La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°32 - oct 2017
 



Une trouvaille de valeur :
 
« Le martyre d’Etienne Dolet »,
son auteur, présentation du roman
 

Le roman dont nous donnons cette édition inédite – n’a encore été publié que deux fois, et seulement en feuilleton, en 1904, dans le journal L’Action, quotidien « républicain, anticlérical et socialiste » et en 1930, dans le quotidien Le Populaire du parti socialiste (S.F.I.O.) dont le président était Léon Blum.
Depuis, on n’en avait plus entendu parler. Un ami de l’Association Laïque Lyonnaise des Amis d’Etienne Dolet l’a retrouvé au cours de ses recherches sur Gallica (BNF) dans le feuilleton du Populaire. Nous l’avons lu et décidé de l’éditer. Pourquoi ?
 
I – Les feuilletons au XIXème siècle
 
Les feuilletons sont une invention des journaux du XIXème siècle. Il s’agissait de fidéliser des lecteurs, de les tenir en haleine par des rebondissements incessants, de les distraire et, pourquoi pas, de les instruire, d’introduire, au cours des épisodes, des opinions qui pouvaient se vouloir progressistes.
Les plus grands écrivains du XIXème siècle publièrent certains de leurs romans en feuilleton. Eugène Sue (1804-1857), fut un des rois de ces feuil-letonistes : avec « Les Mystères de Paris », publié en 1842-1843 dans Le Journal des Débats, journal conservateur mais « éclairé », il connaît un succès populaire immense. La gloire du roman vaudra à Eugène Sue d’être élu député de la Seine, le 28 avril 1850 à l’Assemblée législative. Républicain, il devra prendre la fuite après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte.
La liberté de la presse n’étant pas assurée – elle ne le sera qu’avec la loi de la IIIème République du 21 juillet 1881 – Eugène Sue, converti au socialisme, croit pouvoir faire avancer la libération du peuple en donnant ses personnages en exemple.
Le jeune Karl Marx ne pensera rien de bon du socialisme à la sauce d’Eugène Sue, en dépit de l’exergue du roman : « Il n’est pas une réforme religieuse, politique ou sociale, que nos pères n’aient été forcés de conqué-rir de siècle en siècle, au prix de leur sang, par l’insurrection. »
Il étudiera cependant les « Mystères de Paris », en raison de leur in-fluence, au point de consacrer à leur réfutation le chapitre VIII de son pamphlet contre l’idéalisme des jeunes hégéliens allemands « La Sainte Famille » de1845. Il ne se laisse pas prendre à « l’humanitarisme » hypocrite du héros principal du roman, Rodolphe, prince de Gerolstein, pas plus qu’aux théories sociales que lui prête Eugène Sue. Marx prononce un jugement qui n’a rien perdu de son actualité sur la « sixième révélation des mystères de l’économie politique » d’Eugène Sue.
Cette « révélation », opposée à la théorie socialiste de la lutte des classes, est bien connue de nos jours et ne surprend plus :
 
« Enfin, il faut que l’État s’intéresse à l’énorme question de l’organisation du travail. Il faut qu’il donne l’exemple salutaire de l’association des capitaux et du travail, et d’une association qui soit honnête, intelli-gente, équitable, qui assure le bien être de l’ouvrier sans nuire à la fortune du riche, qui établisse entre ces deux classes des liens de sympathie, de gratitude, garantissant ainsi à tout jamais la tranquillité de l’État ». (La Sainte Famille, éd. sociales p. 232 – souligné par Marx)
 
On aura reconnu la doctrine sociale de l’Église de l’association capital – travail, dans le socialisme utopique d’Eugène Sue, plusieurs dizaines d’années avant que le pape Léon XIII le reprenne à son compte et le présente en 1891, dans son Encyclique « Rerum Novarum ».
Le feuilleton du « Martyre d’Etienne Dolet » est d’une autre veine. Ce n’est pas par hasard que deux journaux socialistes ont choisi de la donner en feuilleton. Qui était son auteur ?
 
II – Jules Lermina
 
Jules Lermina, 1839-1915, l’auteur du feuilleton, a été non seulement un polygraphe fécond et de grand talent, mais un militant, anticlérical, proche des libertaires, ami et défenseur de la République.
Admirateur d’Edgar Poe, Victor Hugo, Alexandre Dumas ou Eugène Sue, il publie à leur suite des dizaines d’ouvrages, pamphlets politiques, fictions historiques, romans d’anticipation, feuilletons rocambolesques, écrits de vulgarisation.
Lermina connaîtra la prison à plusieurs reprises. La première fois, en 1867, sous le Second Empire, pour avoir participé à l’hommage rendu à Alphonse Baudin, le député tué sur une barricade le 3 décembre 1851, lors du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Victor Hugo, depuis son exil de Guernesey lui écrira : « Vous avez, le talent, vous avez la volonté, vous avez le courage et, de plus, l’épreuve vaillamment traversée. Je vous applaudis… ».
 
Il est très impliqué dans l’opposition républicaine, révolutionnaire à Napoléon III. Un rapport du Préfet de police écrit : « M. Lermina s’est montré dans ses écrits très hostile au gouvernement de l’Empereur. Il fait partie d’un groupe d’écrivains qui se disent libres-penseurs, il affiche des opinions antireligieuses et républicaines ». Pour avoir réclamé, dans un discours (28 avril 1870) que l’empereur soit condamné « aux travaux forcés à perpétuité, comme assassin, voleur et faux-monnayeur », il écope de deux ans de prison et 10000 F d’amende, il échappera à cette répression par la chute de l’Empire.
Tout autant qu’à la tyrannie de l’Empire, Lermina s’en prend violemment au catholicisme qu’il définit comme une « religion obscure, avide et cruelle, ennemie de l’activité humaine, adversaire de l’intelligence, négatrice de tout progrès et de toute morale sociale, fautrice d’ignorance, d’hypocrisie et de trahison, ayant à son actif les persécutions les plus féroces, etles crimes les plus odieux, bavarde de charité et foncièrement égoïste […] Le catholicisme est un crime ».
On retrouvera ces opinions très largement dans le feuilleton dédié à Dolet.
 
III – Un feuilleton très politique
 
Jules Lermina connaissait les deux biographies de Dolet dont on disposait à son époque – celle, si bienveillante de Joseph Boulmier : Dolet, « Martyr de la Pensée Libre » de 1857, et celle, devenue classique : Dolet, « Martyr de la Renaissance » de Richard Copley Christie de 1880 en anglais et 1886 en français. Il les cite en référence à plusieurs reprises.
Il n’a pas l’intention d’écrire une nouvelle biographie.
Il ne s’intéresse donc pas à l’enfance de Dolet à Orléans, à ses années d’études à Paris sous la direction de l’humaniste Bérauld, ni même à son séjour universitaire à Padoue, auprès de son maître cicéronien, admiré et aimé, Simon Villeneuve, encore moins à son emploi de secrétaire à Venise auprès de l’ambassadeur de France, l’évêque Jean de Langeac, dont il re-tient seulement que Dolet bénéficiera de sa bourse. Comme on ignore à peu près tout de la vie de Dolet, au quotidien, à Toulouse comme plus tard à Lyon, Lermina imagine les aventures attendues dans un feuilleton : liaisons amoureuses, jalousies, enlèvements, duel, emprisonnement dans des « in pace », évasions par des souterrains, émeutes, scènes de violence, répres-sions, sans oublier les clins d’oeil aux classiques, une bohémienne rappelant Esmeralda, un ami de Compaing détrousseur de cadavres comme Thénardier, un puits sans fond d’un « in-pace » souvenir d’Edgar Poe etc.
Il entrelace adroitement ces péripéties longuement développées à des événements historiques réels ou des faits connus concernant Dolet lui-même, sans réel souci de chronologie, mais en s’aidant d’une riche documentation. Veut-on une illustration de l’art de l’écrivain à créer sa réalité anachronisme assumé ?
 
Son roman débute lors du retour en France de Dolet, en compagnie de son fidèle ami Simon Finet. Les archives ne nous ayant rien transmis de l’origine sociale de Louise Giraud, la future femme de Dolet (épousée en 1538) et de Guillot, dit Compaing, le peintre qu’il sera amené à tuer dans la nuit de 31 décembre 1536 à Lyon, Lermina invente leur histoire. Louise est une vaudoise8 de la Vallouise, une hérétique ; Compaing, un vaurien du même village, amoureux rejeté par Louise, prêt à tout pour la posséder. Les mercenaires d’une croisade catholique conduite par l’Évêque d’Embrun – neveu du Cardinal de Tournon – et l’Inquisiteur dominicain Frère Mathieu Orry déferlent pour massacrer les hérétiques de la vallée, le jour où Dolet est de passage. Dolet arrive trop tard pour aider les Vaudois à échapper à la tuerie, assez tôt pour arracher la jeune et belle Louise aux mains de Compaing, traître à ses bienfaiteurs, complice des tueurs. Dolet, généreux, épargne la vie du misérable qui jure de se venger et qu’on retrouvera à Toulouse et à Lyon. Certes, cette croisade d’extermination des Vaudois en 1531 – l’année où Dolet revient en France est une invention mais bien venue dans le roman. Et pas si fausse : l’auteur n’a fait que transférer en 1531 l’histoire, détaillée, de la croisade bien réelle des massacres qui avaient eu lieu en 1494, annonçant la future tuerie des Vaudois dans le Lubéron en 1545.
Lermina ne renoncera à ce qu’il appelle les « fantaisies » de son imagination que dans les dernières pages pour faire, avec émotion, le récit fidèle du martyre de son héros. Il n’avait fait de lui jusque-là que des portraits flatteurs. Il était beau, aimé des femmes comme de ses nombreux amis, brillant, éloquent. Il change de ton quand il s’agit de montrer le condamné conduit au bûcher :
« Dolet, torturé, les membres tordus sous le fer du bourreau alors que déjà il était épuisé par deux années d’emprisonnement, ne ressemblait en rien à l’effigie théâtrale qui se dresse aujourd’hui en plein Paris et qui semble, hélas ! celle d’un artiste d’opéra prêt à chanter un air de bravoure.»
 
Lermina, tout au long de son roman, utilise ses « fantaisies », pour dénoncer la monarchie féodale, les riches bourgeois, la religion catholique, les moines, et faire de Dolet un « précurseur » – c’est le mot de l’auteur – de la libre-pensée, de la lutte de classe et même de la grève générale.
 
