Plaque apposée à l'initiative de l'Association
Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet
M Béghain, adjoint délégué à la Culture - Ville de Lyon
D’ailleurs je rêve, et c’est une mission que je pourrais suggérer à mon ami Michel Chomarat de mettre en œuvre, que peut-être dans ce quartier on manifeste plus fortement la mémoire de l’imprimerie lyonnaise. Monsieur Marshall, directeur du Musée de l’Imprimerie, que je salue, pourrait s’associer à Michel Chomarat pour que nous préparions un projet qui soit plus visible sur l’histoire de cette rue Mercière et de l’imprimerie et de l’humaniste lyonnais du début du 16è siècle.
Parfois il y a des noms qu’il faudrait ôter, je n’en citerai aucun, mais vous voyez ce à quoi je peux penser ; ici au contraire c’est bien qu’une seconde fois, à l’initiative de l’Association des Amis d’Etienne Dolet, de Monsieur Marcel Picquier qui est infatigable lorsqu’il s’agit de promouvoir et d’illustrer la cause, ce n’est pas une cause en béatification, celle-là, la cause d’Etienne Dolet, c’est bien qu’une seconde fois nous nous retrouvions pour une manifestation de cette nature et je  dois dire que c’est un projet dont vous m’aviez parlé la première fois que nous nous étions rencontrés et nous avons commencé, donc, par la rue Etienne Dolet dans le troisième et ici dans le deuxième arrondissement dans cette rue Mercière qui a joué un rôle si important dans la vie de Lyon et en particulier au 16ème siècle dans la vie des imprimeurs lyonnais.
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n° 8 - 20 juin 2005
 


UNE PLAQUE POUR ETIENNE DOLET
26 rue Mercière à Lyon
 

Allocution de Monsieur BEGHAIN,
adjoint délégué  à la Culture – Ville de Lyon
 

Chers amis.
 
Une seconde étape
 
C’est la seconde fois que nous nous trouvons ensemble, beaucoup d’entre-vous étaient déjà présents dans le troisième arrondissement à évoquer et à célébrer la mémoire d’Etienne Dolet. La première fois, c’était pour que la plaque qui porte son nom dans le troisième arrondissement ne soit plus simplement marquée de l’inscription « Rue Dolet », mais qu’elle soit marquée d’une inscription qui explicite de qui il s’agit. Je crois que la mémoire des rues de notre cité doit être une mémoire active et pédagogique. Il ne suffit pas, comme dit une formule célèbre, de louer des grands hommes mais encore d’expliquer à nos concitoyens, aux jeunes en particulier, qui sont ces hommes auxquels une rue a pu emprunter leur nom.
M. Patrick Huguet à la tribune
Je crois qu'il y a une grande importance à marquer par notre présence et par l'engagement de notre municipalité aujourd'hui cet effort de mémoire parce que ce que défendait Etienne DOLET c'était effectivement la liberté de pensée et c'était surtout la lutte contre tous les obscurantismes qu'il soient politiques ou religieux nous savons aujourd'hui,quel travail reste à faire ; il faut être vigilant puisque nous voyons renaître dans notre pays une contestation de la laïcité et la résurgence de certains intégrismes religieux qui sont comparables d'ailleurs (puisque j'ai lu entièrement votre livre, Monsieur le Président ( ... ) c'est dans le débat du conseil municipal), à l'époque de l'inquisition, avec ce qu' étaient les punitions qui pouvaient être infligées aux gens ayant des propos ou des comportements contraires aux dogmes de l'église ...
----------------------------------------------------------------------------------------La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°5 - mai 2004
 


LES NOUVELLES PLAQUES DE LA RUE ETIENNE DOLET DE LYON,
le 24 avril 2004
 


















Discours de M. Patrice Béghain, adjoint à la Culture
 
  
 
Monsieur le Maire et Cher Collègue,
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
 
M.Béghain a d'abord voulu rendre "hommage à M. Picquier et à lAssociation qui ont attiré son «attention sur l'insuffisance de la présence de la mémoire d'Etienne DOLET à LYON" .
 
Il poursuit:
 

"un devoir de mémoire"
M. Patrice Béghain à la tribune
( ... ) Nous sommes tous réunis, semble t il, pour remplir un double devoir, d'abord un devoir de mémoire avec plusieurs déclinaisons, devoir de mémoire à l'égard de cette grande figure de l'humanisme lyonnais et de l'humanisme français, européen, tout court, d'ailleurs, et je ne reviendrai pas sur tout ce que vous avez dit et je ne peux qu'effectivement que recommander à out à chacun la lecture de l'excellent ouvrage que l'association laïque des amis d'Etienne DOLET a publié, Monsieur PICQUIER, dans laquelle on apprend beaucoup de choses.
 
Donc Etienne DOLET, c'est un homme complet, effectivement c'est un homme engagé, on sent à travers ses prises de position, à travers ce qu'il écrit, à travers tout ce que l'on sait de sa vie, le panache qu'il y a eu à cette époque, où on pouvait être quelque part un intellectuel, un imprimeur mais aussi un homme engagé, un homme d'aventure dans un espace qui était déjà l'espace européen, l'espace de l'humanisme au 16e siècle ( ... )
devoir de vigilance: la laïcité "
 
( M. Béghain souligne que "bien sûr, une partie des combats de cette époque se sont atténués")
 
Néanmoins, il faut toujours être vigilant, il faut être vigilant dans notre société, cela a été dit tout à l'heure, la laïcité c'est une valeur positive, dynamique, c'est toujours une valeur de combat, c'est une valeur de combat qu'il nous faut réaffirmer dans un contexte nouveau en ayant le respect des personnes, le respect effectivement du fait religieux, mais en refusant cette confusion que nous avons mis des siècles à bannir entre l'organisation de la cité et le fait religieux.
 
"la sphère du religieux
et la sphère du politique"
 
C'est je crois sans doute un enjeu essentiel des débats de notre société dans les années, dans les décennies à venir, c'est aussi un débat important dans l'organisation générale du monde aujourd'hui, puisque c'est bien par certains côtés la remise en cause de ce fondement de la civilisation occidentale qu'elle a elle même conquis progressivement qui est l'existence de la laïcité et la distinction entre la sphère du religieux et la sphère du politique qui est remis en cause, en tout cas, qui n'est pas admis par un 'certain nombre de pays. Je crois que c'est inlassablement qu'il nous faut réaffirmer sereinement, fermement et dans le respect de l'autre, cela va de soi, ces valeurs essentielles de la vie.
 
Dolet Il maître à penser
d'hier et de demain "
 
Et puis au delà de cette question, il y a toutes les formes d'intolérance, vous avez évoqué le fait que Etienne Dolet a été brûlé, l'inquisition l'a jugé et puis, comme elle le faisait à l'époque, elle l'a remis au bras séculier, au pouvoir civil pour qu'il soit brûlé. ( ... ) Alors, aujourd'hui encore, ici ou là, on brûle, on tue, on lapide, on empêche, pour des raisons religieuses, pour des raisons politiques, pour des raisons tenant à l'orientation sexuelle, des hommes et des femmes de vivre et, les journaux nous le rappellent tous les jours, je crois que les valeurs au nom desquelles s'est battu Etienne DOLET au nom desquelles l'ensemble des humanistes du 16e siècle et après eux les philosophes du 18e siècle, et un certain nombre de grandes figures de la pensée et de littérature française européenne du 19' siècle, pour ne pas revenir plus près de nous, ces valeurs, nous devons inlassablement les porter, je crois, je n'hésite pas à dire, l'horreur d'une partie du monde et des pays au milieu desquels nous vivons, nous commande d'être inlassablement vigilant et je crois à cet égard qu'il était donc parfaitement légitime que non seulement aujourd'hui comme nous allons le faire dans un instant nous inaugurions ces nouvelles plaques et je crois qu'il faudrait sans doute dans d'autres cas, dans d'autres circonstances faire de même, et que nous célébrions activement, de façon dynamique, Etienne DOLET comme un maître à penser d'hier mais surtout comme un maître à penser et à agir pour demain, voilà Mesdames, Messieurs, le témoignage au nom de la ville de LYON au nom du sénateur maire, Gérard COLOMB, mon nom propre et je crois au nom de tous mes collègues du conseil municipal, je voulais rendre ce matin. (Applaudissements)
 
( les intertitres sont de la rédaction)
Le style de Drusac est bassement ordurier.
 
"En raison des ses péchés la femme est puante au lit ".
 
Pis , elle est le "retrait" (cabinet d'aisance de l'homme) . Les vers suivants témoignent assez à la fois de cette grossièreté et de la lourdeur insupportable du style:
 
"Conclut l'auteur que proprement
les femmes sont retraits de l'homme"
 
Pour faire fin à notre second livre
Et pour conclure, pour vérité, vous livre,
Si de raison, ne suis en ce distrait,
La preuve en est que si profond entre
C'est que les hommes leur pissent dans le ventre ".
 
Après avoir énuméré, comme une litanie les noms de toutes les femmes maudîtes, Drusac peut bien conclure:
 
"Le Créateur a plus estimé, en somme
Le plus méchant et le Plus infect homme
Que la plus sainte et plus dévote femme"
 

On comprend la rage des Toulousaines
 
Elles trouvèrent un défenseur en Dolet, jeune étudiant de 24 ans, qui cribla Drusac d'épigrammes méprisantes et fort crues ( Carmina Livre III).
 
Dolet fait de Drusac un portrait littéraire très classique, celui du vieillard impuissant et répugnant que les femmes fuient. On retrouvera ce personnage avec le Pyralius du Compte Premier, "
 



Deux extraits ( Traduction M.H. Montagut)
 
"Contre Drusac , misérable poète toulousain
qui écrivit contre les femmes"
 
Comptes Amoureux avec le jeune chevalier
 
"Tel un pourceau d'Epicure furieux, cet lyonnais Andro homme qui n'est que ventre, a les entrailles et l'estomac si gonflés que même le commerce des putes lui est devenu impraticable. C'est alors qu'il déverse sur la gent féminine les propos les plus impudents... "
 

"Contre Drusac, prosopopée de la nature"
(Dolet fait parler le sexe de la femme)
 
"Je sais trop bien pourquoi, comme fou, tu attaques le genre féminin avec des mots si féroces et couvres les femmes de tant d'insultes.
 
