DOLET FIDELE A LUI-MÊME ET A SES VALEURS JUSQUE DANS LA MORT
Il s’était voulu orthodoxe en religion comme il se voulait fidèle à son roi. Il s’est dévoué au rayonnement et à la gloire de sa patrie et de la langue française [12]. Par contre il n’a jamais été le catholique orthodoxe qu’il prétendait être, par prudence, quand ses ennemis le traitaient tous d’ « athée ». Non pas parce qu’il aurait été un partisan secret de la réforme luthérienne ou calviniste. Il n’en voulait pas, autant parce qu’il était, de par sa formation « païenne », indifférent aux dogmes et aux disputes théologiques, que parce qu’elle lui paraissait devoir être source de désordres. Il s’était prononcé – dès ses discours toulousains, opinion dont il ne variera pas – pour « la loi et la coutume de nos aïeux, consacrée selon les rites sacrés », ce qui était, en matière de religion, une profession de foi politique conformiste, « cicéronienne » et pas du tout chrétienne.
Sa volonté d’orthodoxie était impossible parce qu’il ne supportait ni l’intolérance, ni les superstitions, ni les persécutions religieuses, ni la censure de quelque nature qu’elle fût.
Il était en avance sur son siècle, partisan de toutes les libertés, avec « l’espoir en des temps meilleurs », le progrès et la culture devant mettre fin à l’ère des fanatismes et de la barbarie.
Qu’il soit resté fidèle à lui-même ne peut faire de doute. Qu’on en juge.
Tout ce qu’il avait écrit en prison a été brûlé avec lui, place Maubert. Nul doute que si ses juges et bourreaux y avaient trouvé des preuves de repentance chrétienne, ils n’auraient pas manqué de le faire savoir. Mais ils n’ont rien obtenu même avec la torture.
Les dernières œuvres personnelles que nous lui connaissons [13] sont au nombre de trois.
C’est d’abord l’écriture des contes 1 et 6 des « Comptes amoureux par Madame Jeanne Flore » - qui sont un plaidoyer pour la liberté des femmes, leur droit à l’amour, le rêve d’un monde naturaliste dans lesquels les interdits sociaux et religieux auraient disparu (parution anonyme chez l’imprimeur Denys de Harsy en 1542 ou 1543).
C’est ensuite la traduction dans la prison de Roanne, à l’automne 1542, des trois premiers livres des « Tusculanes » de Cicéron. Il vient d’être condamné à mort. Il ne cherche pas de réconfort dans la religion mais dans les méditations de son maître pour apprendre à mépriser la douleur et la mort.
Enfin, la dernière expression de sa pensée d’homme libre, bien que fugitif et traqué, se trouve dans la dernière pièce du « Second Enfer » écrit en 1544. Sa dernière épître est adressée à ses amis. Il ne les invite pas à prier Dieu pour lui, mais à ne pas désespérer, à croire en la victoire finale de sa « vertu » romaine sur la mauvaise « Fortune » : « O que Vertu a de puissance ! / O que Fortune est imbecille ! »
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[12] Une constante dans son œuvre de la deuxième période : Dolet va se lancer, avant du Bellay qui lui rendra hommage, dans le combat pour la défense et l’illustration de la langue française destinée, dans son esprit, à devenir la langue de civilisation que le grec puis le latin ont été dans le passé. Il n’écrit et n’imprime plus qu’en Français et entreprend une grande œuvre de grammairien ( « L’orateur Français ») dont il n’aura le temps d’achever que le premier chapitre qui a connu un grand succès : « De la manière de bien traduire d’une langue en aultre ».
[13] Indépendamment d’un « Cantique sur sa désolation et sur sa consolation », découvert deux siècles plus tard , en 1779, par Née de la Rochelle dont le manuscrit a disparu. On ne peut rien en conclure.