Ainsi Lermina poursuit des buts, non pas académiques mais politiques ; ce roman-feuilleton n’est-il pas destiné à un journal engagé. Sa publication en 1904 se déroule en plein débat sur les lois anticléricales de la IIIème République – les libres-penseurs créateurs de ce journal « l’Action » luttent activement pour faire voter la loi de séparation des Églises et de l’État ; alors que l’affaire Dreyfus – qui a révélé l’alliance réactionnaire de la droite catholique antisémite et des royalistes – n’est pas terminée ; au cours de la bataille des Jaurès, Goblet, Pressensé ou Blum contre les lois dites « scélérates » de 1893-1894 qui, sous prétexte d’en finir avec le terrorisme anarchiste, permettent de museler la presse et de réprimer le mouvement ouvrier.
 
Ce sont les thèmes que Lermina développera sous des formes adaptées dans son roman.
 
Il a su voir dans la Renaissance un siècle admirable de courage et d’humanité dont l’alliance de la féodalité et de l’Église ont empêché le plein épanouissement.
 
« Époque admirable pourtant, parce que de cet amalgame de vices, de lâchetés, de cruautés sans nom, quelque chose jaillissait, qui était de la vertu, du courage et de l’humanité. Les Droits de l’Homme n’ont pas été formulés en 1789, par une subite révélation, quasi surnaturelle. Les intellectuels du seizième siècle les proclamaient déjà en leur conscience ; des enseignements de la Réforme luthérienne ils tiraient quelque chose de plus précis qui était une réforme non religieuse ou irréligieuse. Ils allaient déjà jusqu’à la Libre Pensée, et si les supplices ne les avaient pas contraints au silence, ç’aurait été, dès lors, la révolution des consciences, que nous atten-dons encore mais dont ils eurent la préscience. Les Bonaventure du Périer, les Rabelais, les Béroalde de Verville, avaient déjà franchi la limite qui sépare la foi du rationalisme, et le « Cymbalum Mundi » nie et raille le fils de Dieu lui-même. »
 
Le roi est un débauché allié à l’Église haineuse.
 
Lermina déteste la monarchie et l’Église.
« Ce roi, essentiellement sceptique, joyeux et débauché, fut plus que tout autre l’esclave des moines qui lui faisaient peur de l’initiative intellectuelle des savants, des philosophes et des poètes ; en somme, ignorant, il frissonnait aux menaces de son confesseur, et, comme l’avait dit Rabelais, leur abandonnait les penseurs, jugés hérétiques et anarchistes … Sans conscience, il n’avait que des caprices ; quelquefois bon par indifférence, le plus souvent mauvais par sottise et par lâcheté. […] Si l’imprimerie est devenue la plus grand puissance du monde, c’est parce que François Ier et l’Église n’ont pu la tuer. Ce père des lettres avait la haine et surtout l’épouvante de la pensée humaine; s’il protégeait quelques rimeurs ce fut seulement pour les épîtres louangeuses qu’ils lui adressaient. »
 
L’Église est vilipendée à toutes les pages pour ses agissements criminels et Lermina, comprenant que l’ère des dominicains et franciscains, en raison même de leurs excès, arrive à son terme, englobe, en dépit de l’ana-chronisme qu’il ne peut ignorer, dans sa dénonciation des ennemis de Dolet et des humanistes, l’ordre des Jésuites de la contre-réforme.
 
« L’époque était terrible : raisonner, c’était courir un risque de mort ; tous les pouvoirs se soumettaient à l’Église haineuse de l’intelligence, de la connaissance. Le protecteur le plus haut placé précédait parfois le protégé à la potence ou au bûcher, […] le roi, sceptique au fond, tartufe d’égoïsme et de passions basses, besogneux par luxe et débauche, par ambitions stu-pides de conquérant toujours battu, livrait à l’Inquisition ceux qu’il avait le mieux assurés de sa protection. »
 
On vérifie que Lermina a voulu écrire un roman militant. Ce qui est encore plus évident quand, se fondant sur la réputation de Dolet, ami des compagnons imprimeurs, il fait de lui un orateur de meeting ouvrier.
 
Dolet « précurseur » de la grève générale libératrice ?
 
Lors de l’assemblée des compagnons-imprimeurs grévistes à laquelle Dolet a été invité, un orateur, soupçonné d’être un provocateur, appelle à l’émeute, comme lors de la Grande Rebeyne, la révolte des pauvres de 1529, qui avait été suivie d’une répression sanglante.
 
« Dolet qui avait tout écouté en silence, alors d’une voix ton-nante, domina les cris de la foule.
Écoutez-moi tous ! cria-t-il. On veut faire de vous des incendiaires et des assassins !...
Son front énorme, ses yeux largement ouverts, sa mâchoire large d’où pendait une barbe d’une teinte fauve, lui donnaient une physionomie de prophète inspiré. […] On l’écouta […]
Mais entendez bien ceci, si toutes les corporations, le même jour, à la même heure, se dérobent au travail, si les boulangers ne font plus de pain, si les charretiers ne transportent plus les denrées, si les bateliers arrêtent leurs chalands, si les tailleurs ne livrent plus d’habits ni les cordonniers de chaussures, alors instantanément la vie s’arrête. Les maîtres avec tout leur or, ne peuvent rien contre cette subite stagnation.
L’inaction générale des travailleurs leur prouve quelle est la valeur de cet effort qu’ils dédaignent. […]
Me comprenez-vous bien, compagnons ? Sentez-vous la stupeur qui s’emparerait de tous ceux qui vous rançonnent et vous ex-ploitent ? Je vous le dis, ils sauraient alors qu’il y a quelque chose de plus grand, de plus fort que le sac d’écus…Et que cela, c’est le travail. […]
Le Tric général, voilà le mot d’ordre ! Et par lui seul, vous vaincrez. »
 
Faisons nôtres les dernières lignes du feuilleton de Lermina
 
Ce feuilleton de 1904, a participé à l’immense notoriété de l’imprimeur à la Doloire d’Or, à la fin du XIXème siècle, notoriété qui a fait de lui une telle figure emblématique des libertés républicaines et du combat libérateur des travailleurs, que des centaines de communes ont choisi de donner son nom à une rue, une école, une salle municipale.
 
Rien d’étonnant qu’il ait été choisi pour être republié en 193015 dans Le Populaire, annoncé par l’article élogieux de Jean Jaurès sur Dolet, que nous plaçons, à notre tour, en tête du feuilleton, qui datait lui aussi de 1904 et dont Lermina avait pu s’inspirer ; en 1930, la crise du capitalisme réveille les conflits politiques et religieux. La grève générale éclatera en 1936.
 
« La démocratie et la libre pensée s’honorent en célébrant, à la date sinistre du 3 août, la mémoire d’Etienne Dolet, de cet homme de bien qui fut de bonne volonté et d’honnête conscience et qui, un des premiers en France, se montra le champion de la Justice et de la Vérité. Martyr de la raison, victime de l’Église sanglante. »
 
Marcel Picquier,
Président de l’Association Laïque Lyonnaise des Amis d’Etienne Dolet
 
 
 
 
La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°32 - oct 2017
 



Formulaire de souscription
 
Roman de Jules Lermina
 
LE MARTYRE D'ETIENNE DOLET
 

Ouvrage de 450 pages, précédé de l’article de Jean Jaurès, célébrant « DOLET », paru dans L’Humanité du 7 août 1904, préfacé par Marcel Picquier, président de l’Association Laïque Lyonnaise des Amis d’Etienne Dolet
 
Prix de souscription : 16 €, franco de port - prix public : 21 €
 
Ce roman original pour vous ou pour offrir
 
Nom, prénom………………………….………………………………...........................………………
Adresse…………………………………………………………………..........................……………...…
Code postal : …………...........……...   Ville :………….......................................……
Tél : .........................................   Mail………………......................……………........
 

Nombre d’exemplaires : …….      Je verse 16 € x……=………..€
 
Chèque à l’ordre de : Association des Amis d'Etienne Dolet,
chez Marcel Picquier, 7 avenue Berthelot - 69007 LYON
 
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SOIREE DOLET
 
      jeudi 14 décembre 2017 -  18h à 21h
 
Hôtel des Associations, 7 rue Major-Martin, 69001 LYON
 
- Précédée d'une brève Assemblée : quels nouveaux projets ?
 
- Remise des livres aux souscripteurs qui pourront être présents.
- Signature, verre de l’amitié et solide « en-cas ».
 
Pour l’organisation de la soirée, signalez si vous serez présents,
par mail : picqmar@wanadoo.fr ou tel : 04 78 58 92 80
 
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En 1904, Jules Lermina (1836-1915), homme de lettres de talent, libertaire, farouche républicain anticlérical, écrit ce roman dans le contexte de la bataille du vote de la loi de séparation des Églises et de l’État. Il est publié sous forme de feuilleton dans « l’Action », quotidien des républicains et libres penseurs.
Il ne s’agit nullement d’une biographie académique mais d’un récit, très informé, enlevé, fidèle aux grands évènements de la vie d’Etienne Dolet, rendu passionnant par les mille péripéties tirées de l’imagination de l’écrivain, à la manière d’Alexandre Dumas.
L’auteur restitue admirablement, jusque dans sa mort, la légendaire et emblématique figure des libertés qu’était devenu le martyr de la Place Maubert.
La défense de la liberté de pensée qui anime ce récit reste pleinement d’actualité.
La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°32 - oct 2017
 

Edito : Dolet et le destin
 
Dolet redoutait le Destin, peut-être le seul dieu auquel il ait jamais cru.
Voilà qu’après nous avoir desservis, ce même Destin nous a fait une faveur.
Destin défavorable ! Certes, le maire Gérard Collomb n’a cessé de mettre des obstacles à la réalisation de notre projet de peinture murale : « Le banquet des humanistes ».
Il avait choisi son camp et l’alliance avec l’Eglise.
Depuis, Emmanuel Macron l’a promu Lieutenant général de Police de son Royaume. Il n’est plus maire de Lyon. Inutile d’épiloguer.
Le nouveau maire, Georges Képénékian, s’est hâté le 8 septembre, d’aller faire, à son tour, allégeance à l’Eglise, en participant à la fumeuse cérémonie du « Voeu des Echevins » du 8 septembre.
Comme il a nommé un nouvel adjoint à la Culture, Loïc Graber, dont nous ne savons rien, il nous faudra décider si nous renouvelons nos démarches auprès de cet élu.
Mais le Destin, avons-nous écrit, nous a fait une faveur. Un ami a fait une trouvaille : un roman inédit, épatant, datant de 1904 que nous allons éditer en souscription et présentons dans ce bulletin:
 
« Le martyre d’Etienne Dolet ».
 
