« Aujourd’hui comme hier, les libres penseurs perpétuent la mémoire de Michel Servet, ils commémorent son supplice car l’exemple de Michel Servet symbolise le combat toujours actuel des Lumières et des connaissances qui émancipent l’individu contre l’obscurantisme et les superstitions qui l’asservissent. Michel Servet symbolise le combat pour la liberté de conscience, la liberté de penser librement et d’exprimer ses idées. Cette liberté ne peut s’exercer que par une séparation stricte des Eglises etr de l’Etat : en France, la laïcité c’est la loi de 1905 qui a abrogé le Concordat et dont les deux premiers articles stipulent :
Art 1 : La République assure la liberté de conscience …
Art. 2 : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »
« Sur ce portrait, Dolet montre une physionomie antipathique qui ne dément pas les crimes et les vices qui lui furent imputés ».
 
C'est ce que j'appelle le délit de « sale gueule ».
 
Un classique dans la pensée religieuse. Des chercheurs ont pu écrire :
 
« Les liens du péché et de la mort dans la culture judéo-chrétienne sont bien connus. Selon un discours ancien, les péchés ou les vices transparaissent à travers la physionomie, l'allure, la silhouette du pécheur qui ne parvient pas à les cacher : Le péché qui tue l'âme, repétrit le corps à son  affreuse ressemblance. »
 




Un universitaire canadien, Jean-François Vallée, a ouvert, en 2005, un procès en sorcellerie contre Dolet, qu'il accuse, sans fournir la moindre preuve tangible, d'avoir dénoncé à la répression du Roi François I"' le Cymbalum Mundi de son ami Bonaventure des Périers.
 
Sans attendre le colloque Dolet des 26-27 novembre 2009 qui reviendra certainement sur cette affaire, n'est-il pas de bonne justice de réfuter M. Vallée qui a renouvelé son accusation au cours du colloque Quid novi ? Sébastien Gryphe, tenu à Lyon les 23-25 novembre 2006 ?
 
Illustration d'Anne-Marie Callamard pour l'édition de la biographie "Etienne Dolet, 1509-1546, Imprimeur humaniste, mort sur le bûcher" de M. Picquier - 2002
 
Médaillon de Dolet figurant sur le portail monumentall de la Bibliothèque municipale de Toulouse (photo jcDolet)
 
Statue (détruite) de la place Maubert par Guilbert - 1889
 
Portrait d'origine inconnue qui semble inspiré par la gravure de du Verdier de 1573
Buste de Dolet d'Orléans (parc de l'Hôtel Groslot) 1957 après la destruction du buste en bronze en 1933, fondu pendant la guerre (photo M Picquier)
 
Collection de Bure - Bibliothèque impériale -
dessiné par Boulay, gravé par Hildibrand
 

ETIENNE
DOLET DIA
LOGUE
Sur l'imitation de Cicéron , contre Didier
Erasme de Rotterdam, pour
Christophe Longueil
( dédié) A
JEAN de LANGEAIS Evêque
PERSONNAGES
SIMON NEUFV1LLE
THOMAS MORE
Certes, j'étais bel et bien présent
lorsque fut offert à Simon Neufville
à Padoue par Thomas More
le Dialogue cicéronien d'Erasme de Rotterdam...
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°9 - juin 2005
 

DOLET et le Cardinal de TOURNON
 

Si vous descendez dans le midi, prenez la rive droite du Rhône pour faire une halte à Tournon sur Rhône en Ardèche.
 
Devant le lycée, se dresse l'imposante statue' du Cardinal François de Tournon ( 1489-1562) , fondateur de l'établissement en 1536 . C'était au départ un collège élevé au rang d'Université, rare privilège, par le pape Jules 11 en 1548. et qui accueillera 1500 étudiants en 1583.
 
Le cardinal, baptisé « le Richelieu de François 1er » , au service de quatre rois de France, fut un personnage de premier plan au XV1ème s.
 
Dolet a pu, vraisemblablement, entrer en relation avec lui , quand il prit l'initiative de célébrer le dauphin François qui venait de mourir brutalement, en août 1536, à l'âge de dix-huit ans , à Tournon, au château des Comtes . Cette tragédie — un familier fut accusé, faussement, de l'avoir empoisonné et exécuté — est rappelée à Tournon par une plaque apposée sur une maison « élevée sur les ruines du château ».
 






















Dolet n'était arrivé à Lyon qu'en août 1534, mais il réussit la performance de faire éditer chez François Juste, deux mois après le décès, un recueil d'épitaphes2 dans lequel on retrouve les noms aussi bien de Clément Marot que de Maurice Scève et de son cousin Guillaume, de Saint-Gelais, de Du Chastel 3, Jean Visagier, Salomon Macrin, Nicolas Bourbon etc...Dolet écrivit la préface.
 
Il dut, peut-être, à cette publication opportuniste d'être présenté par le Cardinal à François lei en 1538, ce qui lui donna l'occasion d' offrir au Roi ses « Commentaires sur la langue latine »(4) et d'obtenir en retour, l'extraordinaire faveur d'un Privilège d'imprimer pour dix ans.
Le Cardinal était alors un mécène pour les humanistes . Les développements de la réformeluthérienne et calviniste allaient bientôt le faire changer de camp. Sincérité religieuse ou pas, comme tous les Seigneurs catholiques, il pouvait craindre de tout perdre si la réforme l'emportait, comme cela s'était passé en Allemagne ou en Angleterre.
 

Pierre Bayle dans l'article de cinq pages très favorable qu'il consacre à Dolet dans son « Dictionnaire historique et critique » ( 1697) rapporte l'altercation entre le cardinal et l'évêque Du Chastel, le vieil ami de Dolet, lecteur et conseiller du Roi, qui venait d'obtenir la grâce de l'imprimeur en 1543, après sa condamnation à mort par l'Inquisition . Le cardinal reprochait rudement à Du Chastel de sauver un ennemi de l'Eglise. « ll lui soutint qu'il faisait ce qu'un évêque doit faire ; mais que le cardinal exigeait que les prélats fissent le métier de bourreau [...] ».
 
C'est donc en vain que Dolet dédiera au puissant cardinal, pour lui demander son aide, une de ses épîtres du « Second Enfer » . Les papiers de l'homme d'Etat des années 1545-46 ont opportunément disparu : on ne peut douter pourtant qu'il ait donné son aval au massacre des Vaudois hérétiques du Lubéron en 1545 et au supplice de Dolet en 1546. Il fallait faire des exemples.
 















Pour sa part, en 1561, il confiera aux soldats du pape, les Jésuites, le soin de diriger son Collège, par peur de la réforme qui faisait de grands progrès dans les monts du Vivarais.
 
1 La statue de bronze du cardinal n'a pas été envoyée à la fonte sous Vichy comme tant d'autres, à Paris celle de Dolet , ou à Tournon celles du général Rampon, soldat de la Révolution et de Marc Seguin, constructeur du premier pont suspendu à Tournon, justement.
2 Recueil de vers latins et vulgaires de plusieurs poètes Français c'ompost's sur le trespas de Monsieur le Daulphin- Lyon , 1536 (novembre). On les vend à Lyon chez François Juste près nostre Daine de Confort.
3 Voir ci dessous. : il avait été lui aussi correcteur chez (iryphe comme Dolet à qui il restera fidèle.
4 Le cardinal avait pu y lire l'éloge du vin « ab urbibus (...) Turonia » vin de Tournon d'après le nom des villes )— On dit maintenant « Saint-Joseph » ( 1- colonne 312 ).
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°9 - juin 2005
 

La mort de la reine d'Utopie et l'échec de l'Evangélisme
 

















Dolet, en 1535, fait paraître chez Sébastien Gryphe, son dialogue contre Erasme dont les premières lignes sont citées ci-dessus.
D'après la fiction inventée par Dolet, Thomas More serait venu à Padoue en 1529 pour remettre le pamphlet d'Erasme contre les Cicéroniens à Simon Neufville (Villanovus) , professeur d'éloquence latine et cicéronienne de l'Université, successeur à cette chaire de Christophe de Longueil et maître vénéré de Dolet . Celui-ci, présent à Padoue, prétend avoir assisté aux conversations entre les deux hommes .
 