Un jour, que tu brûlais, de désir pour une femme jeune fille ou prostituée, puisque tu as l'habitude de chercher ton plaisir dans les bordels immondes, ton odeur de bouc l'a fait fuir vomissante le coeur soulevé...
 
Ou bien épouvantée par l'haleine fétide de ta bouche putride, elle t'a fait face, arrogante, et t'a parlé de ta gueule agressive, de ton ventre distendu, de la morve qui te pend du nez, de ta face enflammée d'ivrogne et de tes paupières chassieuses , de ton être tout entier proche de la tombe.
 
Misérable poète, c'est de là que proviennent ces déclamations, ces insultes irrépressibles dont tu obscurcis et salis l'honneur de la femme . "
 
Le seigneur Drusac n'allait pas pardonner ces vers qui circulent dans toute la ville à un petit étudiant comme Dolet: il le fit jeter en prison à la première occasion et eut raison de lui en le contraignant à s'exiler de Toulouse, pour toujours, en juillet 1534. Une nouvelle vie commence.
 
Il ne fait pas de doute que sa bataille féministe a été décisive dans l'existence matérielle et amoureuse de Dolet.
 


Dolet aurait il trouvé le nom de ROSEMONDE chez DRUSAC ?
 










Rosemonde est une de ces   "belles dames " nées pour faire le malheur des hommes .
Bien sûr, cette histoire de trahison revient dans beaucoup de contes. Mais pas le prénom de Rosemonde.
 
Dolet a pu le prendre dans l'histoire de la reine Rosemonde racontée longuement par Drusac et annoncée ici. :
 
"De Rosemonde, femme du Roy
Albonin qui adultéra vec Emelchis,
écuyer dudit Roi, de laquelle
parlerons plus amplement au titre de Cruauté. "
 























Ironie de l'histoire ...
 
Ce bois gravé provient également du livre de Drusac, il n'est pas accompagné d'une légende explicative. On ne peut s'empêcher de lui trouver une ironie involontaire qui n'a pas dû échapper à Dolet et a pu l'inspirer.
 
Le château, bien qu'il soit sur un sommet et non dans les marécages, fait penser au "Château Jaloux" où Pyralius a enfermé Rosemonde . Le parchemin que brandit le vieillard furieux est il son titre de propriété sur elle en forme de contrat de mariage? Le lapin qui s'enfuit entre ses jambes est il le  conin "  c'est le nom du sexe féminin dans la littérature des blasons   qui rejoint amoureusement le jeune homme ? Etc...
Persée délivrant Andromède 1563 par Virgil Solis -
Cette gravure est une copie de celle de Bernard Salomon , Lyon, 1557.
Le mythe d'Andromède revient sans cesse
dans les "Comptes amoureux".
La jeune femme supplie la déesse Saincte Vénus et son fils Sainct Amour de la délivrer. L'Amour frappe de ses flèches le coeur de Rosemonde et celui d'un jeune et beau chevalier — Andro . Le chevalier, fort de sa dévotion à Madame Vénus et avec l'aide d'Apollon et Hercule, renverse alors tous les obstacles et possède bientôt Rosemonde tandis 'que le vieux jaloux va se pendre de désespoir.
 
Compte sixième : Un généreux chevalier, Hélias le Blond, chemine « vers le doulx pays de France » en compagnie de son amie retrouvée Fleurdelise . Une épreuve chevaleresque se présente : il lui faut délivrer Daurine, une jeune femme, arrachée à son ami Théodore qui l'aime et qu'elle aime d'un « vray amour". Elle est emprisonnée dans un palais gardé par des enchantements et des monstres par son vieux mari Hosbègue , «infâme et vilain jaloux » , à qui elle a été mariée sans son consentement et dont elle s'est vengée en le trompant avec Théodore. Hélias le Blond emporte la victoire et, chevalier courtois, ramène Daurine à son ami.
 
Le conte d'Andro et Rosemonde a servi à Etienne Dolet
pour règler ses comptes avec Toulouse et son ennemi personnel Drusac
 
S'il donne le nom d'Andro à son chevalier et situe l'histoire à Toulouse, ce n'est pas un hasard:
«Or dans Tholose pour lors se tenoit ung jeune gentilhomme, messire Jean Andro , Lyonnois, beau et jeune gentilhomme »
 
Claude Longeon rappelle que lorsque Dolet était « orateur » des étudiants de la « Nation française » à Toulouse, en 1533, il avait eu à écrire, comme sa fonction l'exigeait, l'épitaphe d'un de ses camarades décédé qui portait le nom d'Andro. Dolet écrivit deux épitaphes en vers latins, toutes deux publiées dans les «Carmina » vantant la beauté du jeune homme. Dans le conte, il lui rend un nouvel hommage.
 
Mais il a des comptes à régler avec la Ville et ses édiles qui l'ont emprisonné, humilié et obligé à fuir après ses deux discours toulousains dans lesquels il avait défendu les droits de la civilisation et attaqué la barbarie, le fanatisme religieux et l'intolérance des institutions toulousaines. Son ennemi principal est le Lieutenant en la Sénéchaussée, Gratien du Pont, Sieur Drusac, qu'il accusera d'avoir organisé les poursuites contre lui pour tirer vengeance des six épigrammes saignantes qu'il lui avait décochées , dans sa défense des femmes grossièrement offensées par Drusac, misogyne auteur des « Controverses des sexes masculin et féminin ». II ne faut pas s'étonner, se moque Dolet, de la grossièreté du personnage, la nature s'est trompée en le façonnant et lui a mis l'anus à la place de la bouche (2). L'ami toulousain de Dolet, Boyssonné, lui écrira, après son départ que les femmes de Toulouse regrettent leur défenseur. « Il n'est pas petit , le nombre des dames parmi les plus honnêtes et les plus nobles qui ont vu ton exil avec grand déplaisir , tu as toute leur faveur en raison de tes épigrammes contre Drusac ».
 
Drusac sera donc Pyralius, le mari trompé de Rosemonde, l'allumé, le rougeaud, le vieillard sales impuissant et haï. Si le personnage du barbon répugnant n'est pas en lui-même une invention de Dolet, c'est un « classique » de la littérature amoureuse et Dolet l'a trouvé dans le texte italien dont est tiré le conte, il va en grossir les traits, l'enlaidir plus encore. L'intérêt des contes ne s'arrête pas là.
 

Une leçon de subversion sociale ?
 
Protestation contre les mariages forcés
 
Les contes attribués à Dolet protestent avec la plus grande indignation contre le mariage forcé, le «mariage impareil », imposé aux jeunes filles avec des hommes beaucoup plus âgés qu'elles.
Cette protestation est un fil directeur de tout le recueil et c'est aussi sa conclusion :
 
« Jeanne Flore au lecteur
(...)
Je blasme ici  l'impareil mariaige :
Aussy de vray est-il bien à blasmer,
Quand il en vient ung fruict tant fort amer
Que le solos, par la disconvenace ( solas : plaisir)
Des mariez se tourne en desplaisance. »
 
Que sont les « contes amoureux »?
 
Un groupe de belles dames lyonnaises sont réunies chez l'une d'entre elles, à la campagne, à l'occasion des vendanges et, comme dans le Décaméron de Boccace, occupent leur temps à se narrer des contes.
G.A Pérouse résume en trois lignes la différence entre l'édition incomplète de Juste et celle de Denys de Harsy : « La cohérence de la Pugnition saute aux yeux : les quatre contes disent que l'Amour se venge cruellement de ceux et celles qui se sont refusés à aimer. Les Comptes amoureux ajoutaient une note féminine ( féministe ?) très insistante : revendication de la liberté et du plaisir pour le sexe opprimé ».
 

Le rôle de Dolet
 
Les deux contes qui lui sont attribués
 
Compte premier : Une très belle et très jeune femme  - Rosemonde - a été mariée de force, à quinze ans — c'est « l'impareil mariage » - à un vieux barbon répugnant et "impotenté- Pyralius - qui la retient prisonnière dans un puissant château gardé par des géants et des monstres.
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°3 - mai 2003
 

Du nouveau sur Etienne Dolet :
sa participation à la publication
des « Comptes Amoureux » (1) par Jeanne Flore
 


En 1980, Gabriel André Pérouse, professeur à Lyon II, et son équipe ont publié une remarquable édition savante d'une oeuvre littéraire lyonnaise du XVIème siècle , injustement oubliée :
 
« Comptes amoureux
par Madame Jeanne Flore,
touchant la punition que faict Vénus
de ceulx qui contemnent et mesprisent
le vray amour ».
 
Les circonstances de la publication, entre 1539 et 1541, chez l'imprimeur lyonnais Denys de Harsy, demeurent encore énigmatiques .
Le recueil, manifestement incomplet, contient sept contes. Leur « noyau » , pour reprendre le terme de G.A. Pérouse, est constitué de quatre contes ( contes 2, 3, 4 et 5) dont François Juste, en 1540, a donné une édition sous le titre : « La pugnition de l'amour contemné ( méprisé)». L'édition de Denys de Harsy les publie également- avec quelques modifications et comprend trois contes supplémentaires ( les contes 1, 6 et 7).
Le professeur Claude Longeon, spécialiste incontesté d'Etienne Dolet, a formulé, dans une publication en 1982, l'hypothèse, qui fait loi aujourd'hui, que Dolet a participé à l'écriture d'au moins deux d'entre eux ( les contes 1 et 6).
Il entreprend de rendre compte " de ces sensations électives dont j'ai parlé et dont la part d'incommunicabilité même est une source de plaisirs inégalables".
 
Il ne s'inquiétera pas si " une erreur ou une omission minime voire quelque confusion ou un oubli sincère jettent une ombre" sur ses récits.
 
Ét c'est là qu'intervient la statue d'Étienne Dolet :
" J'aimerais enfin qu'on ne-ramenât point de tels accidents de la pensée à leur injuste proportion de faits divers et que si je dis, par exemple, qu 'à Paris la statue d'Etienne Dolet, place Maubert, m'a toujours tout ensemble attiré et causé un insupportable malaise, on n'en déduisit pas immédiatement que je suis, en tout et pour tout, justiciable de la psychanalyse , méthode que j 'estime et dont je pense qu'elle ne vise qu'à rien moins qu 'à expulser l'homme de lui-même, et dont j 'attends d'autres exploits que des exploits d'huissier..."
 