La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°31 - fév 2017
 

Une nouvelle biographie de DOLET
par Christine de Coninck
 
Chap 7 - extraits
 
Christine de Coninck, adhérente de l’association,  a déjà publié (Chez Jacques André- Lyon ) un portrait intitulé « JE SUIS DOLET ». Elle vient d’achever une biographie complète de l’humaniste,  à paraître.
 
Le chapitre 7 : Dolet prend la fuite après le meurtre de Compaing  pour échapper à une justice expéditive et se jeter aux pieds du Roi, François Ier. Le pardon obtenu, ses amis lui offrent à Paris le fameux «  banquet des humanistes ». De retour à Lyon, il est emprisonné. Il médite sur la mrt qui le poursuit en relisant son cher Cicéron.
 
   Les sous-titres sont de La Doloire
 

La fuite
 
Les gardes de la porte Saint-Just, engourdis par le froid n’accordent pas un regard au cavalier qui sort de la ville. Dans la pénombre de l’aube, Étienne, drapé dans une large cape, le bonnet rabattu sur les sourcils, n’est qu’une silhouette anonyme dans le groupe qui franchit la poterne. Il passe lentement comme un marchand restable partant pour sa maison des champs. Au bout d’une lieue, ne pouvant plus contenir son impatience,  il dépasse le convoi et se lance au galop. Il veut franchir au plus vite les limites du Lyonnais, passer par l’Auvergne et s’embarquer vers Orléans. De cette fuite éperdue, il gardera un souvenir saisissant qu’il transforme en épopée pour ses lecteurs :
 
Je sors à l’approche du jour. Vers la campagne arverne je m’envole d’abord,
Tandis que règne une rude gelée, sous des vents impétueux.(…) note 1
 
Pour éviter les villes où il risque d’être appréhendé par la garde, il s’enfonce dans la campagne déserte. Sur le plateau, le vent d’hiver, celui que les Auvergnats appellent la burle –la bise qui hurle- a soufflé sur la neige, édifiant des congères où le cheval s’enfonce jusqu’au poitrail. Les hameaux se dissolvent dans une brume blanchâtre. Aucun être vivant, sauf quelques corbeaux, et au loin les appels d’une bande de loups. Dolet frissonne, il craint de subir le destin de Charles de Bourgogne, dévoré  par les fauves au large de Nancy. Il est seul, il a peur : peur des loups, peur des hommes qui veulent le mettre en prison, peur du bandit qui peut surgir au détour du chemin, peur enfin de ne pas savoir convaincre le Roi de lui pardonner. L’angoisse s’insinue dans son esprit comme le froid dans ses membres.
Finalement, il parvient sain et sauf aux berges de  l’Allier. Il persuade un batelier de l’emmener jusqu’à Orléans. Les eaux sont basses et la navigation s’annonce aisée. La frêle embarcation descend rapidement le fleuve Mais en aval, peu avant le confluent de la Loire dans la plaine bourbonnaise, les eaux sont prises par les glaces.
 
Mon bateau est retardé par la glace, lui qui naguère
Égalait les flots à la course. Alors je stimule le rameur par mes mots,
Par force une large voie s’ouvre ; la glace brisée par de fréquents coups
De rame cède. A la hâte nous glissons dans le lit
De la Loire qui s’étend au loin ; porté par elle à la ville
Autrefois illustre, Orléans, je reconnais le berceau
De mon enfance et j’embrasse le rivage paternel.
De là, quittant l’embarcation, par des plaines unies,
Fier, je suis emporté à cheval ; aller trouver le Roi est mon intention ; (…) note 2
 
Dolet loue un cheval au port et prend le Grand chemin vers Paris pour la deuxième fois de sa vie. Il n’est plus l’enfant heureux qui courait en tête du cortège, pressé d’affronter la capitale avec ses espoirs de grandeur, mais un fugitif qui pousse sa monture à la limite de ses forces, dans l’espoir fou d’un improbable salut.
 
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Notes 1 et 2 : Etienne Dolet, Carmina, 1538 - p377, "Au Cardinal de Tournon", trad Catherine L.P.
 


La grace royale et le banquet
 
Dès son arrivée, il déploie tous ses efforts pour obtenir une audience auprès de François Ier. Il en appelle aux lecteurs royaux dont  Pierre Du Chatel et Guillaume Budé pour présenter sa requête. Finalement, par l’entremise du poète  Bonaventure Des Périers, maintenant valet de chambre de Marguerite d’Angoulême, il gagne à sa cause la reine de Navarre. François Ier, sensible aux arguments de sa sœur et au jugement favorable de ses lecteurs consent à écouter Dolet. Étienne peut venir se jeter à ses pieds. Le Roi, touché par sa sincérité lui accorde son pardon le 19 février 1537.
 
La joie éclate dans le groupe des lettrés. Ils décident de célèbrer la bonne nouvelle par un banquet philosophique. Y ont été conviées toutes les « lumières de la France »: Entre autres, Guillaume Budé et les lecteurs royaux. Plus qu’un banquet, c’est une manifestation publique de l’estime dont jouit Étienne auprès des plus honorables personnalités du royaume.
 
Et le lendemain de la fête, dans l’euphorie de la victoire, Dolet décide de revenir à Lyon.
 
Pour lui, l’incident est clos ; désormais protégé par la parole du Roi, il va pouvoir se remettre à son  travail d’écriture, achever le second volume des Commentaires et un recueil d’épigrammes latines, les Carmina, qui sera sa première grande oeuvre poétique.
 

La prison à Lyon
 
Mais son destin, tel les Eumenides impitoyables, le poursuit. Dès son arrivée en ville, les gens d’armes se saisissent de lui et l’enferment au palais de Roanne, siège de la sénéchaussée, du tribunal et de la prison. Poussés par les proches du peintre assassiné, les consuls le traitent en coupable et le poursuivent pour crime de sang sous le prétexte que l’édit royal lui accordant sa grâce n’a pas été enregistré par le Parlement.  Pour la seconde fois en l’espace de trois ans, il est jeté dans les geoles d’une ville qui l’avait d’abord accueilli à bras ouverts.
Sa captivité dans la prison en bord de Saône dure deux longs mois. Pendant ces jours et ces nuits de solitude, il lit et relit les Questions Tusculanes de Cicéron, et La Nature des choses de Lucrèce ; il médite sur l’immortalité de l’âme, la douleur et la mort.
 

Méditation sur le Destin
 
Doit-il croire Cicéron qui écrit :
« Par où encore on voit que la nature elle-même décide tacitement pour notre immortalité,  c'est par cette ardeur avec laquelle tous les hommes travaillent pour un avenir,  qui ne sera qu'après leur mort. » note 3
Ou son disciple Lucrèce qui répond  :
« Ami, la mort n'est rien, dès que l'âme est mortelle. »   ? note 4
 
[…] Il s’interroge sur son destin : il atteindra bientôt ses trente ans et le temps lui est compté. Étienne est convaincu qu’il ne sera pas de ceux qui veillissent tranquillement au milieu de leurs livres. Depuis l’enfance, il est poursuivi par la mort : celle de son modèle le romain Cicéron, assassiné pour ses idées ; celle de Villeneuve, le savant qui lui a fait découvrir la liberté et l’amitié, terrassé par la maladie ; celle de son père probablement sur l’échafaud - il l’a toujours cachée mais son adversaire Pinache l’a exposée au grand jour à Toulouse -  et maintenant celle de ce maudit peintre qui lui vaut la prison.
 
Pendant ses nuits d’insomnie, il voit se dérouler le fil de sa courte vie. Enfant solitaire, d’origine obscure, il s’est enfermé dans l’étude. ; pour l’amour de Cicéron, il s’est attelé à une œuvre colossale dès l’âge de seize ans. A Padoue, lieu de tous ses espoirs, il s’est laissé entraîner par  son professeur à quitter pour lui les bancs de l’Université et s’est retrouvé seul, sans ressources et sans diplôme. A Venise, sous l’autorité de Mgr de Langeac, il découvert la servitude, puis à son cœur défendant, il a entamé des études de droit. Que pouvait faire d’autre un jeune homme de  basse naissance pour assurer son avenir? A Toulouse, il a suivi les pas de son cher Cicéron : il s’est lancé dans l’action en jouant les orateurs. Il en a récolté la prison puis l’exil. Seule sa passion des Lettres l’a soutenu dans ses épreuves. Maintenant, il arrive à la croisée des chemins : Son grand-œuvre de latiniste est presque achevé, Lyon est la ville où il veut passer sa vie, Jusqu’ici, il s’est fait connaître d’une élite de lettrés, devenus ses amis ; maintenant il veut élargir son public et l’idée de devenir imprimeur germe dans son esprit.
Depuis toujours, il est habité par son désir de liberté, liberté de mouvement, liberté de pensée, liberté de parole, refus de l’autorité aveugle et rétrograde qui enferme et  punit les innocents et les gêneurs. Il a bien conscience que  se réclamer du courant humaniste l’engage sur un chemin dangereux dans cette période où s’exacerbe la résistance de l’Église au progrès ; il sait enfin que l’Inquisition rencontrée à Toulouse a toujours les yeux sur lui. Cela ne le trouble pas. Il veut faire entendre sa voix et défendre ses idées, même au péril de sa vie.
 
La liberté et la mort
 
Avant tout, Il n’entend pas finir au bout d’une corde comme un vulgaire assassin.  Pour cela, il lui faut sortir de prison. Rien n’entame sa détermination : Il est innocent, le Roi lui-même l’a reconnu, les juges lyonnais doivent s’incliner. Aussi, cherche-t-il l’appui de puissants personnages. Ses matinées se passent à écrire des missives enflammées pour obtenir sa libération. Les Scève, les Vauzelles, tous les notables de Lyon croisés dans les réunions littéraires ou chez Gryphius sont sollicités. Étienne crie à l’injustice, plaide sa cause avec passion et finalement s’en remet au gouverneur de la province, le cardinal François de Tournon, alors en Provence pour soutenir les armées royales contre la tentative d’invasion de Charles Quint. Dolet lui fait parvenir une longue épitre en vers. Il y relate en détails toute sa mésaventure, se présente comme la victime du Destin, rappelle la bienveillance du roi, le banquet des humanistes en son honneur. Il supplie le prélat de lui faire justice.
 