Rappelons que Thomas More avait été l'ami intime d'Erasme, dont il partageait les idées, qu'il
avait publié, en 1516,sur l'impulsion du théologien , sa fable de l'Île d'Utopie , dans laquelle on retrouve la pensée et les illusions des Evangélistes sur la réforme de la religion et du monde par le retour à la pureté de l'Eglise primitive et des Evangiles . More avait été un familier du jeune roi Henry VIII, avant de devenir son Grand Chancelier en 1529, de démissionner de ce poste en 1532, refusant de suivre le Roi dans sa rupture avec Rome. Le Roi le fit exécuter pour trahison en 1535 . On sait aussi que la cause immédiate du schisme anglican avait été le refus du pape de casser le mariage d'Henry VIII qui se passa de sa permission et épousa Anne Boleyn... quitte à la faire assassiner à son tour en 1536.
Evidemment, Thomas More n'avait jamais mis les pieds en Italie. Le Dialogue de Dolet est purement imaginaire et ce n'est qu'un hasard s'il est publié l'année de la mort du Chancelier déchu ; Dolet travaillait sur son pamphlet depuis des années ! Mais il y a des rencontres de hasard qui  sont révélatrices. En voici une autre.
Dans les « Carmina » de Dolet publiés en 1538, on découvre l'«épitaphe de la Reine d'Utopie accusée faussement d'adultère et condamnée à être décapitée ». Il s'agit bien sûr d'Anne Boleyn.
Ce qui nous arrête, c'est ce mot «Utopie», créé par Thomas More, que Dolet choisit de reprendre pour caractériser la fin tragique de la Reine. L'ironie ne doit pas nous échapper : avec Thomas More, chancelier, c'est l'évangélisme qui aurait dû gouverner l'Angleterre, le Roi étant lui-même, un ami des humanistes. Mais c'est la barbarie qui a triomphé, mettant fin aux illusions de l'UTOPIE évangéliste. Au même moment, les illusions pacifistes religieuses d'Erasme étaient balayées en Europe.
Une grande partie du Dialogue de Dolet tourne autour de cette question : la faute d'Erasme qui accusait les cicéroniens d'être plus dangereux que les Luthériens pour l'Eglise, faute visible dès la
fable de l'Île d'Utopie,avait été de vouloir subordonner toute l'existence des hommes à la religion. C'est en ce sens que Dolet a été laïque avant la lettre, ce qui méritera une plus longue étude.
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°9 - juin 2005
 

CICERON et DOLET, de drôles de paroissiens !
 

Ni pour l'inquisiteur général, Frère Mathieu Orry, ni pour les douze théologiens de la Sorbonne qui l'interrogent sous la torture le 3 août 1546 au matin, ni pour Calvin il n'y a le moindre doute : Dolet est athée, hérétique et blasphémateur et mérite la mort.
 
Dolet catholique orthodoxe ?
 
Il a pourtant protesté de son orthodoxie dès Toulouse : il s'écrie dans le second Discours :
 
« ... de peur que quelque soupçon de fidélité envers la secte luthérienne ne s'étende sur moi, ou ne puisse se transférer sur moi, je vous demande, je vous implore avec véhémence, de m'entendre maintenant : persuadez-vous que je n'adhère à rien moins qu'à l'entêtement inique et impie des hérétiques [...].
 
Le fait est que je suis de ceux pour qui la doctrine déjà introduite il y a de nombreux siècles,
et qui nous a été pour ainsi dire transmise de main en main par les plus saints et les plus pieux héros de notre croyance, qui a été pratiquée jusqu'à aujourd'hui selon la loi et la coutume de nos aïeux, et consacrée selon les rites sacrés — je suis de ceux, dis-je, qui cultivent cette seule doctrine à l'exclusion de toute autre et qui n'approuvent pas de façon irréfléchie une doctrine nouvelle et aucunement nécessaire. »
 
On ne saurait parler ici d'adhésion du cœur à la foi chrétienne. Dolet veut bien respecter une
« doctrine » héritée d'un lointain passé et de ce fait vénérable et constitutionnelle de la vie sociale, il veut bien l'accepter parce qu' elle consiste en la pratique « selon la loi et la coutume de nos aïeux » de « rites sacrés », parce que ce qui la « consacre » ce sont précisément « les rites sacrés ». Mais il ne va pas plus loin. Ses protestations répétées d'orthodoxie ne sont que des armes de protection. Il est et demeure un païen cicéronien.
 
Dolet s'appuie étroitement
sur la pensée de Cicéron
 
Qu'était donc la religion pour un Cicéron, le maître à penser de Dolet ?
Il serait facile de multiplier les citations de Cicéron que Dolet semble presque recopier . Ainsi dans le livre II (chapitres 33 à 36) ) « De la Divination », il explique qu'il est « délicat » pour lui qui est « augure » de s'attaquer aux superstitions des rites de divination, d'autant qu'il ne se cache pas que c'est remettre en question la religion romaine tout entière :
 
« S'il y a des dieux, il y a une divination ; or il y a des dieux, donc il y a une divination. On pourrait dire à l'inverse et ce langage paraîtrait plus conforme à la raison : il n'y a pas de divination, donc il n'y a pas de dieux. Vois à quel danger on s'expose en faisant dépendre l'existence des dieux de celle de la divination. La divination n'existe pas, cela est clair, mais il faut conserver les dieux ». (De la Divination XVII ).
 
Il attaque les superstitions ( et la religion !), page après page, avec une vigueur dont Dolet
s'inspirera quand il dénoncera à Toulouse les rites superstitieux de l'Eglise, et il conclut : « Toutefois pour ménager l'opinion du vulgaire et dans l'intérêt supérieur de la République, les mêmes pratiques religieuses, les mêmes règles sont restées en vigueur de même que le droit augural s'est maintenu [...] Je crois que le droit augural s'est constitué à l'origine parce qu'on avait la foi dans la divination et qu'il s'est maintenu par raison d'Etat ». La démarche de Cicéron ne lui était pas propre, c'était celle de l'élite aristocratique romaine, analyse Paul Veyne', professeur au Collège de France .
 
La « religion » d'un patricien romain
 
« Face à la croyance et aux croyances populaires, les convenances imposaient à la classe dirigeante un conformisme religieux en public, tandis que leur distinction regardait de haut les naïvetés populaires et que la religion était un sujet dont on ne parlait guère en société. La religion est absente de la correspondance de Cicéron sauf lorsqu'il plaisante avec un ami sur la piété de sa femme qui assure le culte domestique ; les dieux sont pompeusement présents dans les discours publics, ses ouvrages philosophiques affirment la divinité en gros ( ce qui ne lui coûtait guère) et plaisantent sur tous les détails ; mais il était un augure et accomplissait régulièrement les devoirs de cette honorifique prêtrise publique, tout en écrivant que deux haruspices ne pouvaient se rencontrer sans sourire. Tel était l'esprit de sérieux des sénateurs romains et des notables grecs et romains : les « dieux de la cité  », c'est-à-dire ceux de tous, ceux du peuple, pouvaient faire l'objet de scepticisme, de plaisanteries ou au moins d'interrogations, mais il aurait été inconvenant d'ironiser sur les cultes publics de la République et des cités grecques et romaines. C'est la double attitude du pontife Cotta dans le « De Natura Deorum » ; il respecte les rites et il émet des doutes. » [...] « Pour un sceptique comme Cicéron, la solution à sa situation inconfortable était d'aborder la religion d'une manière rituelle et officielle... » . Cette réflexion vaut pour Dolet.
 
Sans aucun doute pouvons-nous qualifier Dolet et son cher Cicéron de « drôles de paroissiens » ! La croyance à l'immortalité d'une âme divine ou de l'immortalité de l'homme dans la mémoire de la postérité pose un autre problème.2
 
1 Paul Veyne, L'Empire gréco-romain , chapitre Culte, piété et morale dans le paganisme gréco-romain pp. 505-506 Editions du Seuil , 2005
2 La réédition du livre sur Dolet, revu et très augmenté, permettra de développer ces questions.( M Picquier 17/05/06)
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°10 - jan 2007
 


UNE COLLECTION DE PORTRAITS IMAGINAIRES
 
Les portraits représentés ci-dessous sont tous fantaisistes et correspondent tout simplement  à l’idée que l’artiste a pu se faire du martyr de la Place Maubert.
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°10 - jan 2007
 

QUELLE EFFIGIE POUR DOLET ?
 
Richard Copley Christie, auteur de la biographie fondatrice de Dolet, en 1880,  présente la gravure ci-dessous comme un portrait vraisemblable de l’humaniste. Nous souhaitons  une autre effigie pour le timbre.
 















Comme on le vérifie dans la collection présentée dans l'article suivant , les autres  portraits de Dolet sont imaginaires qu’ils le représentent en vieillard vénérable alors qu’il  est mort à l’âge de 37 ans ou qu’ ils lui donnent les traits d’un  condottiere.
 
La gravure choisie par Copley Christie  provient de la « Prosopographie » d’Antoine du Verdier  imprimée en 1573 chez Antoine Gryphe,  fils et successeur  de l’ami  de Dolet, Sébastien Gryphe.
 
Copley Christie ajoute que l’imprimeur, « dans sa jeunesse avait dû voir Dolet  fréquemment ; et au moment où ce volume fut publié, il devait se trouver à Lyon plusieurs personnes qui se souvenaient de lui ».
Précisons les dates : Du Verdier né en 1544 n’a évidemment pas connu Dolet. Antoine Gryphe , né en 1527,  a 15 ans quand  Dolet,  emprisonné en juillet 1542 disparaît pratiquement de Lyon. Il sera permis d’émettre des réserves sur la qualité des souvenirs du   jeune homme,  trente et un ans plus tard,  en 1573 .
 