Qui nous aidera à résoudre l'énigme ?
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°2 - jan 2003
 


André Breton et la statue d'Etienne Dolet
 

Le numéro de décembre 2002 "URDLA....ça presse..." consacre un article à la publication de notre biographie de Dolet . L'article contient deux des strophes les plus douloureuses du "Second Enfer", rappelle ce qu'a été la condamnation et le supplice de leur auteur et ajoute :
 
"Lyon, soudain si fier de son patrimoine renaissant, ne rend pas toujours respect aux humanistes qui l'ont bâti. Comme Sébastien Gryphe ou Jean de Tournes , Marcel Picquier s'est fait historien et éditeur pour raconter le destin tragique d'Etienne Dolet, imprimeur et éditeur de Marot, de Rabelais, grand latiniste, défenseur de la langue française, militant du droit d'association, et plaider à Lyon, reconnaissance (..) L'URDLA et ses amis s'associent chaleureusement () au combat de Marcel Picquier".
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n° 8 - 20 juin 2005
 


LYON, 1539: LA PREMIERE GREVE DES TEMPS MODERNES
 

TRIC, avril 1532, à Lyon.
 
Par ce mot, qui terrorise les maîtres imprimeurs lyonnais, les compagnons du Livre baissent les bras. Ils décident de se mettre en grève. Cinq siècles plus tard, on remarquera que la sentence qui marque en juillet la fin (provisoire) de ce conflit souligne la nodernité de cette lutte et du contenu de ses revendications.
 
On imprimait à Lyon depuis plusieurs décennies déjà. Barthélemy BUYER, mort en 1483, fils de marchand qui avait fréquenté l'Université de Paris au moment de 'installation de la première presse à la Sorbonne, employait tans ses ateliers lyonnais des moines franciscains, dominicains et augustins pour traduire ou compiler ses ouvrages. Sa clientèle de prédicateurs, petits nobles, notaires, avocats, riches marchands et négociants, assidus à la lecture et à la diffusion de la pensée profitait des foires lyonnaises pour assurer la diffusion des ouvrages vers l'Espagne, l'Italie, les pays germaniques et les grandes villes françaises'.
 
Les éditions en Français, les illustrés et collections populaires représentent la moitié de la production. Parallèlement, se développent les productions latines dans des ouvrages juridiques, scientifiques ou médicaux. Les presses lyonnaises assurent alors la publication du tiers des éditions françaises du XVe siècle et, à la fin du siècle, Lyon sera devenue la troisième ville européenne de l'édition.
 

UN PROLETARIAT INSRUIT
 
Les compagnons imprimeurs sont au coeur de cette activité intellectuelle. Ils possèdent le savoir faire de la composition, de la mise en valeur des textes et illustrations. Ce savoir faire est né bien avant la naissance de l'imprimerie que nous connaissons après Gutenberg, celle des caractères mobiles. Depuis longtemps cette profession maîtrise cet art acquis dans les ateliers des copistes durant les siècles précédéhts. Le livre manuscrit sert de modèle au livre typographique. La typographie cherche une lettre au service de la lisibilité. Ce sont ces ouvriers qui s'ingénieront, à partir de ces connaissances, à produire les polices de caractères nouveaux, pour améliorer les qualités d'impressions et les mise en pages lumineuses pour assurer une bonne compréhension de la pensée exprimée dans l'écrit.
 
Mais ces ouvriers sont aussi au coeur des débats d'idées qui traversent les conversations des hommes de lettres et de sciences, des religieux aussi, qui travaillent au marbre, à la traduction, à la relecture des épreuves, à la publication des ouvrages. C'est ainsi que dans l'atelier de Sébastien GRYPHE se retrouvent des nobles, des marchands, des intellectuels latinistes, hellénistes, RABELAIS le chirurgien de l'Hôpital du Pont du Rhône (Hôtel Dieu), auteur de Gargantua et Pantagruel, l'étudiant Etienne DOLET chassé de Toulouse par l'Eglise et embauché là, comme correcteur... Ces ouvriers maîtrisent non seulement leur art de la typographie mais aussi ont une connaissance parfaite de la langue, acquise sur les bancs de l'université, dont ils doivent avoir certificat du recteur, pour devenir apprenti imprimeur. Les lettres, les sciences, la philosophie font aussi partie de leurs bagages. Ce savoir est tellement reconnu que François 1er leur reconnaîtra, plus tard, le droit de porter l'épée. DOLET est l'exemple même de ce type d'ouvrier puisque, embauché comme correcteur, il mène conjointement un travail de philologue érudit, en rédigeant ses " Commentaires sur la langue latine ".
 
AU CŒUR DE LA CRISE DE SOCIETE
 
Cette société est entrée en crise. Déjà la grande " Rebeyne " de 1529 avait marqué les esprits. L'année précédente avait été mauvaise, les prix flambaient. Le scandale de la spéculation courait les rues. Et le 18 avril apparurent les placards signés " le Pôvre " dénonçant la spéculation et appelant le peuple à se rassembler le 25, aux Cordeliers. Les confréries étaient au coeur du mouvement de protestation. Face aux timides mesures prises par les autorités, l'insurrection éclata. La foule se porta vers les maisons des riches bourgeois et marchands et imposa la distribution des belles réserves de grains de l'abbaye de l'lle Barbe. La répression fut très dure, les pendaisons se succédèrent jusqu'en août.
 
Les nommées de 1545 nous révèlent les contrastes saisissants entre les quartiers de Lyon. Du côté de Fourvière, le quartier du Change affiche une cote moyenne d'imposition de 228 livres, alors qu'à l'autre extrémité de l'échelle fiscale, à Saint-Just, Saint-Georges, Bourgneuf et Pierre-Scize les contributions voisinent 25 et 18 livres.
 





























Josse Bade, 1462-1535, presse à bras
 

 
Alors même que les moyens de production restent dispersés, le commerce et l'usure permettent de concentrer d'énormes capitaux. C'est l'accumulation primitive. Cette crise économique est due à la hausse des prix engendrée par l'afflux des métaux précieux. Du début à la fin du siècle, les prix des objets manufacturés, les prix des terres sont multipliés par trois, puis par quatre. Les riches marchands s'intéressent à l'imprimerie. Le livre est soumis aux lois du marché En conséquence de la hausse des prix, les libraires capitalistes ont tendance à exiger plus des imprimeurs pour le même prix, les contraignant à accélérer les cadences de travail'. Un résultent des grèves des compagnons imprimeurs qui s'ouvrent à Lyon en 1539 et s'étendent à Paris en 1542 ; le mouvement est dur et met en jeu des milliers d'ouvriers ; il s'étale sur plusieurs années. Une deuxième salve éclatera en 1571 et 1572 et il est alors généralisé à toute l'Europe. En France, c'est à la suite de ces grèves que s'installe la réglementation des métiers de l'imprimerie.
 
Réglementation imposée aussi par la guerre ouverte entre la bourgeoisie naissante, dont les intérêts et le développement s'opposent de plus en plus durement à la vieille société féodale qui éclate. Imposée aussi face à l'éveil des consciences par l'élévation de la culture contre les privilèges dont bénéficient les princes temporels et les dignitaires de l'Eglise. Les premiers germes de l'immense bouleversement social, dont la Réforme sera bientôt le couronnement, commencent d'attaquer le grand corps de l'Europe. On ne peut séparer la lutte de l'imprimerie de cet environnement bouillonnant, si l'on veut comprendre. Pour le souligner, n'oublions pas l'affaire du " Placard de la messe " de 1534, auquel les imprimeurs lyonnais ne seront pas étrangers. L'imprimerie en pleine mutation technologique (déjà) est au coeur de ces contradictions de la société.
 

SENTENCE CONTRE LES MAITRES
ET COMPAGNONS IMPRIMEURS
 
Ce que de nos jours nous pourrions appeler un constat de fin de conflit. Matignon ou Grenelle, apparaît le 31 juillet 1539 sous forme de la sentence du Sénéchal de Lyon. Les représentants des belligérants sont nommément cités : " D'une part, mais-tre Pierre Du mont, Robroam, dominicque germer, Barthélemy lamy, pierre Chamarier, sinon de vunzy et leurs consort, compaignons imprimeurs et besoignans en art de l'imprimerie audict lion. D'aultre, aussi jehan de molins dict decambray, bastien griffits, denys de harcy, george regnaud, jehan barbe, thibaud prian, marc bon homme, jehan crespin, jacques nuit, hector pennet, et les autres leurs consort:, maistres imprimeurs et tenons boticques et maisons d'imprimerie audict lion... ". C'est à dire que dès cette époque est reconnu le partenaire dans le conflit du travail pour pouvoir arrêter un conflit qui pèse sur la vie économique. Malgré tous les textes que pourront édicter les rois qui se succéderont, il faudra toujours en passer par là pour mettre fin, provisoirement aux conflits du travail. Dans l'opposition frontale entre le capital et le travail c'est un long combat qui commence à s'organiser sur le lieu même de la production.
 
LA MODERNITE DES REVENDICATIONS
 
Au delà du rappel de l'interdiction de réunion, et de rébellion - " avons inhibé et défenclu, inhibons et deffendons ausdictz compaignons et apprentisz d'icelle imprimerie de ne faire aucun serremens ne monopolles" - faite aux ouvriers, et la satisfaction donnée aux maîtres imprimeurs de prendre autant d'apprentis qu'ils souhaitent, afin d'organiser la concurrence avec les compagnons et exploiter la main d'oeuvre bon marché de la jeunesse - ce que nous connaissons encore aujourd'hui - la sentence " ordonne aux maistres le versement des gages et salaires, la fourniture des dépenses de bouche, selon leur qualité, pain, vin, pitance, comme auparavant ". L'un des élément important à l'origine du conflit. Non seulement les maîtres voulaient davantage exploiter les salariés, moins les payer, mais en outre restreindre la nourriture qui leur était due. En outre les notables gouverneurs " entendront lesdictz différans pour les rapporter à justice affin d'y pourvoir et ordonner comme raison". Pour maintenir le dialogue.
 