Tournon est un homme de culture qui estime l’auteur des  Commentaires ; en parfait courtisan, il apprécie le Tombeau du Dauphin; aussi accède-t-il volontiers à la supplique d’Étienne. Le gouverneur du Lyonnais entend bien faire appliquer la volonté de son Roi  et ne cède ni aux protestations de la famille du dénommé Compaing ni aux rumeurs qui dénigrent Dolet. Aussi dépêche-t-il un chevaucheur au sénéchal de Lyon, lui demandant de libérer le prisonnier au plus vite. Ce sénéchal, c’est Jean Du Peyrat, d’une famille de mécènes et de lettrés, protecteur déclaré des lettres et du jeune poète Jean Voulté, l’admirateur exalté de Dolet. Étienne sort de prison le jour même du printemps.
 
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note 3 : Cicéron, Questions Tusculanes, livr I, trad. Ss direct. Désiré Nisard, 1848
note 4 : Lucrèce, De la nature des choses, livre III, trad. André Lefevre, 1899
 
La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°28 - avr 2016
 

Roger Bévan - les dernières lignes de son " Etienne Dolet "
 
Notre ami Roger Bevand  a choisi pour «  La Doloire » la dernière page de son «  Estienne Dolet, un écrivain de la Renaissance mort sur le bûcher ».
(L’Harmattan - 21,50 € en librairie - 16€ + frais de port éventuels, chez l’auteur par l’intermédiaire de l’Association).
Certains d’entre nous pourront juger bien sombre la description de l’état d’esprit de l’humaniste à quelques heures de son supplice. Mais un écrivain est libre de ses jugements ! La discussion est ouverte.
 

«Art, littérature, gloire, politique, religion, amour, amitié… Estienne en était sûr maintenant : toutes ces entreprises humaines, dérisoires et pathétiques, n’avaient aucun sens. Toutes, elles étaient vouées au néant. Lui-même, Estienne Dolet, il n’était rien, il ne serait jamais rien qu’un agencement provisoire de chair et d’os qui bientôt redeviendrait poussière.
Ou cendre.
Pendant un temps au moins, il lui semblait que cette perspective, loin de le terrifier, lui avait, au contraire, apporté une sorte de calme, et même de sérénité. Tant que son avenir lui demeurait angoissant mais néanmoins incertain, il avait tenté de s’appuyer sur cette idée.
Maintenant qu’il savait que demain il serait mort, plus rien n’avait d’importance. Aucune idée, aucune philosophie, aucune foi n’avaient plus d’importance. Il n’y avait plus que le réel, et le réel pour lui ce serait d’abord,  dans quelques heures, une exécution  honteuse et douloureuse.
    Puis le néant.
    Quelques heures encore, et Estienne Dolet ne serait plus rien.
    Plus rien du tout. »
 
 
 
 
 
 
 
  
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°19 - sept 2002
 

3 – Dolet ressuscité dans un nouveau roman,
figure emblématique avec Bruno et Galilée
 

On ne sait pas  tout de Dolet  mais comme il est un  personnage historique et politique, sa mémoire ni sa légende ne sont pas enfermées dans les bibliothèques. Un roman moderne, à son tour, après beaucoup d’autres , remet Dolet en scène. Michel Jourde (ENS-Lyon) place en tête de sa contribution au Colloque Dolet -2009 (« Etienne Dolet et Jean de Tournes »), quelques lignes extraites de cette œuvre, roman italien traduit et publié en Français en 2008 :  «  Le Libraire d’Amsterdam » . Le roman n’est en rien une biographie de l’imprimeur de la rue Mercière mais il fait de Dolet, à travers de nombreuses références, un des trois personnages emblématiques, du combat pour la séparation de la théologie et de la science qui se confond dans des conditions historiques différentes des nôtres avec le combat de la liberté de penser : Dolet brulé en 1546, Giordano Bruno brûlé en 1600 et Galilée persécuté et emprisonné en 1636.
 































    
    Je cite le passage choisi par Michel Jourde avec ses commentaires.
 
« Un matin pluvieux de 1535 à Lyon dans l’atelier de Sébastien Gryphius :
 
    «  Dans l’entrebâillement de la porte apparut la silhouette dégingandée de Dolet qui s’approcha d’eux. Son visage ridé affichait un sourire méchant, et ses yeux brillaient d’un éclat fébrile.
-Ils vont allumer les bûchers à nouveau. Quand ils ont tué son ami Berquin, le roi n’était pas à Paris. Maintenant il y est et il est terrifié.
   - Agacé, rectifia Mathieu.
   - Terrifié, c’est moi qui te le dis.
   - Tais-toi, Etienne ! le réprimanda de Tournes, en affichant une certaine prudence ».
 
C’est seulement dans les romans historiques que l’on peut entendre ainsi dialoguer Etienne Dolet et Jean de Tournes. Dans celui, richement informé, d’Amineh Pakravan, on découvre un Jean de Tournes à la fois attaché à Dolet et soucieux de ne pas le suivre dans ses orientations les plus périlleuses. De telles nuances sont sans doute la traduction romanesque des hypothèses contradictoires que les historiens ont été conduits à élaborer, quant aux relations de ces deux éminents acteurs du livre lyonnais du XVIème siècle, à partir des sources dont ils disposaient […] ».
 

      Qu’ajouter ? Dolet, de grande taille et en mauvaise condition physique, en 1535, pouvait avoir une «silhouette dégingandée ». Son «sourire méchant » fait référence à son mauvais caractère redouté.  « L’éclat fébrile » de ses  yeux, c’est la passion qu’il met dans sa vie mais aussi l’effet de la  maladie (il était arrivé à Lyon le 1er août 1534, souffrant d’une grave crise de paludisme (maladie chronique .) Michel Jourde a raison de suggérer en parlant des « orientations périlleuses » de l’humaniste qu’il était imprudent dans ses initiatives qui  le mettaient en danger devant l’Inquisition et le rendaient infréquentable. Un ami véritable, comme Jean de Tournes, lui était cependant  « attaché », tout « en affichant une certaine prudence ».
 
On peut d’ailleurs souscrire à l’analyse de la situation vers 1540,  énoncée par Mathieu, un des protagonistes du roman, avec cette précision que lui aussi, parce qu’il est un partisan affiché de l’ordre catholique et qu’il est jaloux,  haït Dolet qu’il a bien connu à Lyon. Dolet personnifie le mal à ses yeux et il obligera son fils Simon à assister au supplice Place Maubert :
 
   « Les imprimeurs étaient prudents, surtout en matière de religion. On ne plaisantait pas avec ce sujet ; ils savaient de quel bois était fait ce dominicain Mathieu Orry. Il n’accordait aucune chance à ceux qui outrepassaient ses limites, même Gryphe était obligé de jouer de temps en temps  au funambule. Dolet, lui, ne s’en souciait absolument pas. Les livres qui sortaient de ses presses étaient une succession de défis. Il se croyait peut-être intouchable […] C’était plus fort que lui, il devait prouver qu’il n’avait pas peur. Et en plus il les agaçait avec ses palabres de bon chrétien. Mais il finit par recevoir la note et la paya, et il la paya vraiment.
[…] Il savait bien que ça se terminerait ainsi, l’imbécile. Il l’avait dit lui-même. La mort, c’est comme s’il la
cherchait : ne disait-il pas qu’il ne la craignait pas et même qu’il la désirait ? Personne ne put l’aider. […] L’ennui, c’est que pour une fois, on ne voulait pas seulement brûler un hérétique – et il était pire qu’un hérétique, c’était un mécréant, un padouan qui ne croyait pas même à l’immortalité de l’âme. Cette fois-ci on voulait brûler un libraire. Etienne Dolet et sa réputation faisaient parfaitement l’affaire. »   ( p. 60-61)
     L’enfant qui a les meilleurs souvenirs de Dolet qui jouait avec lui,  voudrait fermer les yeux pour ne rien voir du supplice. Il se souvient : «  les mots joyeux et sauvages que Dolet jetait au vent résonnaient à ses oreilles […] Il traînait  Simon en riant vers les eaux scintillantes de la rivière,  il s’y jetait en hurlant avec lui, et quand le gamin s’étouffait, le poète maudit le rejoignait en quelques brasses, le saisissait et le ramenait sur la rive, le couchant sur l’herbe avec l’attention d’un père. Il s’asseyait à côté de lui et  reprenait son étrange leçon de latin, en récitant des passages entiers de Cicéron, sans un mot d’explication […] Simon ne comprenait pas ses propos, mais il jouissait ces après-midi-là d’un bonheur envoûtant et sans ombre ».  
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°6 - jan 2005
 

1853
DOLET FAIT DE LA POLITIQUE
contre  Badinguet et Ignace !
 
Dans Le procès-verbal de l’assemblée générale du 2 octobre 1853 de la Société fraternelle des Protes des imprimeries typographiques de Paris  se  trouve le rapport du bibliothécaire présentant un nouveau  livre  donné à la bibliothèque :
 
«  Estienne Dolet, l’imprimeur, ou la France au XVIème siècle,
précédé d’une Notice complète sur Dolet par Joseph Boulmier. »
(Senlis, imprimerie de Charles Duriez)
 
Laissons de côté la notice historique .
Le texte qui la suit est présenté comme  un « roman dit historique »  mais il  ne respecte ni les faits ni les dates ni aucune vraisemblance .C’est un mélodrame romantique échevelé.  On pourrait le prendre pour une simple bouffonnerie , mais il a un fort contenu politique .Voici un aperçu de l’intrigue.
 