Christie s’appuie sur un second argument :  « La calvitie et l’aspect de cette figure prématurément ravagée concordent avec la description donnée de sa personne par Odonus, lorsque Dolet n’avait que vingt-six ans, alors qu’Odonus le prit pour un homme de trente-cinq ans » .
 
Un  portrait haineux
 
Jean Angelus Odonus a effectivement tracé un  portrait littéraire de Dolet  en 1535, à l’intention d’un secrétaire d’ Erasme. Mais l’image qu’il donne ne peut être reçue  comme objective bien qu’elle contienne des détails à prendre en considération. Odonus est, suivant ses propres termes, en adoration devant «  la majesté du nom d’Erasme ». Son jugement est celui  qu’Erasme portait sur les cicéroniens dont Dolet se voulait le chef de file :  leur « secte » est plus dangereuse pour le christianisme que celle des Luthériens. Odonus écrit donc : « Tous ces singes imitant Cicéron ont tous la même dépravation, la même impudence » et il  traite Dolet d’« Homme stupide, insensé, fou furieux, enragé, vantard, insolent, grossier, pétulant, vain, menteur, impudent, arrogant, impie, homme sans Dieu, sans foi, sans religion ».
Dolet est « une chose sans intelligence », « une bête insignifiante » , « c’est à peine s’il a l’aspect d’un homme ». Odonus, pour terminer voue le jeune humaniste à la mort ignominieuse que lui prépare l’Inquisition  . Le portrait physique habille étroitement le portrait moral : « Sa tête d’hébété est à moitié chauve… Son visage est d’une pâleur si  funèbre et si noire, et il a un air si piteux, que l’on croit qu’une fureur vengeresse s’est attachée à ses pas et va le conduire à la roue » .
 
En 1535, Etienne Dolet est malade, du paludisme contracté à Padoue ;  il vivait alors dans une extrême pauvreté ; sa mine devait s’en ressentir,  et il faisait ainsi plus vieux que son âge d’autant qu’il avait le front dégarni ; mais on voit la distance entre le jeune et brillant intellectuel de 26 ans qu’il était, même malade et le portrait d’Odonus d’une espèce de vieil abruti, attendant d’être conduit au supplice.
 
Des portraits littéraires contradictoires
 
Il existe d’autres portraits littéraires de Dolet des années 1535-1538  dus à des poètes néo-latins   . Leurs jugements sont très contradictoires.
 
C’est Bourbon, en octobre 1536, qui « exprime son ravissement d’avoir vu face à face le noble, le pur, le beau Dolet »…( p. 52)
C’est «  Gilbert Ducher, attaquant en Dolet, sous le nom de Cloacus, le cicéronien enragé , le détracteur d’Erasme » ( p. 56) .
Sussanée  parle de  l’ « atroce maigreur » de Dolet,  Gouvéa  de «  son corps monstrueux qu’habitait peut-être l’âme transmigrée de Cicéron romain – mais c’était pour s’y diluer…». Pour l’un et l’autre il montre « un visage de bois, un regard mauvais ».
 
Quant à Visagier, intime ami et admirateur de Dolet  depuis  Toulouse, même s’il va rompre avec lui , loin de décrire Dolet comme un monstre de maigreur ou d’obésité, comme un « cloaque », une bête féroce,  il chante, en 1536,  sa beauté physique et morale ;  « vingt pièces de ses épigrammes  attestent tout à la fois l’admiration de Visagier et son affection, sa tendresse pour le jeune humaniste »
- « Ah, qu’il est beau, ton corps ! Ah, ton âme qu’elle est belle ! Ah, comment ne pas dire : Quel homme totalement beau ! »  ( p. 48) .
 
Exagérations dans les deux sens. Dolet n’était certainement ni aussi laid ni aussi séduisant. D’une part il disposait certes d’un puissant charisme qui l’avait imposé à Lyon  et lui valut en février 1537 l’honneur du « banquet des humanistes »; mais d’autre part, tenace dans ses idées,  il savait se faire redouter de ses adversaires. 
Certains  vont utiliser, haineusement,  le teint bilieux, la maigreur ou au contraire l’œdème du visage et des membres , que lui valent les crises de  paludisme , pour tracer le portrait d’un monstre. Dolet avait peut-être un caractère dur et exigeant. Mais il n’est pas bien difficile de découvrir les causes profondes  de cette haine. Elle est  religieuse et politique. C’est évident chez Odonus.
 
Dolet n’est plus fréquentable
 
Ses détracteurs des années 1538 et suivantes prendront les mêmes postures. Il ne faut pas perdre de vue que  les persécutions catholiques  se sont aggravées,   Dolet n’est plus un homme fréquentable,  l’Inquisition  le traque.
Même   Maurice Scève que Dolet avait encouragé à publier ses œuvres   se détournera finalement  de lui après sa première condamnation à mort par le tribunal de l’Inquisition de Lyon le 2 octobre 1542.
 
Visagier  finira par l’accuser d’être un «  scélérat » - un criminel -  bon pour l’échafaud ( p. 61) . Mais pourquoi ? Parce qu’il aurait  été « le Singe de Lucien », ce qui signifie alors un ennemi du Christ. «  Ce qu’il voudrait faire croire à ses amis, c’est que tout meurt à la mort ; que tout est soumis au destin ; qu’il n’y a ni éternité ni immortalité ; qu’il n’existe point de Dieu ; que l’homme en rien ne diffère de la brute…Voilà les belles doctrines de ce misérable. Il les enseigne aux malheureux qui chaque jour fréquentent sa maison et suivent ses entretiens… » (p. 62).
 
Voué à l’exécration
 
Si l’on revient  à la gravure de du Verdier, on voit qu’elle donne de Dolet, au-delà de la vraisemblance des traits marqués par la maladie, la seule  image que l’on pouvait accepter en 1573 : celle d’un homme horrible,  un homme mauvais, un réprouvé, un furieux, un possédé du démon, dont la mémoire a été  vouée à l’exécration quand il  a été étranglé et brûlé place Maubert .
 
Du Verdier le dit lui-même dans les quelques lignes qui accompagnent la gravure . Il reconnaît que Dolet a été un homme « docte »  mais ajoute qu’il a été justement condamné au bûcher parce qu’il  était le diable incarné : « Mais enfin avec son savoir, étant poussé du diable,( il)  fut convaincu d’acte d’athéisme et brûlé à Paris publiquement ».
 
Alors quelle effigie pour le timbre  Dolet en 2009 ?
C’est La Poste qui décidera . Mais il nous faut faire des propositions.
 
Et si on proposait, au lieu de celui d’un homme monstrueux,  le  visage qu’ont pu connaître avant que la maladie lui inflige  trop de ravages , les  étudiants de Toulouse qui avaient choisi Dolet comme «  orateur » , ou ses amis de Lyon d’avant les querelles,  les  savants , les poètes, les  imprimeurs  du « Sodalitium lugdunense » ?
 
Le visage de l’humaniste imprimeur
 
Comme le suggère la gravure de du Verdier, le cheveu est devenu rare, le front est plissé, les traits sont marqués mais le regard resté vif de l’humaniste est tourné vers l’avenir .
La célèbre doloire qui frappe un tronc tenue par une main sortant d’un nuage accompagne l’imprimeur , comme une image de la force de l’esprit.
 
Marcel Picquier
 

 
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°11 - avr 2008
 

Qui était Jacques GRUET mis à mort par CALVIN ?
 

C’est notamment dans ces travaux d’Henri Busson et François Berriot (cf note) qu’on découvre la force souterraine du courant libertin du XVIème s, courant de libertinage intellectuel et/ou amoureux, avec des personnalités comme celle de Jacques Gruet décapité sur l’ordre de Calvin à Genève en 1547, un an après Dolet à Paris.
 
Jacques Gruet avait avoué, à deux reprises, qu’il avait rencontré trois fois Dolet entre Saône et Rhône : d’après le procès -verbal de l’interrogatoire subi sous la torture, Gruet décrit Dolet comme un individu de « meschante vie »... « plain de meschanceté » et « malvayse doctrine » « qui n’avoyt point de Dieu et estoit homme sans foy ». On ne peut savoir si ces accusations lui avaient été suggérées par ses bourreaux - Calvin tenait Dolet pour le diable ; ou si Gruet tentait de s’innocenter en rejetant la responsabilité des crimes contre la religion dont on l’accusait sur l’imprimeur lyonnais, déjà mort sur le bûcher.
 