Ce fut un premier combat, important, dont le succès - tout relatif, mais essentiel pour le quotidien, maintient du salaire et des droits acquis de la nourriture — qui n'empêchera pas les maîtres de revenir à la charge, sans cesse, eux-mêmes pressés par les donneurs d'ordres. Mais il donnait l'expérience pour les actions futures. C'était une corporation importante. A Lyon, rue Mercière, on ne comptait pas moins de 75 à 100 ateliers, employant 500 à 600 personnes.
 
UN MOUVEMENT QUI FAIT ECOLE
 
Malgré la tentative d'intimidation de l'édit du 11 sept. 1544, communiqué aux délégués des compagnons', parmi lesquels Vincent Pillet complice de Etienne Dolet6, la volonté d'action des ouvriers imprimeur demeurera vivace. Au cours des décennies suivantes on comptera encore de nombreux conflits dans le Livre à Lyon, nous sommes d'ailleurs de nos jours, encore périodiquement, privés de nos quotidiens. Mais il faut noter que le 18 septembre 1655" pour souligner que le conflit n'est pas achevé - les compagnons obtiennent des avancées sociales. Ils agissent toujours, malgré les interdictions. Ils sont constitués très officiellement en communauté et représentés par leurs avocats, et obtiennent la réglementation de l'apprentissage ; des normes de production réduites, conformément à la réglementation parisienne ; des augmentations de salaires et le paiement à la semaine ; un préavis de 8 jours pour licenciement ; la limitation de la journée de travail ; l'obligation pour les maîtres imprimeurs de rendre compte aux compagnons sur les deniers perçus pour leur confrérie... qui est, en principe, interdite.
 
DOLET NOUS ECLAIRE ENCORE
 
Remettre en mémoire le combat de DOLET, aujourd'hui, c'est à l'évidence remettre sur le devant de la scène le combat de générations pour la libération de l'homme. Pour les idées généreuses que défendait Etienne Dolet, mais aussi pour le combat de toute une société qui aspirait — aspire encore - à sortir de l'ignorance, de la misère, de l'exploitation. C'est plus actuel que jamais.
 
Laurent CONON,
imprimeur lyonnais
 






 



































Le message et l’histoire de Dolet plus que jamais d’actualité
 
Alors je ne vais pas évoquer l’histoire d’Etienne Dolet, tout le monde la connaît, tout le monde sait ce que nous allons célébrer ici, je voudrais simplement, peut-être plus fortement que je ne l’avais fait dans le troisième arrondissement rue Etienne Dolet, dire à quel point le message d’une part et l’histoire d’Etienne Dolet sont plus que jamais d’actualité.
On s’est habitué pendant longtemps à considérer qu’au fond ces évènements, ces hommes ou ces femmes que l’on arrêtait, que l’on condamnait et que l’on brûlait, c’était une histoire ancienne et nous avons cru peut-être un peu naïvement mais c’était une belle aventure de l’humanité et en particulier de notre pays et de l’Europe, nous avons cru naïvement peut-être que l’apport du 18è siècle, la philosophie des Lumières, les droits de l’homme allaient nous permettre de bâtir une société, de vivre dans une cité dont tout ce qui avait marqué au fil de l’ancien régime dans notre pays serait à jamais banni, eh bien il faut que nous nous détrompions.
 
Les menaces de la barbarie
 
Non seulement un certain nombre de catastrophes majeures provoquées par les hommes au 20è siècle ont montré que l’humanisme pouvait voler en éclat lorsque les régimes totalitaires entreprenaient des politiques systématiques d’extermination mais plus près de nous encore, eh bien, nous constatons chaque jour une montée de l’intolérance, une montée du fanatisme, une montée de l’intégrisme, bref d’une certaine façon, notre société, notre monde qui par ailleurs représente des potentiels merveilleux de développement, ne dressons pas non plus un portrait apocalyptique du monde dans lequel nous vivons, que notre monde est menacé dans le domaine de la liberté de pensée, de la liberté d’agir, de la liberté de vivre comme on l’entend, eh bien, est menacé de régression. Je crois que toute une série de droits qui nous paraissent acquis dans l’exercice de notre vie personnelle, dans un certain nombre de modes collectifs aussi de pensée, d’être et d’agir ne sont pas à l’abri de cette régression. Alors il ne s’agit pas  aujourd’hui seulement de commémorer une illustre figure de notre cité et de l’histoire de notre pays, un grand imprimeur, un tâcheron de l’imprimerie, c’est important, c’était un métier où on était à la machine, si je peux dire, un grand humaniste, l’éditeur de grands écrivains du 16è siècle, un homme qui a été de ceux qui ont aussi permis le passage de l’impression et de l’expression en latin à l’impression et à l’expression en français, c’est quelque chose d’important parce que c’est non seulement promouvoir notre langue mais c’est rendre ce qui était écrit accessible au plus grand nombre et sortir de la confiscation par une élite qui savait le latin, de la pensée et de la littérature.
 



















Un acte politique
 
Nous ne célébrons pas seulement cette grande figure, c’est çà que nous faisons, mais je crois qu’en le faisant c’est aussi un acte politique que nous accomplissons tous ensemble dans le sens noble de ce mot, un acte de mémoire certes mais aussi un appel, chers amis, à la vigilance, à la mobilisation, à la transmission, notamment, aux jeunes de notre cité et de notre pays d’un certain nombre de valeurs pour qu’ils ne se laissent pas entraîner,  séduire par les sirènes de la régression humaine et sociale. Voilà simplement le témoignage que je voulais vous apporter en remerciant à nouveau Monsieur Picquier, l’Association des Amis d’Etienne Dolet, toutes celles et ceux qui sont là un samedi matin à 11h, bon c’est plutôt l’heure du marché, pour manifester ce devoir de mémoire et cette exigence de vigilance.
 
Merci
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n° 6 - jan 2005
 

1851
« A Etienne Dolet, martyr, la typographie reconnaissante ! »
 



Nous devons les documents « 1851 » ci-dessous et « 1853 », page 6 ,  à notre Ami Laurent GONON de Givors qui,  après avoir été imprimeur lui-même à Lyon pendant trente ans, se passionne toujours pour sa corporation.
Les documents découverts par Laurent Gonon  témoignent de la dévotion que les typographes du siècle passé portaient à Dolet dont ils savaient qu’il avait encouru la haine des Patrons-imprimeurs pour avoir soutenu la grève lyonnaise des compagnons dans les années 1540.
Tirés du compte-rendu du  « banquet commémoratif du tarif  du 21 septembre 1851 »  , nous publions  un sonnet  au style naïf mais au ton sincère dû au citoyen  Victor Barbier et la conclusion du discours du socialiste Pierre Leroux  :
 

«  Aux martyrs de la typographie »
 
Au sein de nos banquets, au milieu de ces fêtes,              Notre art eut des martyrs pour ses premiers apôtres :
Où nos cœurs réunis ne font plus qu’un seul cœur,           Gutenberg ruiné, les Estienne proscrits,
Souvenons-nous de ceux qu’ont frappés les tempêtes,    Dolet sur un bûcher expiant ses écrits.
Et gardons parmi nous une place au malheur.
 
Songeons que du  progrès les plus nobles conquêtes      Et de nos jours, Moreau, puis Boyer , et tant d’autres
Ne peuvent s’obtenir qu’à force de labeur                         Ne sont-ils pas aussi des martyrs du progrès ?
Et que tous ces beaux noms qui brillent sur nos têtes      Ils ont souffert pour nous, ne l’oublions jamais.
Cachent des souvenirs de lutte et de bonheur.
 

Conclusion du discours prononcé par Pierre Leroux
 
«  Quand dans ma jeunesse, j’embrassai notre noble profession, je pensai souvent à Dolet ; à cet homme constant dans ses opinions, à ce vrai disciple de Gutenberg, comme disait tout à l’heure un de vos orateurs qui ne voulut donner ce nom qu’à ceux qui tournent cet art sublime à son but, l’émancipation intellectuelle, morale et physique du genre humain.
Permettez-moi donc un vœu qu’il est en votre puissance de réaliser quelque  jour.
Que cette place où Dolet fut juridiquement assassiné, pour servir apparemment d’exemple à la vile multitude, soit, par nous, la vile multitude, purifiée de ce meurtre ( applaudissements prolongés). Que cette place perde son nom et s’appelle du nom de la victime auguste que le Moyen Age immola vainement , puisque l’esprit qui anima Dolet survit en nous. Qu’une statue s’élève à l’honneur d’un des plus illustres savants du seizième siècle, et qu’on lise sur le socle de cette statue :
 
A Etienne Dolet, martyr, la typographie reconnaissant !. ».
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°5 - mai 2004
 

LES NOUVELLES PLAQUES DE LA RUE ETIENNE DOLET DE LYON,
le 24 avril 20
 















Le discours de Patrick Huguet, maire du 3ème arrondissement
 

Monsieur l'adjoint, Monsieur le Président, très chers amis,
 
C'est un grand plaisir pour moi de vous accueillir aujourd'hui à l'occasion , non pas de l'inauguration, mais de la découverte des nouvelles plaques de la rue Etienne DOLET. Je crois qu'en ce sens on remplit deux objectifs.
 
Le premier, et vous l'avez signalé, mais il est important pour moi, c'est un devoir tout d'abord pédagogique parce que, Monsieur le Président, quand vous êtes venu me voir, vous m'avez dit: Connaissez vous Etienne DOLET ? ", j'ai eu la franchise de vous expliquer qu'effectivement je ne connaissais pas Etienne DOLET ni son histoire et, vous l'avez rappelé, je ne l'aurais certainement pas placé dans cette partie de l'histoire de notre pays si j'avais dû en faire l'essai ( ... )
 
" hommage à la liberté de pensée "
et lutte contre les obscurantismes,"
 
Le deuxième objectif de cette cérémonie, vous l'avez dit, c'est de rendre hommage à un imprimeur lyonnais, mais au delà c'est de rendre hommage à la liberté de pensée. Alors, vous voyez , ô tempora ô mores ! c'est un maire de droite qui, dans sa mairie d'arrondissement, va rendre hommage à Etienne DOLET et je fais cette petite réflexion avec humour parce que j'ai lu le compte rendu des débats qui avaient eu lieu au conseil municipal de Lyon auquel vous faisiez référence et c'est vrai que les positions étaient tranchées et les excès de ceux qui pouvaient attaquer Etienne DOLET étaient, même à l'époque, difficilement supportables.
 



