En plus d’être un savant humaniste , Dolet, pas encore imprimeur, est devenu   « conspirateur ».
« Sous le titre de Dictateur, il commande une troupe de jeunes tribuns qui s’appellent les Frères de l’avenir et qui prétendent que : « Ce n’est jamais l’inertie de la vieillesse , avec sa  marche lente à mourir et ses aspirations rétrogrades, qui fera progresser l’humanité dans sa route éternelle : c’est la Jeunesse, l’active et infatigable jeunesse qui seule peut la pousser en avant ». 
« L’auteur personnifie en Dolet le parti du mouvement en guerre avec celui de la résistance, représenté par le général Ignace de Loyola et sa compagnie. »
 
Hélas ! pour les conspirateurs, lorsqu’ils décident, le 4 octobre 1545, de sauver la France en prenant Paris et Le Louvre d’assaut , ils se heurtent à la fois aux bourgeois partisans d’Ignace et aux troupes du roi commandées par un brillant étudiant qui avait voulu être un Frère de  l’avenir mais qui a découvert qu’il était le Dauphin de François 1er et reste, chevaleresque,  fidèle à son père .
 
Voilà Dolet en prison. L’ignoble Ignace vient lui proposer  de « former entre eux deux une société en participation pour l’exploitation du monde »
Dolet refuse avec mépris. Ignace lui dit : « Tu mourras sur le bûcher ».
Mais le Dauphin n’a pas oublié son ancien ami Dolet, il lui obtient la grâce du roi  et un brevet de maître imprimeur. Dolet s’installe à Lyon et épouse la fille de Sébastien Gryphe … qui est , en réalité, la fille d’Ignace de Loyola : avant d’être moine,  de Loyola avait été  chevalier et  avait eu cette enfant d’un mariage qui avait mal fini. Il avait jeté dehors la mère et la fille.
 
«  Or vous comprenez que le moine ne voyait pas sans rage l’état heureux de Dolet et il  rêvait à des moyens de vengeance quand les événements vinrent au devant de ses projets  Sans que l’on en ait jamais bien connu la cause , le Dauphin de France mourut tout d’un coup. Aussitôt Ignace accusant Dolet d’être l’auteur de cette mort, le fait arrêter à Lyon, transférer à Paris, juger et exécuter ».
 
La gouvernante de Dolet vient se jeter aux pieds du roi qui refuse toute grâce. Mais il reconnaît en elle, grâce à un anneau qu’il lui avait donné et un portrait d’elle-même  qu’il avait fait réaliser par Léonard de Vinci et qu’elle tire de son sein,  Jehanne Cureau, une maîtresse qu’il avait aimée à Orléans . Etienne Dolet est leur fils.
Coup de théâtre.
 
- «  Mon fils ! …Grand Dieu ! C’est mon fils… Mais il va mourir…courez, courez donc vite… »...  – « A la place Maubert ! A la place Maubert ! s’écrient des milliers de voix. ».
 
Mais c’est trop tard, le bourreau a rempli son fatal office.    
 

                                                
Un roman-feuilleton politique ?
Oui, une diatribe contre Louis-Napoléon Bonaparte qui a mis fin
à la deuxième République par son coup d’Etat  du  2 décembre 1852 .
 
L’intrigue de ce « roman » s’appuie  sur la légende selon laquelle Dolet  aurait été un enfant illégitime de François 1er ;  elle avait dû naître des grâces et des  faveurs que l’humaniste avait obtenues du roi , par l’intermédiaire des protecteurs que son génie  lui avait acquis.
Le roman emprunte son style et ses invraisemblances aux romans –feuilletons à la mode comme ceux  d’  Eugène Sue ( Les Mystères de Paris 1842-43, Le Juif errant 1844-45) qui avaient valu à  leur auteur d’être élu député en 1848.
 
Mais apparemment, là n’est pas l’essentiel : Dolet  incarne le parti de l’avenir, c’est-à-dire des Républicains jetés en prison ou exilés après le coup d’Etat. N’avait-il pas été en son temps  un admirateur nostalgique de la République romaine ? Ne s’était-il pas voulu l’émule de Cicéron dans ses discours toulousains contre le fanatisme et la tyrannie  ? Le roi ennemi  devient  donc Napoléon III  (qui ne manquait pas de maîtresses, lui non plus !).
Ce « roman »  témoigne aussi et avec force de l’anticléricalisme du mouvement républicain et ouvrier sous Napoléon III,  de l’aversion pour ne pas dire de la haine profonde  portée dans cette période aux membres de la Compagnie de Jésus d’Ignace de Loyola, accusés d’être les promoteurs et les défenseurs de la réaction politique .
 
Il n’est donc pas tellement étonnant  que Joseph Boulmier, un savant latiniste très sérieux et très républicain, qui publiera en 1857 une belle biographie « en l’honneur  de Dolet et de la Libre Pensée », ait donné la main à cette production pamphlétaire  .
Il reste à rechercher d’autres rapprochements historiques. Certains sont en fait évidents.  Nous allons sûrement en reparler , surtout si ce pamphlet politique amusant  intéresse des comédiens ( ceux de la Compagnie du « Fanal » , dont nous parlons page 8, par exemple  ? ) .
 
J’invite les Amis d’Etienne Dolet à courir  les bibliothèques à la recherche de cette curiosité littéraire que nous devons au bibliothécaire de la Fraternelle des Protes, Jules CRUCHE, prote de l’imprimerie de M. Wittershem et…  à son inventeur Laurent Gonon.
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°3 - mai 2003
 

Etienne Dolet, personnage de L'Œuvre au Noir
de Marguerite Yourcenar
par Pierre GIROD
 

D'Hadrien à Zénon , deux pôles de l'humanisme
 
Livre paru en 1968, L'Œuvre au Noir est le produit d'une longue gestation dans l'oeuvre de Marguerite Yourcenar, au même titre que les Mémoires d'Hadrien. Chacun des deux ouvrages a sa préhistoire, chacun des héros que sont Hadrien et Zénon a hanté la pensée de l'auteur quelques décennies avant de trouver sa forme -et donc sa vie-littéraire autonome. Et Dieu n'étant plus, et le Christ n'étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc-Aurèle, un moment unique où l'homme seul a été : cette citation de Flaubert éclaire l'intérêt de l'auteur pour l'Empereur romain, si seul et si libre à l'apogée de l'Empire. Le personnage de Zénon, fruit de l'imagination créatrice, par un paradoxe apparent, assume une même liberté au coeur d'une époque -la première moitié du XVIème siècle-où jamais la liberté de penser n'a été aussi menacée. Mais la liberté de Zénon est celle de la conscience. Ainsi Hadrien et Zénon représentent par leur contraste les deux pôles de l'humanisme comme le conçoit Marguerite Yourcenar.
 
Dans ses Carnets de notes des "Mémoires d'Hadrien", l'auteur indique: Seule, une autre figure historique m'a tentée avec une insistance presque égale: Omar Khayyam, poète astronome. Mais la vie de Khayyam est celle du contemplateur, et du contempteur pur: le monde de l'action lui a été par trop étranger. Au contraire Hadrien, autocrate omnipotent, et Zénon, alchimiste, médecin, philosophe, héros de la pensée, ne cessent d'agir, même si leurs actes nous sont rapportés par le prisme de leur conscience. Marguerite Yourcenar se tient en général, et est encore  une conséquence de son humanisme, sur la ligne de crête qui sépare la vie intérieure de l'acte biographique, avec un souci perfectionniste de reconstitution historique qui lui font vivre de l'intérieur la vie de ses personnages. Ainsi Zénon, loin d'être un personnage du XXème transplanté à l'époque de la Renaissance, comme dans un mauvais roman historique, un roman compris par un étudiant d'histoire, se présente-t-il comme un esprit du XVlème dans ses préoccupations et même ses limites. Zénon aurait agi, pensé, exactement ainsi. La documentation historique revêt, au sens propre, une importance déterminante.
 
Or Dolet est présent dans L'OEuvre au Noir: à double-titre même puisque, outre le fait qu'il apparaît en arrière-plan "dans son propre rôle", certains traits de sa personnalitéontété
clairement attribués à Zénon. Ce sont ces deux aspects que nous allons examiner.
 




























1°) Dolet personnage de L'OEuvre au Noir, imprimeur de Zénon :
 
Dolet, courageux imprimeur
 
Marguerite Yourcenar entrelace faits et personnages réels imaginaires, autant qu'il lui est possible sans maltraiter la vérité historique. Si Dolet n'a jamais imprimé les oeuvres de Zénon, l'important est qu'il aurait pu le faire. Le choix de Marguerite Yourcenar implique donc une reconnaissance, une forme de dette, à ce que Dolet a laissé à l'Histoire en souvenir par son oeuvre d'imprimeur martyr de la liberté de pensée. Car c'est l'imprimeur, non le polémiste, ni le traducteur ou quelque autre aspect de la vie de Dolet qui intéresse Yourcenar. La vie de Dolet n'a de sens dans le roman qu'en tant qu'elle importe à la destinée du héros. La publication de quelques ouvrages du jeune Zénon, à la réputation déjà sulfureuse, n'est possible que parce qu'il existe des artisans courageux pour en prendre la responsabilité. Ainsi , vers 1539, on avait reçu à Bruges un petit traité en français, à Lyon, qui portait son nom (p. 77 de l'édition Folio)... Zénon y affirmait que la pulsation correspondait au moment de la systole, contrairement à l'opinion enseignée en chaire. On sait que Dolet publia en 1540 la Chirurgie de Paulus Eginata, et l'année suivante deult ouvrages de Gallien, puis l'année suivante, sept autres de médecine encore, de divers auteurs. Manifestement, en choisissant la date de 1539 (à laquelle Doletavait commencé à imprimer) Marguerite Yourcenar n'a rien laissé au hasard. ... Le chanoine, qui se connaissait peu en ces matières, lut et relut le court traité, presque déçu de n'y rien trouver qui justifiât les rumeurs d'impiété environnant son ancien élève : dans le livre comme dans la réalité, l'audace est difficile à, percevoir. Les contemporains de Dolet, du reste, voyaient assurément en lui moins un provocateur que l'homme de science et de droiture.
 
Une autre allusion à Dolet survient lorsque Zénon évoque le souvenir qu'il a gardé de Laurent de Médicis (p. 150): Quatre ans plus tard [après avoir connu le prince], passant par Lyon où j'étais allé remettre mon Traité du monde physique au malheureux Dolet, je le rencontrai (...). Mais voici qui rappelle Dolet d'une autre manière, dès la phrase suivante: le hasard fit que Laurent fut attaqué ces jours-là par un sicaire florentin. Il me paraît remarquable que le mot choisi par l'auteur soit sicaire qui fait écho au sicarius utilisé par Dolet dans sa lettre au roi, au sujet de l'agression dont il a été lui-même victime, comme si l'aventure survenue à Dolet contaminait le récit de l'agression contre Médicis. Sicarius n'est pas un mot fréquent en latin classique, on peut supposer que c'est l'attention portée à ses sources par Marguerite Yourcenar qui l'a amenée à choisir ce mot.
 