Jacques Gruet, était un bourgeois genevois, instruit, secrétaire d’un homme d’affaires. Il ne jouissait pas de la meilleure réputation auprès des ministres protestants parce qu’il aimait la vie, les bons repas, le bal - il avait été condamné à 3 jours de prison pour avoir participé à un bal - et la fréquentation des femmes qu’il revendiquait.
 
Il est accusé d’avoir déposé sur la chaire d’un temple un placard insultant les ministres du culte. Arrêté le 30 juin 1547, il le nie, se déclarant du « parti de Sainct Evangile ». Mais on a trouvé à son domicile un libelle impie. Mis à la torture à trois reprises, les 9, 12 et 13 juillet, il avoue tout ce qu’on veut et implore qu’on le fasse mourir pour en finir avec les souffrances qui lui sont infligées. Il est condamné et a la tête tranchée le 26 juillet 1547 « pour avoir grandement offensé et blasphémé Dieu ... ».
 
L’affaire va rebondir. Au cours de travaux effectués sur la toiture de son ancienne demeure, on découvre en novembre 1549 un cahier de « treize feuillets ... pleins de ... détestables blasphèmes contre la puissance, honneur et essence de Dieu ». Gruet se moque des Saintes Ecritures, des patriarches, des prophètes, de la Vierge et des apôtres s’amusant à leur donner des noms de dérision. Moïse, le « cornu », est un imposteur ... Il n’y a ni paradis, ni enfer, tout meurt dans l’homme avec le corps mais le monde lui-même est éternel.
 
Gruet était manifestement en relation avec la pensée padouane. Comme Dolet ou Des Périers avant lui, on le soupçonnera d’avoir rédigé le « Traité des Trois Imposteurs » - Moïse, Jésus et Mahomet - dont on parle partout sans le trouver nulle part.
 
Note : Un grand silence a étouffé les thèses de Henri Busson : « Rationalisme dans la littérature française de la Renaissance » (1922) et de François Berriot « Athéismes et athéistes au XVI°S en France » (1984). Cet ouvrage, écrit Jean-Pierre Cavaillé de l’Université Le Mirail de Toulouse , « a souffert d’une espèce d’ostracisme assez révélateur dans l’université française et en tout cas suffisant au dire de l’auteur pour le décourager de persévérer dans les études seiziémistes ».
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°11 - avr 2008
 

ETIENNE DOLET ET LA LAÏCISATION DE LA LITTERATURE
 
"Pensée antique et irréligion moderne à la Renaissance"
 


De l’élite cosmopolite de la république des lettres, émergent, dès le XVIème siècle, des noms. Mieux : des « destins » [...] qui ont quitté au péril de leur vie, les rivages rassurants du christianisme. [...]
 
Etienne Dolet est un des plus illustres d’entre eux.
 
Comme lui, au XVIème siècle, de nombreux étudiants français ont pris le chemin de l’université de Padoue. A tel point que dans les années 1530, ils dominent l’intelligentsia du royaume et occupent des places éminentes dans l’administration royale, la justice, l’Eglise ou l’Université. Tous n’ont donc pas mal tourné (si l’on peut dire [...]
 
Dolet, lui, ira plus loin encore. Avant de partir à Padoue, il est l’élève de Nicolas Bérauld, le traducteur de Lucrèce, de Pline et de Lucien, auteurs qu’il continue à étudier en Italie. Il se prend surtout d’une passion dévorante pour Cicéron, dont il sera l’ardent propagandiste durant toute sa brève existence. Poursuivant ses études à Toulouse, il en est chassé en 1534, après avoir vigoureusement dénoncé le fanatisme des autorités de la ville contre les réformés et la superstition de ses habitants. Il s’installe à Lyon capitale de l’imprimerie française et se lance dans l’édition. [...]
 
Dolet est un de ces monuments de l’humanisme qui se lancèrent à corps perdu dans l’étude des anciens. Sa cause, c’est la langue de Cicéron. Il en rejette jusqu’aux mots qui, par la suite, ont corrompu la merveilleuse perfection du latin classique.
 
Affaire de peu de conséquence. Si les implications n’étaient que philologiques, sans aucun doute, mais ce vocabulaire superfétatoire, que Dolet bannit de sa bouche et de sa plume, est en grande partie celui que le christianisme a forgé en faisant du latin la langue de l’Eglise. « Voilà du beau latin ! Voilà du pur latin ! Comme si jamais Latin avait eu sur ses lèvres un nom pareil : « Christus » ! » se gausse-t-il, lorsque le poète Jean Visagier lui soumit des vers où ce gros mot figurait. Visagier, piqué au vif - en tant que chrétien ? en tant qu’auteur ?- le lui reprochera plus tard en termes véhéments : « Ricane, singe de Lucien, tu ne m’amèneras pas à tes doctrines ! Nier l’existence du ciel, d’un Dieu qui voulut que son fils mourût pour le salut des hommes, nier la faute d’Adam qui a livré le genre humain à l’âpre dent de la mort, nier le jugement suprême et les peines infernales : folie ! »
 
Visagier a bien perçu qu’au-delà de ce purisme linguistique, qui pousse Dolet à « laïciser la langue de l’Eglise » comme Sadolet songeait également à le faire, il y a une intention profondément impie : « laïciser la littérature », rien de moins. En fait, Dolet est devenu précocement un « achriste ». Dans son oeuvre, il s’abstient non seulement d’employer le mot Christ, mais encore d’évoquer la divinité de Jésus et plus généralement de s’intéresser aux dogmes chrétiens. » [...]
 
Extrait de l’ouvrage de Didier Foucault « Histoire du Libertinage des Goliards au Marquis de Sade » ( Perrin, éditeur).
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°12 - juin 2008
 

UN PROCES ODIEUX OUVERT CONTRE DOLET
 





















Oui est des Périers ? Ce personnage attachant, né pense-t-on, en 1510, est un savant humaniste et littérateur, qui, après avoir participé à l'édition de la première traduction de la Bible en Français, sous la direction d'Olivetan — Bible dite des Vaudois ou des Martyrs - en 15331534, travaille à Lyon chez Gryphe, à l'édition, en 1535, du premier tome des Commentaires sur la Langue Latine de Dolet dont il devient l'ami. Il sera ensuite l'un des secrétaires de la soeur du roi, Marguerite de Navarre, protectrice des humanistes. Il se serait donné la mort en se jetant sur son épée en 1543 ou 1544, on ignore exactement pourquoi.. Les Nouvelles récréations et joyeux devis, parus après sa mort, et le Cymbalum Mundi édité en 1537 sont ses oeuvres les plus célèbres. Mais il n'est pas du tout certain que le Cymbalum soit de sa plume (cf édition Calvié p. 26-27)
 
Avant tout, qu'est-ce que le Cymbalum  Mundi ? Il est impossible de fournir ici une analyse et je renvoie à l'excellente édition adaptée en français moderne — richement annotée, publiée en 2002 chez « Anarchasis » par Laurent Calvié. J'emprunte à la 4ème de couverture de cette édition quelques lignes qui permettent de mesurer combien le. Cymbalum mundi a pu être jugé subversif : « Dieu est mort, les églises chancellent, la nature s'éveille et la révolte gronde : telle semble être la conclusion des quatre dialogues joyeux et facétieux qui forment le Cymbalum mundi. [...] Chi en a fait une plaisante satire du paganisme, une critique des usages du langage, un pamphlet sceptique, cynique ou épicurien, un testament anticatholique, anti-évangélique ou anti-chrétien, la bible, enfin, de l'athéisme : Tintamarre du monde, que tout cela ! Cymbalum mundi ».
 
Le livre fut effectivement dénoncé en mars  1538 à François 1er qui ordonna des poursuites contre un ouvrage contenant « de grands abus et hérésies ». Le libraire parisien arrêté dénonça l'auteur et fut lourdement condamné mais comme il put reprendre ses activités rue Saint-Jacques quelques mois plus tard, on devine qu'il profita de quelque mansuétude. Pour sa part, des Périers ne semble pas avoir été inquiété. La Sorbonne consultée n'avait pas découvert « d'erreurs expresses du point de vue de la foi », ce qui est étonnant mais peut s'expliquer par la difficulté d'interpréter les allégories, les anagrammes, le langage crypté sous lesquels des Périers se dissimule et dont les savants discutent encore. Mais le livre fut pourtant condamné au feu« parce qu'il était pernicieux ». La suppression fut si bien exécutée qu'il n'a survécu qu'un seul exemplaire de la première édition. Une seconde édition lyonnaise en 1538 dut connaître le même sort : on n'en connaît que deux exemplaires.
 
Mais pourquoi Dolet aurait-il dénoncé le Cymbalum ? D'abord, avance notre procureur, pour faire disparaître un livre dans lequel il aurait été présenté comme un athée, ennemi de la religion chrétienne (il serait le chien Hylactor du 4eme dialogue) alors qu'il recherchait la respectabilité. Et ensuite, ce serait le motif principal de la délation, pour obtenir, en échange ou en récompense, son fameux Privilège d'imprimer de dix ans,qualifié d' « exorbitant » et « extraordinaire », le 6 mars 1538.
 
