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La Doloire Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°23 - mai 2014
" Lyon et l’illustration de la langue française à la Renaissance "
Le titre de cette page est celui des Actes d’un colloque universitaire tenu en 2000, sous la direction de Gérard Defaux (note 1) –. (publié par ENS Editions – 2003 – 542 pages).
On y découvre le rôle important des humanistes de Lyon, natifs ou non de cette ville, les François Rabelais, Clément Marot, Etienne Dolet, Maurice Scève, Sébastien Gryphe, Jean de Tournes et bien d’autres, - écrivains et imprimeurs – ,dans l’essor et la gloire de la langue française évinçant les langues locales, tel le franco-provençal à Lyon.
Pourquoi Lyon eut-elle cette importance ? Parce que cette ville, sous la Renaissance, de par son autonomie relative, sa position géographique et sa richesse, était devenue presque une capitale, en raison des nombreux et longs séjours de François Ier, de sa cour et des hommes de lettres.
Ainsi le français l’emporte : « il est clair que le vieux parler lyonnais ne peut plus apparaître dès lors que comme une curiosité ou une vieillerie » écrit le professeur de Lyon II, Gabriel-André Pérouse (note 2) . La volonté du Roi ne faisait pas de doute : l‘édit de Villers-Cotterêts d’août 1539, proscrivant le latin des actes administratifs et judiciaires, rendait obligatoire l’usage du français. Pour François Ier, la généralisation du français était un instrument de l’unification du royaume et les humanistes se trouvent au premier rang des combattants.
Mais, poursuit Gabriel-André Pérouse : « Je ne vois toujours pas très bien quelle langue parlait Erasme avec les gracieuses chambrières lyonnaises qu’il évoque dans son colloque Les Auberges, sans doute un français véhiculaire comme notre pseudo américain d’aujourd’hui. » (note 3) Mais le français fait sa route.
note 1 : Gérard Defaux- 1937-2004 – professeur depuis 1981, à Johns Hopkins University, a été le grand spécialiste de Clément Marot.
note 2 : Gabriel-André Pérouse – 1929-2005 – professeur à Lyon II, présida à l’édition savante des « Contes amoureux par Mme Jeanne Flore » en 1980. Il a cautionné, par la suite, l’hypothèse du professeur Claude Longeon, le meilleur connaisseur de Dolet, suivant laquelle Dolet fut l’auteur de plusieurs de ces contes. Cf. La Doloire n° 3 de mai 2003.
note 3 : Une page du colloque évoqué d’Erasme a été publié dans le n° 16 de La Doloire février 2010
Dolet, « Ministre de la Culture »
La première grande œuvre littéraire moderne en français est due à Rabelais qui publie – à Lyon où il est médecin à l’hôpital du Rhône – Pantagruel en 1532. A cette date, Dolet, jeune étudiant à Toulouse, ne veut qu’être un nouveau Cicéron! Exilé de cette ville, il se réfugie à Lyon, gagne sa vie comme correcteur d’imprimerie chez Gryphe, se lie d’amitié avec Rabelais et Marot dont il subit si bien l’influence qu’il vire de bord et lance sa déclaration tonitruante de dévotion à la France et à la promotion du français en 1540.
J’emprunte les lignes suivantes à la contribution (note 4) de Gérard Defaux (souligné par moi).
« Quant à Etienne Dolet, il apparaît ici non seulement parce qu’il a passé à Lyon les années les plus fécondes de sa trop courte et tragique existence, non seulement parce que son chemin a croisé celui de Marot et Rabelais […] mais parce qu’il incarne mieux que personne les ambiguïtés du combat linguistique qui définit son époque.[…]
Si, comme il le souligne fort justement, le latin n’est pas abandonné - il ne le sera jamais - , il se double maintenant chez lui d’un égal souci de promouvoir, de servir, d’ « illustrer » le français. Dolet prend tellement le pouls de son époque, il est tellement un observateur né, un homme d’affaires, un libraire et un imprimeur averti, en fait un politique qui s’ignore, que le virage qu’il opère se situe à peu de chose près au moment où Robert Estienne publie son Dictionnaire Françoislatin et François Ier son fameux édit de Villers-Cotterêts.|…]
Cette obsession du modèle et de l’exemple (note 5) n’a cependant pas empêché Dolet de jouer à Lyon et au-delà, un rôle de premier plan dans la « défense » et l’ « illustration » de la langue française…
Il a en fait su se donner des moyens d’action supérieurs à ceux de ses prédécesseurs. Et il possédait une énergie singulière, une force, une obstination, un entêtement que les autres ne possédaient pas au même point. Pendant une bonne dizaine d’années, Dolet a su d’une manière dont l’ampleur et l’efficacité n’ont fait que croître avec le temps, exploiter toutes les ressources qu’offrait l’art nouveau et « divin » de l’imprimerie…Il a su mieux que personne ne rien perdre de l’élan créé par ses devanciers, faire fructifier l’héritage et le transmettre grossi, fortifié, embelli. A la fois auteur, éditeur, libraire et imprimeur, authentique professionnel du livre, il a, sur le marché lyonnais – et bien au-delà – exercé en dépit des jaloux une influence dont l’importance est considérable. Comme il en a lui-même eu claire conscience, le privilège royal obtenu à Moulins, en mars 1538, lui a permis de « proffiter de plus en plus au bien public » - en publiant tous les « bons livres » - ouvrages « antiques, ou modernes, naïfs ou translatés. » - qu’il reconnaissait « sortir de bonne forge » française, latine ou italienne. Il lui a en fait donné la possibilité de définir, en ces années décisives entre toutes, une véritable politique culturelle française, d’assumer à Lyon, sans que personne ne le lui ait bien sûr demandé, le rôle d’une sorte de ministre délégué au Livre, à la Langue et à la Culture – à ce que lui-même appelle avec bonheur l ’« illustration de la France ».
note 4 : « Vivre je veulx pour l’honneur de la France »Marot, Tory, Rabelais, et le cas Etienne Dolet- p. 41 a7-449
note 5 : Allusion au fait que Dolet s’est inspiré de ses devanciers amis ou non parfois jusqu’au plagiat