Toujours en arrière-fond, il est à nouveau question de Dolet au moment d'un passage de Zénon à Paris, alors qu'il fait imprimer ses prothéories chez un libraire de la rue Saint-Jacques (p. 185): Depuis qu'Étienne Dolet, son premier libraire, avait été étranglé et jeté au feu pour opinions subversives, Zénon n'avait plus publié en France. De retour à Bruges, il lui arrive de repenser (p. 194) au tailleur Adrian à Tournai, à Dolet à Lyon et à Servet à Genève. La place de l'imprimeur est telle pour Zénon qu'on perçoit à
l'occasioncombien
l'élaboration des textes n'a de sens qu'en fonction de leur publication: ainsi, à l'automne de sa vie, on trouve (p. 350) un retour sur le Traité du monde physique, dont on apprend qu'il avait été négligé depuis la catastrophe survenue à Dolet. L'action de ce dernier, si discrète qu'elle soit dans le roman, joue donc un rôle actif dans l'oeuvre de Zénon.
 

2°) Dolet élément constitutif du personnage de Zénon ? :
 
Rapprochements entre Zénon et Dolet
 
Marguerite Yourcenar remarque ( dans sa Note de l'auteur): Certains aspects violents du caractère de Zénon jeune pourraient faire penser à Dolet, le meurtre de Perrotin, par exemple, rappelant, d'ailleurs de loin, celui de Compaing. Ce n'est qu'un des parallèles assez nombreux qu'on peut noter entre Dolet et Zénon. A vrai dire il entre dans le personnage fictif un peu d'Erasme, de Paracelse, de Tycho-Brahé, d'Ambroise Paré, de Giordano Bruno, de Campanella, autant que de Dolet. L'auteur assume ces emprunts en toute conscience.
 
Zénon naît en 1510, huit mois après Dolet, et comme lui bénéficie, dans sa jeunesse, du soutien d'un protecteur anonyme. Ils présentent un même caractère fougueux, encore qu'il ne faille pas exagérer cette particularité car ils sont d'abord, tous deux, des hommes d'action. Le souvenir d'un homicide les poursuit: notons que le meurtre de Perrotin, au moment où il est consommé dans L'Oeuvre au Noir, est nettement banalisé : Zénon n'a fait que se défendre d'une brute, et la gravité des faits - si l'on peut parler de gravité- n'apparaîtra rétrospectivement qu'au travers des ennuis que ces derniers peuvent occasionner à Zénon au moment où celui-ci doit se garder de la justice, devinant trop bien quel parti ses ennemis peuvent tirer contre lui de l'incident. On voit que Yourcenar se réfère au meurtre de Compaing en toute connaissance de cause. D'autre part Zénon et Dolet passent tous deux pour sodomites: le fait est avéré dans le cas de Zénon qui montre par ailleurs un dédain relatif des femmes. Yourcenar rappelle que le soupçon de pédérastie a joué son rôle dans la vie de Dolet, comme d'ailleurs dans celles de Vinci, de Paracelse et de Campanella.
 
Tous deux pensent en latin, même si le latin de Dolet devait être plus pur: Autant qu'on pense en langage articulé, Zénon pense en latin du Moyen-Age. Il n'a donc pas tout à fait hérité l'éloquence cicéronienne de son père Alberico de 'Numi (qu'il n'a du reste pas connu).
 
Zénon et Dolet connaissent des fins semblables, à l'issue d'un procès orienté et inique. Et tous deux restent fermes en refusant toute compromission sous forme de rétractation qui ressemblerait à un désavoeu de leurs principes.
 

"athéisme et impiété"
 
C'est le sens de tout le chapitre intitulé La visite du chanoine consacré dans L'Oeuvre au Noir à une ultime tentative entreprise pour sauver Zénon: Mais, par malheur ( lui explique le chanoine) les crimes d'athéisme et d'impiété sont patents, et vous avez voulu qu'il en soit ainsi. En matière de droit commun, rien, grâce à dieu, n'a été prouvé contre vous, mais vous savez comme moi que dix présomptions équivalent à une, conviction pour le populaire, et même pour la plupart des juges. Or la présomption, note l'auteur dans ses Notes, semble avoir joué un certain râle dans le procès de Dolet. Autre rapprochement. Les deux destins divergent sur seux points: Zénon choisit le suicide (mais dans les deux cas l'attitude est suicidaire) et il ne meurt pas à la fleur de l'âge. Mais là encore l'auteur ne peut s'empêcher d'établir une comparaison: A l'époque de l'exécution de Dolet, représenté par moi comme son premier libraire, Zénon aurait eu trente-six ans... (Notes de l'auteur).
 
Reste une constatation sur sa propre évolution d'auteur: après une vie de sympathie éprouvée
pour Zénon, entre la nouvelle D'après Dürer (tirée du recueil de jeunesse La mort conduit l'attelage - et écrite en 1924) et L'OEuvre au Noir, Yourcenar note moins de sympathie pour les réformes luthérienne et calviniste. Dans ce cheminement elle retrouve, par ses propres voies, une caractéristique propre à Dolet, lequel ne se retrouva jamais -loin de là!- dans le mouvement réformateur.
 
"Chercher la vérité et la dire"
 
Dans son carnet de Notes à L'OEuvre au Noir, Marguerite Yourcenar se défend d'avoir écrit un roman anticlérical : du moins, en s'abstenant d'écrire une de ces épouvantables séances de torture liées à ce qu'on appelait justice à l'époque, elle n'a pas voulu de scène à sensation à caractère militant. Son but est ailleurs, et il s'agit plutôt, comme on le lit dans les Notes à Hadrien, de refaire du dedans ce que les archéologues du XIXème siècle ont fait du dehors. La rigueur documentaire est manifeste au sujet de Dolet, mais c'est tout l'esprit d'une époque qui est reconstitué. Chercher la vérité et la dire, si l'on peut traduire ainsi l'intention de l'auteur: cela suffit à créer une œuvre-maîtresse du roman contemporain, profondément humaniste, ouverte à de multiples lectures, et où l'anticléricalisme, pour n'être pas en effet un a priori, peut naître de l'impressionnante et émouvante vraisemblance du tableau.
 
P. Girod
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°9 - juin 2005
 

« Etienne DOLET » - 1923 
drame en vers, une curiosité littéraire
 

La trouvaille
 

Notre ami Claude Bocquet , professeur à l'Université de Genève, a découvert à la Bibliothèque Nationale et m'a transmis, ce dont je le remercie, un drame, totalement inconnu , publié en 1923, titré « Etienne Dolet » , en 5 actes et ne comportant pas moins de 2150 vers alexandrins. L'auteur est un certain Louis MARTIN qui était avocat, à Constantine , selon une note manuscrite . Il a fait imprimer son oeuvre à Phileppeville3 . Je n'ai rien pu apprendre de plus, sinon qu'il a écrit d'autres pièces de théâtre aux noms plus folâtres comme « Le pantalon d'Antoine » ou « Le rêve de Colombine ».
 
On considérera comme licences poétiques les anachronismes ou invraisemblances sur la présence de Rabelais, Philibert Delorme et Louise Labé auprès de Dolet en 1544 ou 1546 , et les erreurs énormes regardant la vie d'Etienne Dolet, pourtant bien connue en 1923,grâce aux grandes biographies de Joseph Boulmier ou Richard Copley Christie.
 
On verra que cette oeuvre, malgré ses ridicules, offre un certain intérêt quand on la situe à l'époque de sa rédaction.
 


Où l'on retrouve Louise Labé
 

Le Monde du Livre ( édition du 12 mai ) vient de rayer Louise Labé de la liste de nos poétesses, désespérant nos féministes. Consolons-nous, 1' oeuvre poétique demeure mais elle serait une mystification littéraire géniale due, entre autres, à Maurice Scève4 .
 
Et la revoilà, notre « Belle Cordière », Loyse dans la pièce, pas comme poétesse, mais femme passionnée et... même amoureuse... de Dolet dans le mélo de M. Martin, ce qui est le scoop du siècle !
 
Un soir, à la nuit tombée, elle cherche refuge à la « Doloire d'Or » pour échapper aux archers qui la poursuivent. Elle vient de blesser en duel, déguisée en homme, un jeune Seigneur, Jean de Peyrat . Elle a voulu tirer vengeance de lui parce qu'il dédaigne son amour et est sur le point d'épouser Clémence de Bourges, la meilleure amie de Louise. Dolet la cache, elle lui dévoile son identité et va bientôt séduire l'imprimeur dont elle admire la grandeur d'âme ... et dont, opportunément, la femme est absente, au chevet de son père malade ; on n' entendra plus parler d'elle.
 
Louise Labé est riche de la fortune d'un mari complaisant et discret au point de ne jamais apparaître. Elle offre au tout Lyon, dans ses jardins, une fête grandiose. De Peyrat, remis de sa blessure, y surprend une conversation qui lui apprend que Dolet connaît l'identité de son agresseur . Il veut à toutes forces, retrouver ce dernier, parce qu'il le croit l'amant de sa fiancée Clémence, désormais déshonorée à ses yeux et aux yeux du monde.
 
Dolet, par honneur, refuse de parler : le secret de Louise ne lui appartient pas. De Peyrat, furieux, provoque l'imprimeur et le blesse grièvement .
 

Où l'Inquisition intervient
 

Trois mois ont passé. Dolet est guéri.
Il rompt sa liaison avec Louise qui ne comprend ni son remords d'avoir trompé sa femme ni qu'il fasse passer son militantisme libérateur 'avant sa vie privée.
 
Quand il lui dit qu'il veut « sauver l'univers » :
J'ai juré de pousser sur le monde enchaîné
Trop longtemps prisonnier d'une absurde croyance,
Le cri de vérité , le cri de délivrance...
Et si la mort, trop tôt, me couche en mon tombeau
Tant pis ! d'autres viendront qui prendront le flambeau.
 
Elle répond :
 
Et que m'importe à moi l'univers si je t'aime ? L'univers ? mais il est tout dans ce seul mot même : Mais il est dans ma voix, mais il est dans tes yeux !... A ton tour comprends-moi : l'univers, c'est nous deux.
 