Et il y a, quand même, une certaine similitude entre ce qui se vivait à l'époque sur notre terre, lié à l'expression du dogme religieux, et ce que nous retrouvons dans d'autres pays ( ... ) Donc nous avons ce devoir. D'ailleurs, il est cité dans votre livre qu'Etienne DOLET a été aussi condamné parce qu'il a
 
traduit PLATON à un moment et qu'il a traduit « après la mort tu ne seras plus "par ' après la mort tu ne sera plus rien du tout ", et ces trois mots qui représentaient pour l'Église la négation de l'immortalité de l'âme ont entraîné sa condamnation. On retrouve que ces comportements dogmatiques, sont communs à toutes les religions.
 
la laïcité facteur de stabilité sociale
 
La stabilité de notre société, après la loi de séparation des Eglises et de l'État, est le fait que les différents citoyens de notre pays peuvent vivre en harmonie, avec la laïcité. Le combat pour la laïcité, c'est un combat que nous partageons. Je pars du principe que la laïcité n'est pas la négation du fait religieux, que le fait religieux fait partie de la sphère privée (au même titre que la sexualité d'ailleurs). Quand on dit ça, les gens disent " çà limite les modes d'expression!", mais la liberté de conscience, la liberté de penser existent, le fait religieux existe, il fait partie de la vie personnelle des uns et de autres mais il n'a pas à interférer dans la vie collective.
 
la laïcité moyen de défense
des valeurs républicaines
 
A ce titre la laïcité est le seul moyen de défense de nos valeurs républicaines qui doivent s'appliquer à tous tant au niveau des droits que des devoirs. C'est un combat que vous menez, c'est un combat que nous partageons, et c'est un combat pour lequel nous serons toujours à vos côtés.
 
(applaudissements)
----------------------------------------------------------------------------------------La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°4 - avr 2004
 

DOLET CONTRE DRUSAC - TOULOUSE
 
  
 
Gratien du Pont, Sieur de Drusac était lieutenant général de la sénéchaussée et exerçait ses fonctions au Palais de Justice de Toulouse.
 
Il se croyait bel esprit et même poète. Il publia vers 1533 36 les "Controverses des sexes masculin et féminin", un énorme fatras de 610 pages de poésie indigeste.
 
Il tire de la Bible, de l'Histoire, des écrivains antiques, des mythologies, toutes les mauvaises raisons que peuvent avoir les hommes de considérer les femmes   dont ils ne peuvent pourtant pas se passer tant est grand leur désir de les posséder   comme des êtres inférieurs, malfaisants et diaboliques.
 
L'ouvrage connut un joli succès dans une société féodale et chrétienne, qu'effrayait toute innovation dans la vie sociale comme dans la religion et qui maintenait, à toutes forces, la femme dans la état de sujétion.
 
quelques illustrations ...
 
Dieu a créé des "anges" pas des « angelesses » de peur d'installer avec elles le désordre dans son Paradis. Les anges déchus sont donc des "diables   pas des "diablesses " que Dieu a voulu exempter de servir en Enfer pour qu'elles puissent comme femmes, tourmenter les hommes en ce monde
 
L'homme « a la priorité »  sur la femme parce que Dieu la créé le premier, à son image. Ayant tiré Eve de la côte d'Adam, la femme n'est pas à son image,   "de quoi Platon doutait si point les femmes devait mettre au rang des bêtes."
 
Quand viendra le jugement dernier , la femme devra restituer sa "côte " à Adam et ne sera plus rien qu’une petite partie de l'homme.
 
Mais la plus dangereuse de toutes les femmes est  "la belle femme " qui, cruelle et luxurieuse, est l'inspiratrice de crimes :
 
"Beauté de femme cause beaucoup de maux
Beaucoup  vices, de peines & travaux
Cause souvent que, des femmes, l'ami
Le mari tue plutôt qu'autre ennemi
Comme David, lequel sans menterie
pour Bethsabée, il fit tuer Urie "
 

            De prendre belle femme
 


Revendication du droit au plaisir amoureux
de la femme avec l'homme de son choix
et même du droit de tromper
le vieux mari impuissant et jaloux
 
La Damoiselle Daurine est explicite:
Quand elle apprend que son père la donne « à cest infame et vilain jaloux ( Hosbègue) ... pensez en quelle melencolie j 'entray, et si je blasphemoye le Ciel et la nature. Ahi .1 Dieux iniques I Ne poviez vous faire es loix humaines, que les femmes usassent des libertez dont usent les animaulx ? quelle des bestes brutes ne vit plus libere et franche que nulle femme ? Ahi ! je vois que la biche dans la forestz, et la columbe ne sont empeschées à aymer celluy qui leur plaist en leur espèce : et moy infortunée damoiselle je suis donnée à je ne sçais qui ! Cruelle fortune, traîtresse et deceptive ! jouyra donc de ma tendre jeunesse celluy vilain mary, et ne me sera loisible de tenir celluy qui est le fil de ma vie, et mon bien souverain ? »
 
Daurine, très délurée et décidée, n'aura de cesse, une fois mariée de force, de profiter des absences du mari pour le tromper, sans vergogne, comme elle se l'était promis.
« Mon mary estoit seigneur de Burse (..) assez hardi chevalier entre les siens : mais vrayement dens le lict c 'estoit ung droict poltron. »
« Bien, sçaurai ailleurs avoir recours en mes plaisirs ! Rien n'est si vray que le proverbe : l'une chose pense le compaignon, et l'aultre le tavernier. Je souffriray quelque temps mais ung jour viendra que je le payeray de ses mérites. Pour ung bon jour de joye, contente suis d'endurer tout ung moys ».
 
Dénonciation de parents
égoïstes et irresponsables
 
La faute des femmes retombe sur les parents qui sacrifient leur fille à leurs intérêts économiques. Rosemonde, comme Daurine , a été victime d'un tel marché : « Et pource qu'il ( Pyralius) estoit fort riche et des plus apparens de la ville, les pere, mere et parens d'elle furent assez tost contens de la luy promettre et bailler à femme, par ce moyen estimans qu'elle serait moult heureuse, et qu 'az vauldroient beaucoup de telle affinité .»
 
Naturalisme païen, religion chrétienne passée sous silence ou blasphémée
 
Le conte de Rosemonde et d'Andro est baigné d'un grand et délicieux raffinement de sensualité .
Quand les Trois Grâces, nues elles-mêmes, dévêtent Andro pour le préparer à ses noces avec Rosemonde, il apparaît « tout nud en piez devant la Déesse Vénus » qui en est émue : « Car de tant grande beaulté et excellence des corps apparut aux Immortelz le proeux Andro que alors Vénus comme toutte esmerveillée (..) demeura sans soy mouvoir. »
 
La description de Rosemonde et de la réunion amoureuse des amants nus en extase l'un devant l'autre est aussi audacieuse que voluptueuse .
 
La morale, les dogmes chrétiens, le péché de la chair, la chasteté des femmes, leur soumission aux maris, le sacrement du mariage indissoluble, les punitions de l'enfer chrétien sont totalement absents des contes.
 
G.A. Pérouse écrit que le naturalisme médiéval et antique des contes n'est pas neuf . « Ce qui est neuf , c'est l'entière prétérition ( omission ) du christianisme, la franchise totale de l'expression ( notamment celle de la sensualité) , c'est la substitution pure et simple de ce monde de rêves païens à celui de l'existence quotidienne». G.A. Pérouse fait remarquer la disparition de toutes les références chrétiennes, certaines parodies blasphématoires (de l'« Annonce faite à Marie » , de la « Communion des Saints ») , ou le scandale des appellations « Saincte Vénus » ou « Sainct Amour », etc...
 
Paganisme
ne signifie pas amoralisme
 
La nécessité où se trouve la malheureuse mal-mariée de tromper son mari pour la satisfaction de sa sensualité amoureuse est bien réelle. Est-elle amorale ? Voici la déclaration de la malicieuse Daurine : « Veu ce, nous n'avons doncques tort, amoureuses compaignes, si pour mitiguer noz martyres venons à choisir qui puisse supplier (suppléer) aux faultes que font nos marys impotens, lesquelz possible, quoy qu'ilz meslent le ciel et la terre ensemble quand ilz nous surpreignent en noz larcins amoureux, sont bien joyeulx de trouver oeuvre faicte. »
 
C'est le sujet le plus sérieux qui soit mais qui n'a longtemps été traité que dans la farce et la comédie. Le thème de la jeune fille à la recherche de l'amour et du bonheur dans la liberté ne sera-t-il pas celui, un bon siècle plus tard, de la comédie de l'Ecole des Femmes de Molière, immédiatement accusé d'amoralisme et d'atteinte à la Sainte Religion ? Le retour inattendu d'Hosbègue en pleine nuit alors que Daurine et son amant dorment dans les bras l'un de l'autre relève tout à fait de la farce : le mari heurte la porte à grand bruit et fortes menaces, l'amant Théodore « tout estonné » ne sait que faire, Daurine, femme de tête, prend les décisions : que son amant passe la porte dès le mari entré, elle lui jettera ses vêtements par la fenêtre ! Quant à lui faire avouer sa faute, Hosbègue en sera pour ses frais : « Car , dys-je, si une fois vous estes dehors, qui pourra jamais vérifier que fussiez avec moy couché ? Pourra mon mary brayre dix ans, ne pensez pas qu'il me le face confesser. Assez dira : - « Ha meschante, tu me fais plusieurs tors ! » Qu'en sera-t-il pourtant ? Dolente est celle qui ne treuve point d'escuse au besoing ! S'il est necessaire d'interposer juremens, il l'a bien perdu tout quicte, le cornard ! »
 
Il n'y a pas amoralisme  . Dans le Conte premier , Andro après être resté muet d'admiration devant le corps de Rosemonde, se réjouit de ne pas la devoir à la prostitution — comme Jupiter acheta par une pluie d'or la belle Danaë - mais au seul amour. Dans le conte sixième, celui de
Daurine, c'est la conteuse, Madame Cassandre, qui nous prévient que l'amour « vray » ne se trouve pas dans la recherche des « luxurieux desirs » , parce que les « amoureuses joyes ne sont et ne consistent pas tant es plaisirs du corps qu'il faict des âmes » ( que dans les plaisirs des âmes).
Madeleine Lazard, dans la préface de l'édition Pérouse, conclut très justement sa contribution sur le « féminisme » par ces mots et cette citation : « Dans une société qui reconnaîtrait la dignité féminine, bonheur et amour ne devraient pas être incompatibles car « la chose la plus heureuse et amiable de ce monde , c'est de convenir en  esgualité d'amour adolescente ».
 