De quelles preuves dispose le procureur ?
La seule preuve avancée est une coïncidence de date. Lizet, le président du Parlement de Paris, a reçu la lettre du roi donnant l'ordre de conduire une enquête sur le Cymbalum Mundi le 5 mars 1538 et le Privilège d'imprimer de Dolet est daté du 6 mars : « cette étrange conjonction
chronologique paraît si incroyable qu'elle ne peut, selon moi, être une coïncidence ». On est en droit d'estimer qu'une telle conception expéditive de la justice est de nature à faire pendre n'importe qui !
 
En fait, il n'est même pas prouvé que Dolet ait été personnifié par le chien Hylactor : aucun de ses contemporains ne l'a reconnu sous ces traits.
M. Vallée laisse entendre, pour renforcer son hypothèse, que si Dolet a été traité haineusement
par des ex-amis, dans la même période, c'est bien qu'il avait commis quelques forfaits « innommables ». Or rien n'est plus faux et plus malhonnête que cette insinuation répétée depuis
des siècles contre l'humaniste : d'une part, les choses « innommables » imputées à Dolet relèvent de différends religieux, les preuves abondent ; d'autre part ce ne sont que quelques amis qui ont rompu avec lui, soit pour des raisons personnelles ou d'intérêt soit pour des raisons de conviction religieuse soit encore parce qu'il était devenu dangereux de le fréquenter depuis que l'Inquisition le menaçait ouvertement, c'est-à-dire à Lyon, dès la deuxième partie de l'année 1538.
 
Quant à prétendre que l'auteur du Cymbalum a voulu lui jouer un mauvais tour, ce n'est pas plausible, puisque le 2ème livre du Cymbalum affiche des idées inspirées de Dolet et que le prétendu chien Hylactor-Dolet, bien que moqué, est présenté sous un jour sympathique.
 
Reprenons les faits. Etienne Dolet se trouve bien à Moulins en mars 1538 dans la suite du cardinal de Tournon, ministre du roi et gouverneur du Dauphiné et Lyonnais. C'est le cardinal qui le présente au roi à qui il remet, en hommage et pour preuve de ses grandes capacités, les deux tomes de ses Commentaires sur la Langue Latine.
 
Mais il n'est nul besoin d'imaginer un Dolet  délateur pour expliquer l'obtention du privilège d'imprimer de dix ans.
Il avait déjà su s'attirer l'attention et les bonnes grâces du cardinal-ministre et du roi. N'avait-il pas pris l'initiative, après la mort soudaine, passant pour un assassinat, du dauphin François, au château de Tournon, dans le fief-même du cardinal, le 10 août 1536, de rassembler les plumes les plus prestigieuses pour écrire un recueil d'épitaphes du prince « en vers latins et vulgaires » (novembre 1536, chez François Juste) et fustiger le criminel présumé, le Comte Montecucculi ? N'allait-il pas publier « Les gestes de François de Valois »?
 
De plus, on connaît son pouvoir de persuasion, son charisme qui avaient rassemblé une cohorte d'admirateurs. Le banquet des Humanistes de février 1537 avait réuni les plus grands d'entre eux autour de lui pour fêter le pardon obtenu du roi après le malheureux homicide de Compaing : de Guillaume Budé à Nicolas Béraud, de Marot à Rabelais, tous étaient là.
 
Dolet, orateur enflammé, nouveau Cicéron, n'avait pas dû manquer de reprendre hardiment devant le roi les théories, largement développées dans les digressions de ses Commentaires sur la Langue Latine. Si le roi le voulait, s'il continuait, mécène généreux et père des Lettres, à protéger les savants, l'ignorance et la barbarie allaient reculer devant l'instruction et le progrès de la civilisation, la gloire de la nation et de la langue françaises, allaient s'épanouir. Dolet préparait son grand ouvrage d'illustration de la langue française.
 
Enfin et surtout peut-être, Dolet a eu la chance de rencontrer le roi à un moment de son règne où il cherche à favoriser la diffusion de l'imprimerie. Michel Constantin (colloque de Rome sur des Périers, 2000) est très clair : «Je voudrais pour ma part souligner que la décision royale (d'attribuer à Dolet un privilège de dix ans), même si elle doit quelque chose à la faculté de persuasion de Dolet et au poids de son protecteur, n'est en rien ad hominem. Elle illustre une politique d'encouragement de l'imprimerie, elle-même génératrice d'un climat favorable à la typographie et loin d'être constant tout au long du siècle... ».
 
Michel Constantin, on le voit, ne dit absolument pas que le roi aurait voulu faire un cadeau extraordinaire à Dolet pour le récompenser d'une délation. Dolet est arrivé à la cour au moment le plus favorable. Le même auteur remarque que la parution du Cymbalum a été « un raté de l'entreprise générale un peu frénétique d'encouragement à la typographie qui caractérise la politique royale au milieu des années 30... ». L'opuscule avait échappé à la censure plus libérale que de coutume du Prévôt de Paris ; l'imprimeur n'avait d'ailleurs pas même caché son nom et l'ouvrage avait dû lui paraître anodin. Ces réflexions qui concluent la contribution de Michel Constantin et qui invalident la thèse de Jean-François Vallée sont soigneusement omises par notre procureur qui se réclame pourtant de Michel Constantin jusqu'à décalquer son titre : quand ce dernier écrit «  Vol au-dessus d'un nid de corbeaux : le prince, les lettres et le Cymbalum mundi », il titre : « Le corbeau et la cymbale, Etienne Dolet et le Cymbalum mundi. ».
 
Qui a donc dénoncé le Cymbalum mundi ? 
Michel Constantin ne se prononce pas. Mais il sait bien que la cour du roi était « un nid de corbeaux ».
M. Vallée ne s'est d'ailleurs pas aperçu qu'en reprenant le terme de « corbeau » pour accuser Dolet, il détruit sa propre hypothèse. Un « corbeau » est un dénonciateur anonyme. Si Dolet avait agi anonymement, comment aurait-il pu être récompensé par l'octroi d'un privilège ?
 
Hypothèse pour hypothèse ! Si M. Vallée veut absolument découvrir son « corbeau », pourquoi ne recherche-t-il pas du côté des spécialistes de la chasse aux hérétiques dans les années 1530 ? Nous lui suggérons d'enquêter du côté de l'Inquisition. Au terme de « délation », l'Encyclopédie de Diderot renvoie à « Inquisition ». Qu'il s'inquiète donc de savoir si l'impitoyable Inquisiteur général Mathieu Ory, un familier du cardinal de Tournon qu'il poussera au fanatisme (affaire Michel Servet, entre autres), n'était pas à Moulins en mars 1538. Ce dignitaire disposait sans aucun doute d'informateurs qui à Paris ou à Lyon fouillaient les étals des libraires pour y découvrir les ouvrages hérétiques et subversifs. Il surveillait Dolet suspect depuis ses discours de Toulouse : il fera interdire d'exposition et de vente, dès leur parution, les « Carmina » et le « Cato Christianus » de Dolet aux alentours d'octobre 1538, six mois après l'obtention du Privilège ! Le « Cato Christianus » fut condamné par son tribunal inquisitorial de Lyon le 2 octobre 1542 et brûlé.
 
Pour ma part, je me suis vainement adressé au couvent Saint-Jacques des dominicains de Paris pour obtenir des informations sur l'emploi du temps du moine en 1538. Mais M. Vallée aura peut-être plus de bonheur.
 
Nous n'ignorons pas que l'imprimeur de la rue Mercière n'était pas un ange, qu'il a pu être dur, ingrat, arrogant. Mais pourquoi l'accuser d'un forfait imaginaire ? Nous ne comprenons pas. Ou trop bien. Quand nous menons une campagne pour honorer en 2009 la mémoire du martyr de la pensée libre de la Renaissance française, nous n'entendons pas laisser un odieux procès tenter de le noircir.
 
Marcel Picquier
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°13 - oct 2008
 

LE PALUDISME ET LE DELIT DE " SALE GUEULE "
 

André Steyert (1830-1904), auteur d'une Histoire de Lyon, a rencontré Dolet dans ses travaux littéraires et, catholique militant lyonnais du XIXème s., il l'a détesté et attaqué avec constance estimant que la laideur de Dolet sur la gravure de du Verdier (1573) attestait de la noirceur de son âme :
 























Dans la Doloire n°10 de janvier 2007, sous le titre « Quelle effigie pour Dolet ? » j'avais envisagé l'hypothèse que cette laideur physique dans la quelle ses ennemis, du XVIème s. à nos jours, ont voulu lire des « vices » et des « crimes », a eu pour cause le paludisme. Ses fièvres étaient connues depuis l'antiquité mais on ne savait rien de son origine. C'est seulement en 1880 que Charles Laveran, médecin militaire Français, découvrira que la maladie qu'on va appeler le paludisme est inoculée par le moustique anophèle (du grec : nuisible).
 
