au jour désigné, on baigne une croix dans la Garonne, comme si l’on caressait le front d’un Eridan, d’un Danube ou d’un Nil, ou même du père Océan lui-même, pour obtenir que les eaux coulent de façon douce et régulière, ou qu’elle ne sortent pas de leur lit ? De quoi d’autre s’agit-il lorsque, pendant la sécheresse en été, quand on appelle la pluie qui ne vient pas, les troncs pourris de certaines statues sont transportés à travers la ville par des garçons, pendant que des prêtres sacrificateurs marchent au devant en chantant des prières propitiatoires, comme s’ils s’adressaient à Orion et aux dieux, à qui les fables des poètes attribuent le don de faire tomber la pluie ?
 
La superstition des barbares de jadis n’a rien inventé d’aussi ridicule, d’aussi totalement dépourvu de sens ! Et il n’existe pas autant de fictions et d’absurdités poétiques qu’il y a d’exemples de superstitions extravagantes et de religion corrompue ici à Toulouse – exemples que l’on peut voir si l’on vit ici ou dont on entend parler tout le monde lorsqu’on vit ailleurs. Et pourtant elle ose - cette ville si mal et si faussement instruite dans la foi du Christ – elle ose prescrire pour toutes les lois de la pratique chrétienne, et tout ramener sous son autorité et son commandement. Elle ose imprimer, comme une meurtrissure, le nom d’hérétique sur celui qui s’attache aux commandements du Christ avec un peu plus d’indépendance ou de liberté, tout comme s’il avait renoncé à l’intégrité et à la pureté de la foi. »
 

Traduction des « Orationes duae in Tholosam »,
p170-173 due à Kenneth-Llyod-Jones et Marc Van der Poel
(Librairie DROZ, Genève – 1992)
 







------------------------------------------------------------------------------------------------
 
Simon de VILLENEUVE
 
DOLET & SON MAITRE VILLENEUVE (cf Biographie)
 

« J'avoue qu'une longue et profonde intimité s'est développée entre moi et Villeneuve - ce qui me fait si peu de peine qu'au contraire j’y vois comme une extraordinaire source de gloire. Tout ce que j'ai acquis en matière de compétence oratoire, tout ce que j'ai maîtrisé dans le domaine de l'éloquence (et je sais combien tout cela est bien faible) je confirme avec sincérité que c'est de Villeneuve que je l'ai reçu… »
 
Extrait des Discours Toulousains, traduction Kenneth Llyod-Jones  et Marc Van Der Poël,, p.160 ( Droz, Genève 1992)
 
Un de ses ennemis Jules César Scaliger, s'étant permis de traiter Dolet, après son supplice, « d'excrément de la poésie », d'autres l'accusant de « sécheresse de coeur » il n'est pas inutile de donner la traduction du poème publiée dans la biographie de Richard Copley Christie. Ces lignes témoignent incontestablement de la portée dans l’esprit du jeune homme d’un enseignement païen ou matérialiste. Il faut surtout remarquer ici que nulle part, à aucun moment de sa vie, Dolet n’a exprimé un amour aussi vif, aussi sincère, aussi profond pour un être humain :
 
« 0 toi qu'une vie toute de probité et de candeur a fait mon ami,
Toi qui fus uni à moi par un lien indissoluble,
Toi, que la fortune compatissante me donna pour frère,
Toi, mon compagnon, qui m'as été enlevé par la cruelle mort,
Es-tu plongé dans un sommeil éternel, et dans une obscurité profonde,
Au point que je t'adresse en vain mes tristes chants ?
Cependant cédant à l'amour, je chanterai, même si tu ne dois pas m'entendre.
Que m'importe d'être accusé de t'aimer trop tendrement ?
Adieu, cher, toi que j'ai aimé plus que mes yeux,
Et que l'amour m'oblige d'aimer toujours plus,
Puissent tes nuits être tranquilles, et calme ton sommeil ;
Jouis d'un éternel silence, d'un éternel bonheur.
Et si, dans le monde des ombres on peut encore éprouver quelque sensation,
Ne rejette pas ma prière, mais aime celui pour qui tu seras toujours cher.»
 
Epitaphe (Carmina, IV, 2) Dans  « Etienne Dolet, le Martyr de la Renaissance » de Richard Copley-Christie, traduite en Français par Casimir Stryienski, (1886) p. 32
 
---------------------------------------------------------------------------------------------------
DOLET et son Maître VILLENEUVE
DOLET fait le procès de TOULOUSE
DOLET : sa marque et ses devises
DOLET : son enthousiasme pour la RENAISSANCE
DOLET : le VIRAGE EDITORIAL de 1540
Tuer l 'humaniste pour faire un exemple
Formulaire d'adhésion à l'Association
Création et Statuts de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet
 
Dossier Mathieu ORY - Grand inquisiteur
L'affaire Roger Vercel
Un dominicain
COMPLEMENTS
La Doloire 
Plan du site
Crédits
Mentions légales
Vie de l'association 
1509 - 1546
Humaniste imprimeur, mort sur le bûcher