La hardiesse des contes pourrait expliquer
l'anonymat des auteurs
 
Il est établi aujourd'hui que l'auteur présumée, Jeanne FLORE n'a jamais existé. L'accord s'est réalisé sur l'interprétation de ce nom qui n'est plus qu'un pseudonyme (3) .
G.A. Pérouse, en conclusion de son édition de 1980, exprimait le voeu qu'on découvre une écriture féminine. Mais aucune recherche dans ce sens n'a abouti.
Le même chercheur avait prudemment envisagé , avec les membres de son équipe, que les « Comptes » aient pu être une mystification, le fruit d'« un tour de malice masculine » : « Sommes-nous devant une supercherie ? Un écrivain mâle, pourquoi pas un érudit de la « "sodalitas lugdunensis" (4) de Dolet ne se serait-il pas diverti à écrire les comptes ? ».
 
Le maître d'oeuvre 
 
Les « Comptes » pourraient-ils donc être une oeuvre collective de Dolet et de ses amis 7 Pourquoi pas ? Le nom de Clément Marot a été avancé pour le quatrième conte, celui de Bonaventure des Périers pour le cinquième, celui de Maurice Scève pour le troisième et même celui de Marguerite de Navarre...Tous étaient des amis de Dolet qui avait, en d'autres occasions, su jouer le maître d'oeuvre d'une publication.
 
Il faut ajouter que les « Comptes » ne sont pas des oeuvres tout à fait originales mais plutôt, à partir de traductions de
l'Italien, essentiellement,que Dolet et ses amis
connaissaient parfaitement, des adaptations, des "compilations" dit encore G.A. Pérouse qu'ils auraient arrangées, peut-on supposer, chacun à sa façon. Encore fallait-il qu'il y eût un accord collectif sur les « leçons » , le « message » de la publication, tel que celui qui se lit tout au long du recueil dans les interventions des conteuses successives et dont une idée a été donnée ci-dessus. Encore fallait-il que l'un des auteurs assure la liaison des contes entre eux. Pourquoi pas Dolet ?
 
Des événements inattendus ont empêché que le recueil paraisse au complet : il manque plusieurs contes, en particulier celui de Dame Cebille, la seule « hérétique», dit joliment G.A. Pérouse , bien que mal-mariée elle-même, qui refuse obstinément de s'abandonner aux dévotions de la religion de l'Amour . Autre leçon : on ne résiste pas impunément à la puissance de la Nature, elle finira par céder à sa sensualité et elle sera surprise dans les bras d'un vil palefrenier . Son mari, pour la châtier, la fera promener par les rues de la ville, toute nue à califourchon sur un âne.
 
Le choix de l'imprimeur
 
Pourquoi « Les Comptes » n'ont-ils pas été imprimés par Dolet lui-même ? Il disposait d'un « privilège » royal d'imprimeur depuis 1538, mais l'Official de Lyon ( tribunal ecclésiastique) venait d'interdire d'exposition et de vente deux de ses publications jugées hérétiques . Plutôt que de risquer de graves ennuis en imprimant lui-même un ouvrage audacieux et païen, Dolet a-t-il préféré, sous le couvert de l'anonymat, confier son "privilège" à un autre imprimeur ? Mais pourquoi pas à François Juste qui ne tarissait pas d'éloges sur lui en 1538 ? Que s'est-il passé ? Se sont-ils querellés à la suite de la publication des quatre contes de « La pugnition de l'amour contemné » en 1540 ? L'imprimeur choisi fut Denys de Harsy . L'observation de l'état d'usure des bois gravés utilisés permet de parler de 1541.
 
Conclusions
 
Cette présentation est loin d'épuiser l'intérêt et les énigmes » des « Comptes Amoureux". (Comment comprendre le "féminisme" de Dolet ? Les "Comptes" sont-ils une stratégie masculine « libertine » de conquête des femmes 7). L'auteur de ces pages écrira dès que possible le chapitre manquant à sa biographie d'Etienne Dolet sur ce sujet, en donnant des extraits significatifs des « Comptes » et des « Carmina » (oeuvres poétiques) de notre humaniste, jamais totalement traduites et utilisées, sans oublier les éclairages universitaires récents.
Il faut seulement regretter que depuis vingt ans, en mettant à part le colloque « Dolet » de 1985, trop proche de la publication de Longeon ( 1982) , la participation et le rôle de Dolet aient été si peu étudiés. Peut-être en raison des intérêts orientés des « féministes » qui l'ont tenu à l'écart ou de la tendance à vouloir absolument faire de lui un "évangéliste" (5) ce qui correspond difficilement à la leçon païenne des « Comptes ».
 
Deux publications importantes sont annoncées : dès cet été, un recueil des articles les plus récents sur Les Comptes amoureux et en 2004, leur réédition, avec une nouvelle préface, par Mme Michèle Clément, professeur à l'Université LYON II, qui a succédé à G..A. Pérouse à la direction du « Centre Lyonnais d'Etude de l'Humanisme » ( CLEH).(6)
 
Je laisse le dernier mot à Claude Longeon qui connaissait si bien la complexité d'Etienne Dolet :
«Voilà un Dolet surprenant qui s'offre à l'historien (...) Et dans le même temps où il se mariait et composait ce Genethliacum où, parmi d'autres préceptes convenus sur la vie familiale, il recommandait une union raisonnable fondée sur la vertu et la bonne renommée, il mettait sa plume ( mais point son nom I) à exalter l'amour libéré des entraves sociales et des obligations religieuses. On ne sait plus s'il faut laisser au féminin tous les Comptes amoureux mais on peut être certain qu'ils s'adressent, comme une revanche, aux humilié(e)s et offensé(e)s».
 
Lyon, 10 mai 2003 Marcel Picquier
 
1 - Les mots 'compte" et "conte" s'emploient au XVI °s l'un pour l'autre. ils ont la même origine.
 
2 - G.A Pérouse traduit quelques mots de l'épigramme : (Toi Drusac quand tu ouvres la bouche), on ne croirait pas que tu parles mais bien plutôt que tu es en train de chier".
Style rabelaisien.
 
3 - Régine Reynolds-Cornell, 1989 "Que cache le manteau de Jeanne Flore?"
 
4 - L'association des lyonnais , (rassemblée autour de Dolet).
 
5 - Ainsi Mme R. Reynolds-Cornell parle de Dolet comme du "coreligionnaire" de Marot. Le qualificatif est plus que discutable. Je renvoie entre autres, à l'article de Franck Lestringant ( dans les études publiées à la mémoire de Longeon - 1993) comparant le" Second Enfer" - 1544, dernière comme de Dolet en liberté, à l'Enfer" de Marot : le premier est matérialiste sous le couvert obligé d'une "foi bien courte", l'autre est imprégné de "fidéisme évangélique".
 
6 - Je remercie Mme Clément et Mine Viennot ( professeur à l'Institut Claude-Longeon de l'Université de Saint-Etienne) des informations et des documents qu'elles m'ont aimablement remis.
 


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Mais Max Schoendorff le président de l'URDLA, est surréaliste et connaît son Breton sur le bout du doigt. Il nous fait un clin d'oeil en reproduisant la photo de la statue d'Etienne Dolet de la Place Maubert qu'André Breton a fait figurer dans "Najda" dès l'édition de 1928, accompagnée des mots mystérieux que le poète lui consacre,
 
" (..) à Paris, la statue d'Etienne Dolet, place Maubert, m'a toujours tout ensemble attiré et causé un insupportable malaise..."
 
On sait que cette statue a été détruite sous Vichy parce qu'elle était un emblème des combats pour les libertés. Même son socle, "trop parlant", dit Maurice Nadeau, a été supprimé.
 
Max Schoendorff semble nous inviter à déchiffrer l'énigme des paroles de Breton. Pour les lecteurs que cela pourra intéresser voici quelques précisions :
 
Les paroles de Breton se trouvent dam les toutes premières pages de "Nadja". Le poète vient d'expliquer combien certains êtres - Dolet pourrait être un de ces êtres - nouent avec lui " des rapports plus singuliers, moins évitables, plus troublants que je ne pensais".
 


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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°2 - jan 2003
 


POUR LE PLAISIR DU ROI
 
Postface de PATRICE BEGHAIN, reproduite avec son autorisation,
à l'édition des "Sonnets luxurieux - La Chronique scandaleuse " de CLAUDE LE PETIT
URDLA - 207, rue Francis de Pressensé 69100 Villeurbanne - ( 18€ port compris )
 


Claude Le Petit fut brûlé sur la place de Grève, à Paris, le 1er septembre 1662.
Il avait environ 23 ans. Le Parlement avait confirmé le 31 août la sentence rendue par la Chambre criminelle du Châtelet et lui avait seulement accordé le bénéfice du "rétentum": " a été arrêté qu'avant que le dit Le Petit expire par le feu, Le Petit sera secrétement étranglé au poteau". Son crime : "Lèse-majesté divine et humaine"; la raison: "avoir composé, écrit et fait imprimer des écrits impies, détestables et abominables contre l'honneur de Dieu et de ses Saints", en l'occurence divers textes qui devaient former un recueil intitulé "Le Bordel des muses".
 
Le lieutenant civil Daubray avait tenu le chancelier Séguier très précisément informé du procès et il avait conclu à son intention: "Je crois que cette punition contiendra la licence eeénée des impies et la témérité des imprimeurs."
 