Il la repousse. Cependant de Peyrat, pour tirer vengeance de l'imprimeur qui refuse toujours de lui donner le nom qu'il réclame, s'est associé contre lui au complot qu'ont monté des confrères jaloux de ses succès et apeurés de ses audaces. Des ballots de livres hérétiques clandestins, marqués, à son insu, de son nom d'imprimeur-libraire, sont découverts . 11 est arrêté par le « Saint-Office ».
 


Le prisonnier dénonce l'Eglise
 

Il refuse de s'enfuir alors que Louise a soudoyé ses gardiens : il veut affronter le tribunal et faire triompher la vérité.
 
Le plaidoyer de Dolet est une attaque en règle contre l'Eglise qui a trahi Jésus.
 


[...] Le vrai Dieu, celui que les prophètes
Annoncèrent jadis au monde tourmenté,
Fut un Dieu de justice, un Dieu de vérité .[...1
Les hommes s'agitaient en luttes meurtrières.
Jésus vint. Il leur rappela qu'ils étaient frères.
L'iniquité régnait ; le riche, tout puissant
Sous son talon tenait le pauvre frémissant,
Il releva le pauvre et pansa sa blessure ;
Et le riche ébloui d'une action si pure
Baisa les mains du Dieu qui si bas se tendaient[...]
J'ai parlé de Jésus, de sa bonté si douce,
De sa justice. Est-il rien là qui vous courrouce ?
Et ne devrais-je pas voir vos deux mains s'unir
Plutôt pour approuver, adorer et bénir !
Mais non ! Je sais d'où vient, juges, votre colère
N 'osant bannir Jésus, l'Eglise le tolère ;
[...]
L'Eglise ! Elle devait illuminer le monde !
Le Christ mourant à ses disciples l'avait dit.
Qu 'a-t-elle fait ? Hélas ! l'univers interdit,
Enfermé dans la nuit et la crainte farouche,
Est là qui vous répond par son immense bouche :
Tout est laid, tout est faux, déformé, torturé,
Obscurci, dévié, tronqué, dénaturé ;
Tout est sombre ! Le bien est flétri dans sa sève,
Tout s'écroule et croupit ; et plus rien ne s'élève !
 
Louise et Clémence de Bourges, réconciliés après la mort de Jean de Peyrat au service du Roi, ont beau faire irruption devant le tribunal et apporter la preuve de l'innocence de l'imprimeur dans le trafic des livres prohibés, il sera quand même condamné .
 

Profession de foi finale lyrique
 

Et devant ses amis réunis, vingt mois plus tard, au moment d'être conduit au supplice, il refuse « l'appui de la religion » qu'un prêtre lui apporte :
Va-t-en ! Je ne veux point de ton aide hypocrite,
Ni de ce réconfort que tu prétends offrir...
Et je n'ai pas besoin de toi pour bien mourir !
 
Il attend sa revanche de la postérité quand
[...] le monde assoiffé de science ,
Bien loin repoussera la servile croyance,
Les dogmes oppresseurs, la déprimante loi
Où nous enclôt I 'Eglise
Je vois, je vois ce temps de rayonnante gloire...
Car mon bûcher, là-bas, éclaire la nuit noire ;
Il se dresse, magique et colossal flambeau...
Sa flamme au fond du ciel flotte comme un drapeau...
Et je vois dans ce jour éclatant qui se lève,
L'épanouissement immense de mon rêve !...
Apparais, Vérité ! De ton talon vainqueur
Ecrase le Mensonge impudique et moqueur !
Réveille-toi, Vertu ! Révolte-toi, Justice !
Fais taire la Torture et râler le Supplice !
Raison ! Raison ! Raison ! Surgis, dicte ta loi !
On me brise , on me tue ! O Raison Venge-moi.
 


Un témoignage d'époque
 

Claude Bocquet a accompagné son envoi de quelques lignes qui sont un jugement succinct et humoristique qui pourrait suffire :
 
« En conclusion, notre auteur en appelle au règne de la raison contre l'Eglise. Mais c'est un anticléricalisme léger qui fait de Dolet un chrétien meilleur que les évêques...La servante de Dolet - passée sous silence dans cette page - s'appelle Gillette : elle est un peu rasoir ».
 
Qu'ajouter ? Faire de Dolet, ce qui est totalement faux , un évangéliste qui comme Erasme dénonce les abus de l'Eglise romaine et prêche le retour à la pureté des évangiles et de l'Eglise primitive a été assez commun chez pas mal de biographes de l'humaniste, qui, par timidité ou myopie politique, ne peuvent se faire à l'idée d'un humaniste païen et indifférent aux religions.
 
Quant au Dolet chantre de la Raison et anticlérical  , il est tiré directement de la biographie de Joseph Boulmier de 1857, un peu trop bienveillante mais bien sympathique ; le numéro 6 de « La Doloire » de janvier 2002 auquel je renvoie, a présenté un roman-feuilleton politique de 1853, à la manière d'Eugène Sue, qui ne peut être que de Boulmier lui-même, dans lequel Dolet incarne, en plein XVIème s. le parti anticlérical de l'avenir .
 
Mais en 1923, il était moins banal de s'intéresser à Etienne Dolet. Sa période de gloire, de figure emblématique de la République laïque datait des vingt premières années de la IIIème République et en tous les cas d'avant la guerre de 1914, 5quand des dizaines de villes ouvrières donnaient son nom à des rues6. Le monument tout prêt à être élevé en l'honneur de Dolet et de la Libre Pensée, place Jean Macé à Lyon en 1915, n' avait pas été installé et a disparu , victime de l'Union Sacrée de la guerre : il n'était plus question, même pour le radical Edouard Herriot, de faire de la peine à l'archevêché ! La pièce de Louis Martin témoigne que l'humaniste n'était pourtant pas oublié, même au temps de la chambre bleu-horizon et du Bloc national.
 
Il est vrai qu'en 1923, se profilait la victoire électorale en 1924 du Cartel des Gauches avec Herriot à sa tête...même si le programme électoral social et laïque des candidats allait être, à son tour, bien vite abandonné.
 

3 Il doit s'agir de l'ex-Philippevile d'Algérie , aujourd'hui Skikda . Les éditeurs-imprimeurs ont pour noms : A & L Costantini. Avis aux chercheurs.
 
4 Un ami de Dolet . Cette mystification, signalée par un article de Marc Fumaroli rendant compte d'une thèse, n'est pas sans rappeler celle des « Comptes Amoureux par Jeanne Flore » à laquelle Dolet a contribué, probablement avec Scève . Jeanne Flore étant elle même une « créature de papier », au nom de l'association, j'ai envoyé une note au Monde du Livre pour établir le rapprochement .
 
5 La Bibliothèque d'Education Nationale ( 4ème édition - 1906) du Ministère de l'Instruction publique, destinée aux écoles publiques, élevait Dolet au rang des « Héros et Martyrs de la Liberté » . ( Information communiquée par Jean Claude D. de Toulouse)
6 Josiane N. ,habitant une rue Dolet dans une commune de la Manche, envoie une photocopie de la décision de la municipalité : le 7 septembre 1904, la rue Dolet a remplacé la rue Chasse Le Bourgeois ( cela ne s'invente pas ! ).
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°13 - oct 2008
 

LE TESTAMENT DE DOLET par Michel ZEVACO
 

« Ceci est ma dernière pensée.
C'est le dernier effort d'un esprit qui va bientôt s'éteindre.
Peut-être ces lignes tomberont-elles plus tard sous les yeux d'hommes justes.
Peut-être ce papier va-t-il être détruit.
Je ne veux songer qu'à la possibilité d'être lu plus tard.
C'est donc du seuil de la tombe que je parle aux hommes, et j'ai pour tribune un bûcher.
Je vais être brûlé, brûlé vif !
Ce que ma chair va souffrir, je ne le sais .
Je ne sais pas non plus quelles clameurs d'agonie s'échapperont de ma gorge alors que,
délirant au milieu des tourbillons de flamme, je ne serai plus responsable de ma pensée.
La vraie clameur du condamné est ici, sur ce parchemin.
Voici donc ce que je souhaite :
Je suis innocent de toute action mauvaise.Aussi loin que je regarde dans ma vie, avec le
scrupule et l'angoisse d'un juge impartial, je n'y découvre aucun crime, aucune faute véritable.
J'ai aimé les hommes, mes frères.
J'ai tâché de leur montrer qu'il y a un flambeau pour les guider vers le bonheur à travers
les ténèbres de la vie que nous vivons,. Ce flambeau s'appelle :Science.
J'ai fait en sorte de répandre le plus que j'ai pu de science, c'est-à-dire de lumière, afin de
chasser le plus possible de ténèbres, c'est-à-dire d'ignorance.
Je ne me suis pas détourné des moins fortunés que moi. Je n'ai pas montré un visage
impitoyable aux fautes des autres.
J'ai songé que le mot suprême de la sagesse humaine et l'aboutissement fatal de la
science, de la pensée, de la vie, c'est l'indulgence.
Une humanité où les hommes auraient pitié les uns des autres, où se développerait cette
radieuse et magnifique pensée de fraternité que le Christ a entrevue, une humanité pareille
aurait résolu le problème du paradis terrestre.
Cependant, c'est la haine qui triomphe.
Je ne veux ici accuser personne.
Je dis seulement que l'esprit de domination engendre l'esprit de haine.
Je dis que les dominateurs qui ont inventé le bûcher pour les hommes inaptes à la
servitude sont l'obstacle qu'il faut écarter.
Puisse-t-on comprendre !
Puisse l'humanité apprendre à pénétrer dans sa propre pensée !
Puissent les hommes arriver un jour à penser librement, c'est-à-dire sans que leur
croyance, leur foi, leur pensée leur ait été imposée.
Puisse la science remettre eu creuset de l'analyse les croyances humaines qui nous sont
transmises par les siècles barbares !
En formulant ces souhaits, je ne crois pas passer les limites du droit humain.
Je ne me crois pas en faute.
Pourtant, c'est pour penser ce que j'écris, c'est pour avoir aimé la lumière, la science, pour
avoir été le frère de mes frères, que je vais être brûlé.
Je voudrais qu'un jour un monument s'élevât à l'endroit-même où je vais souffrir, et que
sur ce monument, les jours de fête, les hommes enfin délivrés apportent quelque modeste
offrande de fleurs, et qu'enfin le souvenir des iniquités présentes a perpétué par cette
simple parole que quelqu'un redirait aux foules, d'année en année :
Ici , on a brûlé un homme parce qu'il aimait ses frères et prêchait l'indulgence et
proclamait le bienfait de la science.
Cela se passait du temps où il y avait des rois commeFrançois, et des saints comme
Ignace de Loyola.
Voilà ce que je souhaite.
En foi de quoi, libre d'esprit et sain de corps, j'ai signé. »
 
( La Cour des Miracles — pp 115-118)
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°13 - oct 2008
 

QUAND MICHEL ZEVACO METTAIT ETIENNE DOLET A L'HONNEUR
 

Michel Zevaco(1860-1918) socialiste, libertaire, anarchiste, inclassable, a connu la gloire grâce à ses romans populaires, dans la lignée d'Alexandre Dumas, dont le héros le plus célèbre est Pardaillan.
 