J'ai recherché dans la correspondance de Dolet et ses oeuvres ce qu'il a écrit lui-même de la maladie dont il souffrait, j'ai relevé les portraits très réalistes que faisaient de lui ses adversaires et j'ai demandé à des médecins spécialistes d'en tirer un diagnostic. Ils ont confirmé mon hypothèse. Etienne Dolet a souffert - du paludisme à plasmodium malariae, une des formes de la maladie, appelé fièvre quarte au XVIème s., maladie invalidante et récidivante contractée probablement dans les régions marécageuses de Padoue et Venise où il avait séjourné. Il a dû en souffrir jusqu'à la fin de sa vie. Lui-même décrit ses attaques dans sa correspondance et dans ses oeuvres des années 1534 - 1538. Si l'on ne trouve plus d'informations à ce sujet pour les années suivantes, c'est évidemment que ses papiers personnels ont tous été saisis et détruits par la justice inquisitoriale.
Je ne donnerai pas ici les citations, ce serait trop long, mais seulement le diagnostic médical qui les utilise d'ailleurs les unes après les autres.
 


Le diagnostic du Docteur François Cordier de la faculté de Médecine de Paris :
 
Histoire de la Maladie
 
Les premières descriptions cliniques pathologiques apparaissent en 1534 alors qu'il est de retour en France Installé à Toulouse. Elles laissent présumer que ces manifestations avaient débuté
antérieurement II écrit le 8 et 22 juin 1534 à Toulouse :
- « ....Je me consacre à la littérature autant que ma santé me le permet ... »,
- « ....la gravité de ma maladie qui m'a torturé jusqu'ici .... »,
- « dont tu n'ignores pas que le suis victime depuis longtemps ».
 
Le début de la maladie remonte donc probablement à son séjour ou la fin de son séjour Italien.
 

Que savons nous de ces manifestations cliniques?
 
Elles sont très asthéniantes:
" ...avec autant d'Energie que ma santé le permet ...",
" ...je n'ai pas encore recouvré mes forces physiques..."
 
Ce sont des accès fébriles :
"...ainsi la fièvre tous les trois jours ",
"...une fièvre de très mauvais augure...",
"...m'annonce le retour de la fièvre ...", -
"...une fièvre quarte ».
 
Ces accès fébriles sont récurrents :
« ... à cause d'une grave rechute... »
«...m'annonce le retour de la fièvre... »
«... (la fièvre) revenue intacte... »
«...a fini par se transformer en fièvre quarte ... »
 
Il écrit par ailleurs le 31 juillet 1534 dans une lettre adressée à Jean de Clause qu'il a présenté quelques jours auparavant un accès fébrile au Puy, il en présentera un autre le 1er Août à Lyon. Un 3ème, le 3 Août.
Nous avons par ailleurs deux précisions importantes faites par l'auteur. L'une porte sur les signes cliniques précédant l'accès fébrile :
« ... cependant que le tremblement des mes mains et de mes dents m'annonce le retour de la fièvre »
La fièvre est donc précédée d'un phase de frissons.
 
L'autre explique la durée de l'accès fébrile :
«m 'a très cruellement torturé au moins 6 heures ... »
 

Le diagnostic devient alors évident :
une fièvre récurrente quarte correspond à des accès palustres à Plasmodium malariae.
 

Il existe quatre espèces plasmodiales :
 
Le P. falciparum donne le paludisme pernicieux ( la fièvre tierce maligne ) qui ne provoque pas de reviviscence à distance de la contamination ( pas de récidive), il ne peut donc être évoqué dans ce cas.
 
Les P. vivax et ovalé donnent des accès tierces bénins c'est a dire des accès fébrile tous les 48 heures ( J1 fièvre, J2 ras , J3 fièvre etc ....) les récurrences n'excèdent rarement 2 à 5 ans après la contamination.
 
Le Plasmodium malariae est responsable de la fièvre quarte, c'est à dire un accès fébrile toutes les 72 heures . ( Fièvre .J1 J4 J7 etc....)
 
L'accès palustre est très stéréotypé : il dure une douzaine d'heures
- première phase frissons intenses 2 à 3 heures (décrit ici)
- deuxième phase chaleur (fièvre intense 40 ° - 41 °c) 4 à 6 heures (décrit ici)
-troisième phase sueurs 2 à 3 heures ( aucune description ?)
 
Le P. malariae est par ailleurs caractérisé par la longévité des reviviscences après la contamination, le patient peut continuer de présenter des accès fébriles plus de 20 ans après un séjour en zone d'endémie. A cette époque la zone d'endémie palustre s'étendait à toute l'Europe y compris l'Italie bien sûr, mais aussi l'Espagne , France (Camargue Vendée, Sologne , Bassin Parisien, Flandre ), Grèce, Bulgarie, Pologne, Russie etc ...
 
Etienne Dolet a pu s'infester en Italie pendant les années 1527 —1533, séjournant dans une région marécageuse de la plaine du Pô infestée d 'anophèles (moustique responsable de la transmission du plasmodium ). Il y développa probablement ses premiers accès fébrile. De retour en France il continuera de présenter des années plus tard les accès de reviviscence schizogonique décrits.
 

D'autres descriptions corroborent ce diagnostic.
- le teint pâle et bilieux du patient. La pâleur témoigne d'un certain degré d'anémie, le paludisme provoque une anémie par destruction des globules rouges (il s'agit d'une anémie hémolytique) .Cette hémolyse provoque une libération de pigments bilieux donnant la coloration cutanée jaune, cireuse, « bilieuse » rapportée.
 
- Il est par ailleurs fait mention à plusieurs reprises de son aspect « bouffi ». Ces oedèmes peuvent témoigner d'une insuffisance cardiaque ou d'une insuffisance rénale. La paludisme à Plasmodium malariae se complique parfois d'une affection rénale sévère : les néphrites quartanes.
 
Ce sont des néphropathies glomérulaires révélées par un syndrome néphrotique c'est à dire des oedèmes très importants de l'ensemble du corps (membres inférieurs et visage.) Ces néphropathies évoluent vers l'insuffisance rénale terminale (c'est à dire, à cette époque, la mort).
 
Il convient de noter une forme clinique particulière de ce paludisme survenant chez les sujets non prémunis, exposés à des infestations parasitaires massives et répétées : le paludisme viscéral évolutif. Il donne un malade « pâle amaigri, parfois dyspnéiqué avec des oedèmes des membres inférieurs et un fébricule permanent sur lequel se greffent des poussées fébriles irrégulières ».
 
Cette description semble correspondre à celle de notre malade.
 

Ajoutons : le paludisme fait encore au moins un million de victimes par an dans le monde.
 
Dans le prochain numéro : Comment Dolet comprenait-il sa maladie ? Qu'en ont dit ses biographes et les chercheurs jusqu'en 1880 ? Depuis 1880 ? Que faut-il en penser nous-mêmes ?
 
Je tiens à la disposition des curieux — envoi par internet - le recueil complet avec leurs références des documents auxquels sont empruntéses les citations du Dr François Cordier que nous remercions hautement.
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°14 - juin  2009
 


4 pages de JEAN JAURES sur Etienne DOLET
 


Nous devons à nos amis de la fédération de la Libre Pensée d’Orléans « Les Emules d’Etienne Dolet », que nous remercions, les belles pages de Jean Jaurès sur Dolet que nous publions en encart au format du livre dans lequel elles pourront être glissées.
Ces pages demeurent d’une parfaite actualité. On sait que Dolet et Calvin sont nés la même année en 1509. On va beaucoup parler de l’un et de l’autre en 2009.
 

Quelles différences entre les deux hommes !
Deux mondes ! Quelques mots.
 
Calvin avait commencé, comme Luther, par se réclamer de la liberté de conscience contre l’intolérance catholique, ce qui était une grande conquête de la Renaissance humaniste. Jaurès lui reproche de s’être bientôt, à Genève, abandonné, lui aussi, à « l’implacable fanatisme du dogme ». C’est ainsi, entre autres, qu’il fera brûler Michel Servet, en manière de règlement d’un conflit théologique.
 
Dolet a toujours méprisé ces querelles ; il avait dénoncé à Toulouse, ce qui le désigna comme un suspect, la condamnation au bûcher du professeur Caturce, accusant l’Inquisition de détruire toute justice : « chacun se rend compte, en y réfléchissant, qu’ici plus qu’ailleurs la justice et les lois restent muettes, que la violence, la malveillance et la volonté de faire chanceler la justice y règnent ».
 