A la différence d'un certain Jacques Chausson qui avait été brûlé l'hiver précédent, après avoir été convaincu de viol et de sodomie, et dont Le Petit avait salué la mort dans un sonnet, le procès et le jugement de Claude Le Petit étaient exclusivement politiques.
 
Autour de la reine mère, la compagnie du Saint-Sacrement, bien qu'interdite depuis 1660, continue d'animer le parti dévot. Le dimanche 26 février 1662, l'abbé Bossuet, qui avait alors 35 ans, avait prononcé son premier sermon de carême au Louvre devant le jeune roi de 24 ans: " Paraissez donc, â vérité sainte! faites la censure publique des mauvaises moeurs, illuminez par votre présence ce siècle obscur et ténébreux..."
 
Quelque temps plus tard, Mademoiselle de la Vallière, sans doute bouleversée par le prédicateur, s'enfuyait de la Cour, contraignant le roi, son amant, à venir la reprendre dans le couvent où elle s'était réfugiée.
 
Le 25 mars, Bossuet s'exprimait à nouveau devant le roi et sa maîtresse: "Je veux arracher ce coeur de tous les plaisirs qui l'enchantent, de toutes les créatures qui le complimentent...Que je t'égorge devant Dieu, ô coeur profane, pour mettre en ta place un coeur chrétien." Louis XIV déserta les semaines suivantes! Il revint le dimanche des Rameaux pour entendre le sermon Sur les devoirs du roi et le vendredi saint pour le sermon Sur la Passion de Notre Seigneur. Que pensa le jeune roi, tout à ses plaisirs, de la complaisance du prédicateur à tracer le portrait du Christ souffrant et mourant, de ce chantage pathétique à la conversion : " Il nous avertit qu'il va mourir, et en même temps il nous dit qu'il faut mouriravec lui. Quelle est cette mort ? C'est qu'il faut arracher son coeur de tout ce qu'il aime désordonnément, et sacrifier à Jésus ce péché régnant qui empêche que sa grâce ne règne en nos coeurs."
 
Bossuet ne fut plus appelé à prêcher devant le roi avant trois ans et demi ! L'entreprise des dévots avait provisoirement échoué: ils ne renonceront pourtant pas à parvenir à leurs fins.
 
A l'inverse, quelques semaines plus tard, Molière et ses comédiens sont conviés par par le roi à Saint-Germain et jouent huit comédies devant lui. Ils y retournent pour sept semaines durant l'été. Au total, de mai à septembre 1662, Louis XIV assiste à vingt-quatre représentations de Molière. Entre temps aura lieu le supplice de Claude Le Petit.
 
C'est le 26 décembre que Molière crée L'Ecole des femmes qui sera jouée le 6 janvier 1663 devant le roi. Il a convié pour la circonstance " la fine fleur de la cour", la reine et la reine mère. Tous rient "jusqu'à s'en tenir les côtes", Bossuet bien sûr n'est pas là.
 
La pièce fait l'apologie de la jeunesse et du plaisir. C'est précisément ce qui est en jeu entre le Carême du Louvre en mars et L'Ecole des femmes en décembre: la place du désir et de l'amour dans la société. Dans le contexte politique de l'inauguration d'un nouveau règne ( une fois Mazarin mort, Louis XIV a, l'année précédente, proclamé sa volonté de gouverner par lui-même), on croit revivre les années vingt et la chasse aux libertins engagée par le Père Garasse, les Jésuites et leurs alliés du Parlement, et dont l'admirable Théophile de Viau faillit être la victime: " J'appelle libertins nos ivrognes moucherons de taverne, esprits insensibles à la piété, qui n 'ont d'autre Dieu que leur ventre, qui ont l'impudence de proférer d'horribles blasphèmes contre Dieu, qui commettent des brutalités abominables, qui publient par sonnets leurs exécrables forfaits, qui font de Paris une Gomorrhe."
 
Claude Le Petit a fait les frais de la mobilisation du parti dévot. Entre le Carême du Louvre et L'Ecole des femmes il y a un bûcher place de Grève, un écrivain supplicié, une jeunesse assassinée et une oeuvre mutilée. Louis XIV a-t-il su qu'il achetait son amour, ses danses et ses rires au prix de la vie d'un jeune homme qui avait presque exactement son âge ?
 
Patrice BEGHAIN
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La Doloire  Bulletin de l'Association Laïque Lyonnaise des Amis d'Etienne Dolet - n°1 - oct 2002
 
Etienne Dolet était-il athée ?
par Claude Bocquet, professeur d'Université
 

Dans mon livre Etienne Dolet, traducteur réinterprété, j'ai pris position sur une question discutée, et qu’on peut sans doute légitimement considérer comme discutable, en écrivant qu’on doit tenir Etienne Dolet pour athée(1). D’autres auteurs ne partagent pas ce point de vue: pensons au pasteur Emmanuel Douen qui, dans article « Etienne Dolet, ses opinions politiques », paru en 1881 dans le Bulletin d’histoire du protestantisme, voyait en Dolet un protestant dans l’impossibilité d’affirmer sa foi, et, plus près de nous, Michel Magnien, qui n’est pas loin de partager cette opinion.
 
être athée au début du XVI° s.
 
Pour justifier ma position, il convient tout d’abord que je replace la question dans l’époque de Dolet, ne serait-ce que pour cerner le sens que l’on donnait en ce temps-là au terme d’athée, ou mieux le concept que recouvre ce terme, à savoir celui de personne qui ne croit pas en la transcendance, en un Dieu, parce que cette notion ne correspond pas nécessairement tout à fait à ce que le terme d’athée a recouvert plus tard et représente encore pour nous aujourd’hui au travers en particulier de la tradition intellectuelle des XIXème et XXème siècles.
 
J’aimerais à cet égard partir d’une toute petite anecdote contemporaine, et qui pourrait a priori sembler complètement étrangère à mon sujet. Il y a une vingtaine d’années, j’étais un jeune « aspirant » professeur d’université et j’assistais à un cocktail donné par l’Université de Genève. Me trouvant en présence d’un professeur, de nationalité égyptienne et de culture arabe, professeur de langue et civilisation arabes à l’Université de Genève, je lui tendis un verre de vin, qu’il repoussa aimablement en me disant: « Je ne consomme pas de boissons alcoolisées, parce que cela ne correspond pas à mes traditions, à mes habitudes, à ma sensibilité. » Je le priai donc de m’excuser, ajoutant que j’avais oublié la prohibition de l’alcool par l’Islam. Il sourit en répliquant: « Mon abstinence d’alcool a sûrement cette cause religieuse comme origine première, mais aujourd’hui pour moi ce n’est plus guère qu’une tradition culturelle, car personnellement je suis athée, je ne crois pas en un dieu quelconque. » Je répondis encore, avec mes gros sabots d’Européen: « Cela ne doit pas être facile dans votre pays et votre culture de se déclarer aussi ouvertement athée. » « Vous vous trompez,me dit-il, c’est au contraire beaucoup plus facile que dans votre Europe, que vous considérez comme laïque, parce que l’idée que la religion est une question de foi, de croyance, ce n’est pas une idée générale à toutes les religions, c’est une idée propre au christianisme; parce que c’est Jésus seul qui dit: « Celui qui croit en moi vivra quand bien même il serait mort ». Pour ma culture, la religion est question de respect de normes sociales et non de foi. Si vous dites, vous, en Europe: « Je ne crois pas en Dieu », vous devenez donc ipso facto l’adversaire de la religion et vous vous mettez en marge de quelque chose d’important dans la société qui est la vôtre. Si moi, dans mon pays, je dis: « Je ne crois pas en Dieu », je déclencherai sans doute un certain sourire. On me demandera peut-être ce que je veux dire par là, mais personne ne m’en voudra pour si peu; on n’y fera même pas vraiment attention pour autant que je respecte les normes de vie prescrites par l’Islam. En somme, c’est un peu comme le code de la route. Si vous dites à un agent de la circulation que vous ne croyez pas au code de la route, il haussera les épaules et ajoutera peut-être: « Cela m’est bien égal, mais si vous roulez à gauche sous le prétexte que vous ne croyez pas au code de la route, alors vous aurez affaire à moi. »
 
la foi déclinante
 
Quel est maintenant le rapport de cette histoire avec l’athéisme présumé d’Etienne Dolet ? Le christianisme de l’origine était la religion qui exigeait la foi, la croyance en des faits dont la vérité est loin d’être évidente. Mais, au cours des siècles du moyen-âge, la foi avait fléchi, ce qui se comprend fort bien en cela qu’elle avait engendré beaucoup d’attentes déçues: Jésus devait revenir rapidement avec tous les morts ressuscités pour rétablir le Paradis terrestre comme il avait existé au temps de la Genèse. Depuis longtemps on avait tout préparé, on avait mis les petits plats dans les grands pour accueillir dignement le Seigneur, mais vu son énorme retard, le repas de fête avait refroidi, d’où l’idée, du moins dans les classes cultivées, celles qui savaient lire et réfléchir, que le Seigneur ne reviendrait sûrement pas, que tout cela était une tromperie. Mais le christianisme était aussi devenu au cours de siècles une structure politique et sociale normative extrêmement puissante. Disant cela, je ne fais qu’énoncer une très grosse banalité: il est bien évident que tout l’ordre politique du monde à la fin du XVème est fondé sur la norme chrétienne. Il y a donc désormais une contradiction entre la norme politique et sociale, devenue très forte, et la foi, complètement déclinante. Ainsi en cette fin du XVème siècle, on admet très bien l’athéisme, dans le sens, qui est aussi le nôtre aujourd’hui, d’absence de foi. Il existe à Padoue une université, celle justement que Dolet fréquentera, qui dans son ensemble professe ouvertement l’athéisme, et très rares sont ceux que cela dérange. Dans son livre sur Etienne Dolet, paru en 19072, Galtier nous conte une anecdote rapportée, nous dit-il, par Erasme selon laquelle Jules II, le pape qui bâtira le nouveau Vatican et fera appel à Michel-Ange, Jules II qui mourra en 1513, donc juste avant les débuts de la Réforme, était entouré de prêtres cicéroniens; un jour l’un de ces prêtres prononce un sermon sur la passion où il parle de Socrate, d’Epaminondas et d’autres personnages de l’Antiquité et ne prononce finalement jamais le nom de Jésus parce que ... Cicéron n’en parle pas. Le pape en personne approuve. Et cela ne dérange personne parce que la norme politique et sociale du christianisme n’est pas pour autant mise en cause. Je n’irai pas jusqu’à dire que Jules II était athée, car on ne peut pas sérieusement tirer une telle conclusion de cette seule anecdote et il existe des spécialistes de la vie et de l’oeuvre de Jules II beaucoup plus compétents que moi pour se prononcer à propos d’un tel sujet sur la base de documents plus démonstratifs.
 