On sait que, dans les années de l'affaire Dreyfus et des affrontements politiques du vote des lois laïques, notamment de la loi du 9 décembre 1905, Etienne DOLET a beaucoup servi contre le cléricalisme, ce qui explique que tant de villes possèdent un lieu public portant son nom.
 
Michel ZEVACO a contribué à la gloire républicaine de Dolet. Il publie alors en feuilletons .dans
« La Petite République Socialiste », journal que dirige Jean JAURES,en 1900-1901 :
 
« TRIBOULET» et « LA COUR DES MIRACLES », deux romans anti-cléricaux et anti-monarchistes, dans lesquels Etienne DOLET apparaît comme un héros humaniste, mourrant pour ses idées.
Il n'est pas question de donner même un résumé lointain des aventures du fou Triboulet défendant sa fille adoptive Giktte, réfugiée chez l'imprimeur Dolet, contre la lubricité de François Ier qui s'avérera être un père incestueux. La vérité historique importe peu à un auteur de feuilleton.
 
Le roman de Michel ZEVACO met en scène la mort de l'imprimeur, place Maubert et il imagine que ses disciples et amis, alliés aux hardis compagnons de la « Cour des Miracles », vont conduire une expédition désespérée, pour l'arracher par la force des armes aux soldats du Prévôt de Paris et à ses bourreaux. Curieuse rencontre : dans les deux pages suivantes du bulletin, on découvrira que ZEVACO a pu s'inspirer d'un tableau du Salon de 1859 portant sur le même sujet. En 1859, BOULMIER venait de publier sa biographie de Dolet, qui, républicain sous l'Empire haï, allait devenir une figure emblématique des libertés, sous la République. Avec quelque anachronisme.
 
« Le testament de Dolet » écrit par Zevaco témoigne ainsi beaucoup plus de la pensée du républicain de1901 que de celle de Dolet en 1546. L'humaniste n'avait ni toutes les qualités que l'écrivain lui prête ni ses idées socialisantes.. Mais c'est la loi du genre. Et l'humaniste n'aurait pas renié certaines formules.
 
Les livres de ZEVACO sont à lire et copier dans http:// WWW.ebooksgratuits.com
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°20 - nov 2002
 

Etienne Dolet mobilisé
contre le roi Louis-Philippe en 1835
 

     C’est en 1835 dans ANGO, drame romantique et populaire en 5 actes, six tableaux avec un épilogue, de Félix PYAT et Auguste LUCHET que l’on retrouve Etienne Dolet, en martyr de la défense de la liberté de pensée et d’expression.
 
     Félix Pyat (1810-1889) fut  avocat, journaliste,  auteur dramatique et homme politique de gauche, plusieurs fois élu député, excessif, d’un caractère entier, condamné par toutes les juridictions, membre de la Commune de Paris en 1871. C’était un polémiste.
 
     Son œuvre met en scène les malheurs (imaginaires) de Jean Ango, grand marin, chasseur de vaisseaux espagnols et  portugais, riche armateur dieppois et ami du roi François Ier.  Dans le drame, il est victime de la dépravation du roi qui convoite sa femme et la fait enlever,  en même temps qu’il détruit les libertés avec l’Inquisition.  Le mari outragé veut tuer le roi pour se venger. On sait que les œuvres romantiques et populaires de ce genre sacrifient la vérité historique et même toute vraisemblance à l’effet recherché. Ce n’est donc pas l’intrigue qu’il faut rapporter (note 1). L’acte I  seul nous intéresse, relié étroitement aux circonstances politiques qui ont entouré la création de cette pièce.
 
  " Ango " succède en 1835 au drame de Victor Hugo de 1832,  « Le Roi s’amuse », dans lequel le bouffon Triboulet veut lui aussi se venger de François Ier qui a déshonoré sa fille. Deux années plus tôt, une des causes immédiates des Trois Glorieuses avait été l’ordonnance  de Charles X interdisant toute liberté de la presse et d’expression. L’oeuvre d’Hugo fut interdite après une  unique représentation, elle offensait la noblesse et la monarchie.
 
     Félix Pyat veut faire de son drame, trois ans après Hugo,  un brûlot politique contre l’Eglise catholique et la monarchie, accusées d’avoir dépossédé le peuple de sa victoire de  juillet 1830. Dans l’encyclique Mirari Vos du 15 août 1832, le Pape Grégoire XVI ne venait-il pas de  qualifier la liberté de la presse de "liberté la plus funeste, liberté exécrable, pour laquelle on n'aura jamais assez d'horreur" ? Le nouveau roi, Louis-Philippe ne venait-il pas de supprimer le droit d’association en 1834 avant de s’attaquer aux droits de la presse un an plus tard ? Dans sa préface, l’auteur fait  allusion au « procès monstre »  intenté devant la Chambre des Pairs, en mai 1835 à 231 républicains dont 59 des insurgés lyonnais écrasés par l’armée en mai 1834. Pyat  proclame : «  Oui, nous sommes révolutionnaires […] nous montrons au peuple qu’avec son droit et sa force, il peut lutter avantageusement contre un roi et même contre tous à l’occasion ».
 
     Mais que vient faire Dolet dans cette affaire ?
 
     L’acte I, c’est la thèse– en 1835 -  que la monarchie et l’Eglise sont, comme elles l’avaient été au XVIème s.,  à la source des maux dont souffre la société. Etienne Dolet, Clément Marot et Jean Calvin sont ainsi  réunis, de façon parfaitement artificielle, licence poétique oblige, dans une hôtellerie de Paris, pour  combattre les abus. Marot commande un gigot pour braver l’interdiction religieuse de manger gras le vendredi, Calvin accuse le pape de lui interdire de dire la messe en français, Dolet rédige une « supplique contre les nouvelles ordonnances »  qui suppriment l’imprimerie. Ils sont trahis par un espion, jetés en prison et  traduits en justice, en présence du roi et du cardinal de Tournon. Le lieutenant criminel les accuse  « de double crime de lèse-majesté divine et  humaine ». Il s’adresse aux juges, mais sommes-nous sous François Ier ou sous Louis-Philippe, devant la cour de justice de la  Chambre des Pairs :
 
« Oui,  Messeigneurs, c’est un grand complot que les ennemis de la religion et de la monarchie ont tramé, je ne dis pas seulement en France, mais dans l’Europe entière. C’est un complot comme on n’en a jamais vu, un complot-géant qui se ramifie universellement, incessamment qui étend ses mille et mille bras du nord au midi, de l’Est à l’Occident, qui menace toutes nos institutions à la fois…Oui, l’anarchie est à son comble, l’horizon politique et religieux se rembrunit horriblement…il n’y a plus de frein pour ces hommes pervers qui ne rêvent que de bouleversement, que désordre, que rébellion. Le respect pour les choses les plus saintes, pour les prêtres, les nobles et même les rois s’affaiblit de jour en jour, grâce aux perfides doctrines que des novateurs insolents répandent  parmi le peuple, avec cette invention infernale qu’on appelle imprimerie. Juges, c’est à vous qu’il est donné de mettre une digue à un tel débordement…Vous tenez tous les fils de ce complot-labyrinthe, vous les trancherez de manière à ce qu’ils ne puissent jamais se renouer…Déjà la presse est prohibée à tout jamais dans l’étendue du royaume ; mais ce n’est rien d’avoir anéanti l’instrument si vous laissez subsister la tête et les bras qui  le faisaient mouvoir…Guerre à mort, donc, aux écrivains et aux imprimeurs, à ces deux espèces de démons que l’enfer a soufflées sur la France  pour plonger le vaisseau de l’Etat dans l’abîme des révolutions.
 
Dolet : La presse est un flambeau qui brûle la main qui veut l’éteindre.
 
Le roi : La cause est entendue… Aux conclusions s’il vous plaît ! »
 
     Marot obtient son pardon du roi « parce que nous sommes poètes tous les deux, et que l’on pourrait m’accuser de jalousie ». Calvin est condamné « au bannissement perpétuel du royaume,  Dolet à être  brûlé vif ».
 
     C’est bien le Dolet patron des typographes, emblématique défenseur des libertés, de la liberté de pensée et de la liberté de la presse, qui est mobilisé ici.
 


1 cf  BNF- gallica
 
2 Quand Verdi reprendra le même sujet en 1851, dan son opéra «  Rigoletto », à Venise alors sous la botte de l’empire Austro-Hongrois,  il devra procéder à des modifications, car à Vienne, on juge encore que «  Le Roi s’amuse » « frise le crime de lèse-majesté ».
- Etienne Dolet, personnage de l’Oeuvre au Noir de Marguerite Yourcenar
 
- 1853 - DOLET FAIT DE LA POLITIQUE contre Badinguet et Ignace !
 
- "Etienne DOLET" - 1923 - drame en vers, une curiosité littéraire
 
- Quand Michel Zevaco mettait Etienne Dolet à l'honneur
- Le testament de Dolet par Michel Zevaco
 
- Dolet ressuscité dans un nouveau roman, figure emblématique avec Bruno et
   Galilée
 
- Etienne Dolet contre le roi Louis-Philippe en 1835 dans le drame ANGO de
   Félix PYAT
 
- Roger Bévand - Les dernières lignes de son " Etienne Dolet "
 

- Une nouvelle biographie de DOLET par Christine de Conninck
 

- Edito : Dolet redoutait le Destin, peut-être le seul dieu auquel il ait jamais cru
- Une trouvaille de valeur : « Le martyre d’Etienne Dolet », son auteur, présentation du roman
- Formulaire de souscription
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