Dolet ne changera jamais d’attitude. Calvin, jamais avare d’insultes, écrivait cinq ans après son supplice : « Dolet et ses pareils ne diffèrent en rien des chiens et des porcs ».
 


DOLET par Jean JAURES 
« La Petite République » - 7 août 1904
 

C’est pour avoir reflété, en quelques vers latins, l’incertaine philosophie de Cicéron sur le monde, l’âme et Dieu, c’est pour avoir dénoncé, sans précaution, la fureur intolérante et l’oppression hypocrite des moines, « les porteurs de cagoules au cou plié », c’est surtout pour avoir prêté ses presses d’imprimeur à toutes les œuvres libres, que Dolet, haï des couvents, persécuté par le Parlement et la Sorbonne, abandonné enfin par le roi, fut conduit au supplice. Et le bourreau le contraignit de marmonner quelques vagues paroles de rétractation, sous la menace de lui arracher la langue et de le livrer tout vif au bûcher.
Quelle étrange et prodigieuse époque que ce XVIème siècle où la vie de l’esprit germait de toute part, où la force de la pensée éclatait dans tous les sillons, et où cependant un reste d’inquisition barbare survivait à l’ignorance abolie !
Et comme l’esprit de l’homme a de peine à s’arracher aux prises de l’absolutisme religieux et du dogmatisme intolérant ! Il semble qu’en ces jours d’étude, de curiosité universelle, de pensée fervente et enivrée, l’élan de l’esprit doit suffire à briser toutes les entraves. Le monde s’est élargi soudain dans l’espace et dans le temps : il s’est accru d’un continent nouveau, il s’est accru de l’antiquité retrouvée. Et l’abondance des horizons, des iodées et des images invite l’intelligence de l’homme à se dépouiller des préjugés étroits, des partis-pris violents et sanglants.
Quelle activité dans ces esprits qui tentent de suffire, par un effort frénétique, à la sollicitation infinie et soudaine de la vérité ! Ils travaillent les jours et les nuits, étudiant les textes anciens et les confrontant avec la nature ; et ils ne se reposent de ce labeur forcé où leur énergie s’épuiserait enfin, que par de longs et aventureux voyages à travers l’Europe pensante, à la recherche d’une vérité nouvelle, d’un enseignement nouveau !
 

Une première laïcisation du domaine intellectuel
 
Mais quelle vie surtout et quelle fièvre en ces imprimeries comme celle que Dolet dirigeait à Lyon ! C’était tout à la fois comme une grande maison d’édition et comme un grand journal de combat. Il en sortait des in-folio, où les chefs d’œuvre des maîtres anciens, recensés sur les manuscrits les plus sûrs, avaient été soumis à une révision sévère. Il en sortait des pamphlets aigus comme des flèches qui allaient frapper au loin l’ignorance, la superstition, la moinerie et le fanatisme.
 
Et les presses surmenées livraient aussi ces traductions de la Bible et de l’Evangile en langue moderne, qui étaient comme une première laïcisation du domaine intellectuel dont l’Eglise s’était réservé jusque-là le monopole et l’administration.
Va-et-vient incessant ; entrée des écrivains qui portaient leurs manuscrits audacieux ; entrée des novateurs qui, trop compromis en leur ville natale, cherchaient au loin, à Lyon, à Strasbourg, auprès d’autres esprits de leur sorte, un peu de sécurité et un surcroît de fièvre.
 
Cris d’enthousiasme à la découverte d’une leçon inédite dans un manuscrit ancien récemment trouvé, ou à la lecture de quelque page savoureuse et profonde de Gargantua et du Pantagruel. Mais voici en de magnifiques volumes la reproduction de statues et de médailles antiques.
 
Voici en de belles planches gravées l’anatomie du corps humain, dont le secret ests violé pour la première fois, malgré les résistances d’Eglise, par le regard et le scalpel. Et tous ces travailleurs, tous ces chercheurs, mêlés aux ouvriers, ouvriers eux-mêmes, surveillant ou maniant les presses, semblent parfois dans l’animation du travail silencieux, combiner le silence du cloître et l’agitation du forum.
 

On l’accusait de nier Dieu et l’immortalité de l’âme
 
Et c’est à un de ces ateliers de pensée vivante que le bourreau arracha Dolet, au moment même où il allait continuer ses vastes travaux sur le monde antique par une traduction française des œuvres de Platon ! Ah ! comme il était difficile à la race humaine, si longtemps façonnée par le despotisme d’Eglise, de s’élever à l’idée de liberté ! Dolet, ce n’est point précisément une accusation d’hérésie qui fut lancée contre lui. On lui reprochait plus encore. On l’accusait de nier Dieu et l’immortalité de l’âme.
 
Toute la Renaissance et toute la Réforme auraient se grouper autour de lui pour le défendre : la Renaissance, parce qu’elle ne pouvait laisser frapper, sans se renier elle-même, ceux qu’emplissait son esprit, et qu’elle devait revendiquer le droit à la vie pour le matérialisme d’Epicure et de Lucrèce, comme pour l’idéalisme de Platon ; la Réforme, parce qu’elle ne pouvait limiter les audaces de la conscience individuelle sans reconnaître le principe d’autorité et sans donner raison à Rome.
 
Mais les progrès de la conscience humaine sont si lents, si incertains, si malaisés, que l’esprit de tolérance ne prévalut pas même dans cette fermentation universelle de la pensée, contre la force du fanatisme, et que Dolet, frappé par les vieilles puissances d’oppression, fut à demi désavoué même par les hommes des temps nouveaux.
 

Calvin, l’implacable fanatisme du dogme
 
Calvin aurait dû se souvenir qu’à Paris, à Orléans, à Bourges, il avait participé aux joies intellectuelles des humanistes. Mais, non ; l’implacable fanatisme du dogme l’avait saisi à son tour : pas une voix calviniste ne s’éleva pour défendre le malheureux livré au bourreau.
Et comment Calvin aurait-il pu flétrir le bûcher de Dolet lui qui allumait le bûcher de Servet ?
Quand il parle de Dolet, quatre ans après le supplice de celui-ci, ce n’est pas dans un pensée de pitié, c’est pour le classer avec insulte avec ceux qui avaient blasphémé l’Evangile et confondu l’homme, destitué de son âme, « avec les chiens et les porcs ».
 
Bayle remarque, dans l’article de son dictionnaire consacré à Dolet, que Théodore de Bèze, catholique encore, avait écrit pour Dolet une épitaphe glorieuse, et que, passé à la Réforme, il la raya de ses œuvres. Ainsi le libre penseur supplicié était désavoué par ceux-là mêmes qui avaient proclamé contre Rome le droit de la conscience libre.
Et parmi les humanistes, eux-mêmes, quelles misérables défaillances, nées de misérables rivalités ! Scaliger avait depuis des années préparé le bûcher de Dolet en déclamant haineusement contre son athéisme. Il paraît que Dolet avait commis le crime de revenir sur un sujet déjà traité par Scaliger. O puériles contentions des amours-propres ! Et comme toutes les grandes causes ont été desservies par ces jalousies déplorables.
Qu’importe cependant ? A travers toutes les résistances, toutes les obscurités, tous les supplices, le droit supérieur de la conscience libre ira s’affirmant. Mais celui-là serait insensé aujourd’hui et criminel qui oublierait au prix de quels efforts et de quels sacrifices il fut conquis et qui le remettrait à la merci des institutions de servitude. L’éducation républicaine de laïcité et de raison n’est pas seulement la sauvegarde du présent, la condition du progrès ; elle est encore une dette sacrée envers ceux qui, dans les temps plus difficiles, ont lutté et souffert pour la liberté de l’esprit.
 
Comme leur vie fut amère ! Dolet fut hanté sans cesse par le pressentiment d’une mort violente et il appelait douloureusement le dernier sommeil pour être délivré de ce cauchemar. Le doux et conciliant Mélanchton, qui chercha toujours en vain à apaiser le fureurs des sectes ennemies, demandait à la mort de le libérer de l’odium theologicum, des haines fanatiques. Et de ce XVIème siècle si tourmenté, monte jusqu’à nous, avec le cri joyeux de la vie qui s’éveille et s’enivre de vérité et de beauté, le cri de fureur de l’intolérance, le cri de douleur de la raison meurtrie qui renonce à lutter contre la folie des haines.
 

O ineptie des inquisiteurs ! O niaiserie des bourreaux !
 
Déjà cependant il apparaissait bien que le fanatisme était voué à la défaite et qu’il serait comme débordé par la puissance grandissante de la vie.
 
Quelle atrocité dans le supplice de Dolet ! Mais encore quelle imbécillité ! Les tortureurs frappaient Dolet, c’est-à-dire le Cicéronien aux mots splendides qui se laissait emporter à d’impertinentes et superficielles audaces par l’essor de sa rhétorique. Mais Luther leur avait échappé ; Calvin leur échappait ; mais Rabelais surtout, le révolutionnaire profond, se déguisait à demi, juste assez pour dépister le bourreau, et il continuait son œuvre. Quelle barbarie de brûler Dolet ! Mais quelle sottise, brûlant Dolet, de laisser vivre l’autre ! Contre Dolet, ils invoquèrent un pauvre petit bout de phrase latine qui semble dire que la mort éteint la conscience.
 