l’immortalité pour Dolet
 
Ainsi  Etienne Dolet n’est pas vraiment original : il pense comme les gens cultivés de son temps. C’est pour cela que Richard Copley Christie peut se permettre de dire que s’il avait vécu 50 ans plus tôt, Dolet serait sans doute devenu cardinal3 sans pour autant changer d’opinion. Mais Etienne Dolet est vraiment original par un autre élément de son attitude: il a un besoin fondamental d’éternité, un besoin absolu de refuser la mort et, comble du paradoxe, jusqu’à mettre en danger sa propre vie pour cette cause. Toute son oeuvre est remplie de cette fascination, et j’ai essayé de le montrer dans mon livre. Or, c’est là qu’on voit qu’il n’a pas d’espoir en l’éternité promise par Jésus, il cherche désespérément un autre moyen pour s’assurer cette éternité, et cela apparaît aussi à toutes les pages de son oeuvre. Et comment pense-t-il trouver cet autre moyen ? En restant éternellement en vie par son oeuvre dans le souvenir, dans l’esprit de la postérité à laquelle il en appelle à toute heure. C’est une assez belle démonstration, me semble-t-il, de ce qu’il ne croit pas en un dieu déterminé.
 
Mais, comme nous l’avons vu, son incroyance ne pose pas de problèmes très graves dans les premiers temps de la vie d’Etienne Dolet : cinquante ans plus tôt, il aurait pu devenir cardinal, comme le dit Christie. Mais un grand événement va intervenir en 1517, événement dont le poids se fera sentir surtout dès les années 1530 - 1540, c’est la Réforme, lancée par Luther en Allemagne, Réforme qui sera importée en France par Calvin. Quel est le fondement métaphysique de la Réforme ? Là encore je ne dirai que des banalités. Les réformateurs constatent justement que le christianisme est devenu un simple ensemble de normes politicosociales et que la foi, qui faisait l’originalité et le fondement même du christianisme, s’est perdue en chemin.
Luther, la crise de l’Eglise
 
La règle de Luther ce sera donc: sola fides, la foi seule, et rien d’autre. Les oeuvres, qu’on peut définir comme le fait de faire le bien ou le mal pendant sa vie terrestre, tout cela est dérisoire pour Luther puisque l’homme ne peut finalement faire que le mal. Luther, qui avait commencé par être un moine augustin, et à sa suite tous les réformateurs, fondent leur position théologique sur la pensée d’Augustin, où il disent retrouver cette idée de la foi seule. Ils se qualifient en cela d’augustiniens, terme que l’on oppose à celui de pélagien, le Pélagianisme correspondant à l’idéologie de l’Eglise catholique, qui professe qu’on peutêtresauvé par les oeuvres, soit justement en faisant le bien pendant sa vie terrestre. La querelle des Indulgences, déclenchée par Luther en 1517 comme premier acte de la Réforme, a le même fondement. L’Eglise remettait les péchés contre paiement à elle-même de sommes d’argent, parce que de tels dons pouvaient être tenus pour des actes de générosité, donc de bonnes actions.
 
La Réforme va avoir deux conséquences politiques.
La première est que l’Eglise, désormais catholiquepuisqu’il en existe une autre ou plusieurs autres, qui sont réformées, doit se reprendre, et renoncer à l’idée qu’on peut tolérer l’absence de foi pourvu qu’on ait le respect de la norme. Il faut donc qu’elle lutte contre l’athéisme, qui devient ainsi, dans cette première moitié du XVIème siècle, le crime par excellence. L’Eglise va donc se mettre à persécuter systématiquement et cruellement les athées, ce qu’elle ne faisait pas vraiment auparavant.
La seconde conséquence tient en cela que les gens comme Dolet ne peuvent plus respecter les normes de la religion tout en professant une pensée sans Dieu. Ils doivent, sous peine de mort, affirmer leur foi, ce que Dolet fera quelquefois mais manifestement sans conviction. Des esprits aussi libres et aussi naturellement provocateurs que Dolet ruent dans les brancards. Et c’est là qu’on retrouve tout ce qui sera la vie, le combat et le drame final de Dolet.
 
le drame de Dolet
 
Deux exemples suffisent à illustrer ces faits. Premier exemple: Etienne Dolet fut le premier grand théoricien de la traduction. C’est lui qui dans son opuscule La manière de bien traduire d’une langue en aultre, publié en 1540, pose les cinq principes qui permettent de faire une bonne traduction, principes qui sont largement restés valables au travers des temps jusqu’à nos jours. Or il setrouve que tous les spécialistes de la traduction: ceux qui vécurent avant Dolet, ceux qui furent ses contemporains et tous ceux qui l’ont suivi jusqu’à aujourd’hui, citent et étudient la pensée et les théories de la traduction de Jérôme, le traducteur latin de la
Bible, l’auteur de la Vulgate. Jérôme s’est d’ailleurs également exprimé sur les méthodes de traduction des textes profanes. Dolet, lui, seul théoricien de la traduction à adopter une telle attitude, ne cite jamais Jérôme, parce qu’il refuse les sources d’un christianisme qu’il considère comme une pensée dépassée et condamnée à disparaître et qu’il refuse de se référer à un homme dont l’Eglise a décidé de faire un de ses saints.
 
Second exemple, le plus illustre, la cause qui vaudra à Dolet le bûcher, sa traduction d’un texte faussement attribué à Platon, où Socrate dit: « Après la mort, au yap 00K caci », littéralement « Après la mort, tu ne seras pas » et Dolet traduit « Après la mort, tu ne seras plus rien du tout ». Pour l’Eglise, traduire ainsi c’est nier l’éternité de l’âme.
 
Mais en réalité c’est toute l’oeuvre de Dolet qui nie l’éternité de l’âme. Et Dolet, lui, il trépigne dans cette nouvelle société où il ne peut plus dire ce qu’il pense sur le sujet. Il y a chez lui une énorme pétulance: c’est la marmite qui va sauter d’un moment à l’autre parce qu’elle n’a
plus de soupape.Et, consciemment ou
inconsciemment, se laissant emporter un instant par son mouvement naturel de traducteur, il a laissé tomber ce qu’il pensait : « Après la mort tu ne seras plus rien du tout ». Mais l’Eglise veille. Ici elle a la forme du Parlement de Paris. Il y a longtemps qu’elle guettait le faux pas: cette fois elle l’a trouvé et tout finira Place Maubert, le 3 août 1546.
 

Calvin ne s’est pas trompé sur Dolet. Il n’a jamais pris Dolet pour un des siens, loin de là.
 
Dans le de Scandalis, il écrit:
« (. . .) Doletum et similes vulgo notum est tan quam Cyclopas quospiam Euangelicum semper fastuose speuisse. tandem eo prolapsi sunt amentiae et furoris, vt non modo in Filioum Dei execra biles blasphemias euomerent, sed quantum ad animae vitamattinet, nihil a
canibus et pocis putarent se differe(4)"
 
“ (. . .) Dolet et tous les cyclopes de la même espèce ont toujours superbement méprisé l’Evangile. Ils sont finalement descendu si bas dans la folie et le délire que, non contents d’avoir vomi d’exécrables blasphèmes contre le Fils de Dieu, ils ont en plus déclaré que, pour ce qui concerne la vie de leur âme, ils ne diffèrent en rien des chiens et de pourceaux.(5)"
« Et le même Calvin applaudira ouvertement le monde catholique, le monde censé être celui de ses ennemis, d’avoir envoyé Dolet au bûcher.
 
Dire que Dolet est un protestant qui s’ignore, c’est donc la plus grossière des contrevérités. Dolet, (je parle bien sûr du protestantisme du XVIème siècle et non de ce qu’il a pu devenir plus tard, notamment après le protestantisme libéral apparu dès le XVIIIème siècle, mais cela ne concerne pas notre sujet) parce que ce protestantisme était justement la volonté de revenir à la foi, à la croyance, comme seul fondement du Christianisme. Or Dolet c’est l’incarnation même de cette absence de foi qui caractérise son temps et qui est justement, et par réaction, la première cause de la Réforme.
 
Claude BOCQUET
Lyon, le 27 septembre 2002
 

1 -  Etienne Dolet, traducteur réinterprété, p. 69
2 -  Octave Galtier, Etienne Dolet. Vie - Oeuvre - Caractère - Croyance, p. 37
3 -  Richard Copley Christie, Etienne Dolet, le martyr de la Renaissance. Sa vie et sa mort, traduction de
       Casimir Stryenski, p. 7
4 -  De Scandalis, quibus hodie plerique absterrentur nonulli etiam alienantur a pura Euangelii doctrina,
      p. 54
5 -  Notre traduction proposée dans Etienne Dolet, traducteur réinterprété, p. 85
- Etienne Dolet était-il athée ? par Claude Bocquet, professeur d’Université
 
- "Pour le plaisir du roi" par Patrice Béghain
- André Breton et la statue d’Etienne Dolet
 
- Du nouveau sur Etienne Dolet : sa participation à la publication des
   "Comptes amoureux" par Jeanne Flore
 
- Dolet contre Drusac - Toulouse
 
- Les nouvelles plaques de la rue Etienne Dolet, Lyon - Le discours de Patrick Huguet, maire du 3ème arrondissement
- Les nouvelles plaques de la rue Etienne Dolet, Lyon - Le discours de Patrick Béghain, adjoint à la Culture
 
- Pierre LEROUX : 1851 - A Etienne Dolet, martyr, la typographie reconnaissante
 
- Une plaque pour Etienne Dolet, rue Mercière - Allocution de Monsieur Patrice BEGHAIN
- Lyon, 1539, 1ère grève des temps modernes
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