Et voici que quelques années plus tard, Montaigne écrit impunément, en ce grand style où il excellait : « Je me plonge tête baissée dans la mort, sans la considérer et reconnaître, comme dans une profondeur muette et obscure qui m’engloutit tout d’un saut, et m’étouffe en un instant d’un puissant sommeil, plein d’insipidité et d’indolence ».
 
O ineptie des inquisiteurs ! O niaiserie des bourreaux !
 

Un exemple d’héroïsme intellectuel
 
Mais nous, en qui ces souvenirs raniment la juste haine, et le mépris aussi, des puissances de servitude, maintenons toujours ardente en nous la vie de l’esprit, la libre noble inquiétude du vrai.
 
Demandons à ces hommes du XVIème siècle, qui en des heures troubles et ferventes développèrent une si prodigieuse énergie, de nous communiquer leur vertu la plus haute, la passion sainte du travail et de la vérité. Aux prolétaires accablés encore par le poids du labeur quotidien et qui s’excusent par là de ne point faire effort vers la science et la lumière, ces hommes du XVIème siècle, qui malgré les privations, la pauvreté, la persécution, parvinrent à étudier, à s’instruire, donnent un exemple d’héroïsme intellectuel.
 
L’organisation du nouveau monde social de solidarité et de justice ne se fera point sans un grand effort de pensée. Les bûchers sont éteints ; mais l’obstacle demeure, des inerties, des routines, des préjugés, des ignorances.
 
Le vrai moyen d’honorer les martyrs de la pensée comme Dolet, c’est de créer en soi, par un travail de tous les jours, la liberté de l’esprit, la puissance de la vie intérieure.
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°15 - oct 2009
 

Servet – Dolet - Calvin
 
Le 27 octobre 1553, le savant mathématicien, médecin et théologien rebelle Michel Servet , d’ origine espagnole,  fut brûlé à Genève sur l’ordre de Calvin pour avoir nié le dogme de la Trinité. «Ce chaos prodigieux de blasphèmes ne mérite aucun pardon », avait   décidé le charitable Calvin. 
 
L’inquisiteur français catholique, le frère  dominicain Mathieu Ory - grand ennemi de Dolet et pourchasseur d’hérésie - à qui Calvin avait transmis des documents compromettants pour accabler Servet, quand il était encore emprisonné à Vienne, n’avait pu faire brûler Servet  qu’en effigie, le prisonnier ayant pu s’évader de sa prison. Calvin avait achevé la sale  besogne.
 
« La Tribune de Genève » du 3 août dernier a consacré une page à cette tragédie avec le souci d’exonérer les héritiers de Calvin du forfait : « Cet éternel retour de Servet dans le débat d’idées aboutira logiquement, en 1903, au monument expiatoire de Champel. L’espagnol aura sa rue.Une chose inconcevable  ailleurs. A ce qu’on sache, la France n’en a accordé aucune à Etienne Dolet ».
 
Difficile d’être plus « faux-cul » ! Le supplice de Servet ne résulte que d’un « débat d’idées » !  Le journal a pris soin d’avancer, en titre :  « L’Espagnol et Jean Calvin s’opposaient sur la Trinité. Un sujet dangereux à l’époque ! » Ah ! si Servet avait bien voulu se censurer ! Quant au monument de Champel, c’est un autre moyen qu’ont trouvé de pieux  calvinistes pour tenter de cacher une tâche indélibile.
Sur une pierre de granit le supplice de Servet est bien rappelé mais commenté de ces mots : « Fils respectueux et reconnaissants de Calvin, notre grand Réformateur, mais condamnant une erreur qui fut celle de son siècle, et fermement attachés à la liberté de conscience, selon les vrais proncipes de la réformation et de l’Evangile, nous avons élevé ce monument expiatoire ».Inutile de commenter ; le crime n’est plus qu’une « erreur ».
 
Pour finir, le mensonge devient à son tour monumental : en France Dolet n’aurait pas eu même une rue ? Honte à la République laïque ! Une mise au point précise a été envoyée au journal : « Pour s’en tenir à la période moderne, depuis l’instauration de la IIIème République, Dolet a été mis à l’honneur. La ville de Paris a inauguré le 19 mai 1889 un  beau monument commémoratif (…) Des centaines de villes ont donné son nom à une rue ou à une place entre 1880 et 1910(…) L’association au nom de laquelle je vous écris (…) vient d’obtenir un timbre de La Poste à l’occasion du 500 ème anniversaire de sa naissance. »
Le quotidien génevois n’a tenu aucun compte de la lettre.
 
Heureusement pour la mémoire de Servet, de l’autre côté de la frontière,  à Annemasse,  a été érigé un véritable monument à la mémoire du martyr, il y a un siècle. La Fédération départementale de la Libre Pensée de Haute-Savoie  et l’Association dela Libre Pensée de Genève appellent à un rassemblement ce 27 octobre au pied de la statue de Servet, rassemblement que soutiennent les Amis d’Etienne Dolet :
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°15 - oct 2009
 

Dolet et Calvin… à Lyon
 
On sait que les deux hommes sont nés la même année, en 1509. Les manifestations de commémoration se concurrencent en ce 500ème anniversaire de leur naissance. L’image, rigide, de Calvin, donnée ici, est extraite de la République du Centre (12 mars 2009) d’Orléans où les héritiers de Calvin érigent une statue au réformateur de Genèvequi n’en voulait pas.
Soit ! Ce n’est pas notre affaire.
 
L’Université d’Orléans lui consacre un colloque en  novembre.  A lyon, ce sont les Archives municipales qui se sont chargées de cet hommage, tandis que l’Université Lyon2 organisait le colloque international  Dolet.
 
On sait également, ce qui nous intéresse davantage, que Calvin ne portait pas Dolet dans son cœur. Ce devait être réciproque.
 
Le dernier biographe de Calvin, Yves Krumenacker, le rappelle à son tour en citant le « Traité des Scandales » ( de 1550, quatre ans après la mort de Dolet sur le bûcher) :
 
« Il est bien connu que… Servet, Dolet et leurs pareils ont toujours superbement méprisé l’Evangile comme de vulgaires cyclopes qu’ils étaient . Ils sont tombés à un tel degré de démence et de fureur que non seulement ils ont vomi des blasphèmes exécrables sur le fils de Dieu, mais en ce qui concerne la vie de l’âme, ils ne diffèrent en rien des chiens et des porcs ». (Calvin au-delà de la légende – ed. Bayard – 2009 – p. 462)
 
On pourra s’étonner que le président des Amis d’Etienne Dolet tienne une conférence aux Archives, le 3 décembre 2009, au milieu d’une série de conférences sur «  L’année Calvin à Lyon – Lyon 1562, Capitale protestante ».
Cela pourrait passer pour une confusion chronologique ou idéologique.
 
Chronologique : en 1562, Dolet était mort depuis seize ans. Il n’a donc pu jouer aucun rôle à Lyon dans cette année où les protestants ont été les maîtres de la Ville.
Idéologique  : Dolet, chez qui l’Inquisition avait découvert l’édition latine de « l’Institution chrétienne » de Calvin, aurait – il donc été, après tout,  un réformé clandestin, ce qui n’est pas notre opinion ?
 
La  vérité, c’est que la tenue d’une conférence Dolet aux Archives avait été demandée et accordée bien avant qu’il soit question de colloque et conférences Calvin en ces lieux. Le hasard des disponibilités de chacun  a fait le reste.
 
C’est une bonne chose qu’elle ait été maintenue, et en dehors du colloque Calvin proprement dit. Elle pourra être l’occasion d’établir d’intéressants parallèles entre Dolet et Calvin et de  revenir sur la pensée de l’imprimeur humaniste de la rue Mercière quant au rôle des religions dans la cité  et sur ses propres convictions.
 

Dans le Progrès du dimanche 27/09/09
 

- CICERON et DOLET, de drôles de paroissiens !
- La mort de la reine d’Utopie et l’échec de l’Evangélisme
- DOLET et le Cardinal de TOURNON
 
- Quelle effigie pour Dolet ?
- Une collections de portraits imaginaires
 
- Qui était Jacques Gruet mis à mort par Calvin
- Etienne Dolet et la laïcisation de la littérature
 
- Un procès odieux ouvert contre Dolet
 
- Le paludisme et le délit de "sale gueule"
 
- 4 pages de Jean Jaurès sur Etienne Dolet
 
- Dolet et Calvin… à Lyon
- Servet - Dolet - Calvin
 

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